Vous m’étonnez. Leuson, écoutez-moi… je n’ai qu’un mot à dire, et il ne me faut qu’un mot de réponse. Votre propos est-il d’un homme d’honneur ou d’un amant refroidi ? M’aimez-vous comme vous m’aimiez ? ou me souhaiteriez-vous intérieurement détachée ?
J’en prends à témoin le ciel qui m’entend. Point de milieu : posséder ma Charlotte ou mourir de douleur ! Non, point de milieu. Mais que je prétende donner la force du sacrement à une promesse faite avec légèreté, et dont le temps, les circonstances, des réflexions auraient fait sentir l’indiscrétion…
Cela suffit, et vous allez être satisfait. Eh bien, monsieur, vous l’avez deviné ; vos doutes étaient prophétiques, je suis changée.
Changée ? Charlotte, il est vrai ?
Vous m’avez un peu tourmentée, et je pourrais user de représailles ; mais il n’est pas dans mon cœur de faire souffrir. Oui, Leuson, je suis changée, c’est-à-dire que je suis par passion et par raison ce que je n’étais que par passion. Quand l’univers serait en mon pouvoir, et que j’en serais la reine ; ou plutôt quand je serais la dernière des pauvres, et que vous n’auriez pas un toit pour me mettre à couvert, un pain à me donner pour vivre, je serais à vous et j’espérerais d’être heureuse.
Ah, Charlotte ! chère femme ! je n’ai point d’expression pour vous remercier, point qui puisse vous rendre toute la force de ma tendresse et de ma reconnaissance. Mais si vous m’aimez, pourquoi notre union se diffère-t-elle ?
J’attends des circonstances plus heureuses, un temps moins fâcheux.
Mais j’ai des raisons de nous presser, et que peut-être vous approuveriez.