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136 DORVAL ET MOI.

C’est l’avantage du genre sérieux, que, placé entre les deux autres, il a des ressources, soit qu’il s’élève, soit qu’il des- cende. Il n’en est pas ainsi du genre comique et du genre tra- gique. Toutes les nuances du comique sont comprises entre ce genre même et le genre sérieux ; et toutes celles du tragique entre le genre sérieux et la tragédie. Le burlesque et le mer- veilleux sont également hors de la nature ; on n’en peut rien emprunter qui ne gâte. Les peintres et les poètes ont le droit de tout oser ; mais ce droit ne s’étend pas jusqu’à la licence de fondre des espèces différentes dans un même individu. Pour un homme de goût, il y a la même absurdité dans Castor élevé au rang des dieux, et dans le bourgeois gentilhomme fait mama- mouchi.

Le genre comique et le genre tragique sont les bornes réelles de la composition dramatique. Mais, s’il est impossible au genre comique d’appeler à son aide le burlesque, sans se dégrader ; au genre tragique, d’empiéter sur le genre merveil- leux, sans perdre de sa vérité, il s’ensuit que, placés dans les extrémités , ces genres sont les plus frappants et les plus difficiles.

C’est dans le genre sérieux que doit s’exercer d’abord tout homme de lettres qui se sent du talent pour la scène. On apprend à un jeune élève qu’on destine à la peinture, à dessi- ner le nu. Quand cette partie fondamentale de l’art lui est fami- lière, il peut choisir un sujet. Qu’il le prenne ou dans les con- ditions communes, ou dans un rang élevé, qu’il drape ses ligures à son gré, mais qu’on ressente toujours le nu sous la draperie : que celui qui aura fait une longue étude de l’homme dans l’exercice du genre sérieux, chausse, selon son génie, le cothurne ou le soc ; qu’il jette sur les épaules de son person- nage, un manteau royal ou une robe de palais, mais que l’homme ne disparaisse jamais sous le vêtement.

Si le genre sérieux est le plus facile de tous, c’est, en revan- che, le moins sujet aux vicissitudes des temps et des lieux. Portez le nu en quelque lieu de la ; terre qu’il vous plaira ; il fixera l’attention, s’il est bien dessiné. Si vous excellez dans le genre sérieux, vous plairez dans tous les temps et chez tous les peuples. Les petites nuances qu’il empruntera d’un genre colla- téral seront trop faibles pour le déguiser ; ce sont des bouts de