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la paix et dans l’union. L’humeur inquiète et tyrannique de cet homme nous a tous séparés. On se craint, on s’évite, on me laisse ; je suis solitaire au sein de ma famille, et je péris… Mais le jour est prêt à paraître, et mon fils ne vient point ! Germeuil, l’amertume a rempli mon âme. Je ne puis plus supporter mon état…

Germeuil.

Vous, monsieur !

Le père de famille.

Oui, Germeuil.

Germeuil.

Si vous n’êtes pas heureux, quel père l’a jamais été ?

Le père de famille.

Aucun… Mon ami, les larmes d’un père coulent souvent en secret… (Il soupire, il pleure.) Tu vois les miennes… Je te montre ma peine.

Germeuil.

Monsieur, que faut-il que je fasse ?

Le père de famille.

Tu peux, je crois, la soulager.

Germeuil.

Ordonnez.

Le père de famille.

Je n’ordonnerai point ; je prierai. Je dirai : Germeuil, si j’ai pris de toi quelque soin ; si, depuis tes plus jeunes ans, je t’ai marqué de la tendresse, et si tu t’en souviens ; si je ne t’ai point distingué de mon fils ; si j’ai honoré en toi la mémoire d’un ami qui m’est et me sera toujours présent… Je t’afflige ; pardonne, c’est la première fois de ma vie, et ce sera la dernière… Si je n’ai rien épargné pour te sauver de l’infortune et remplacer un père à ton égard ; si je t’ai chéri ; si je t’ai gardé chez moi malgré le Commandeur à qui tu déplais ; si je t’ouvre aujourd’hui mon cœur, reconnais mes bienfaits, et réponds à ma confiance.

Germeuil.

Ordonnez, monsieur, ordonnez.

Le père de famille.

Ne sais-tu rien de mon fils ?… Tu es son ami ; mais tu dois