Page:Dictionnaire des Antiquités grecques et romaines - Daremberg - IV 1.djvu/479

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
PIC — 471 — PIC


soixante talents à un Ptolémée sa Nékyia 1[1]. Lucullus achète aux Dionysies, à Athènes, une simple copie de la Tresseuse de couronnes, par Pausias, et la paye deux talents 2[2]. César paye quatre-vingts talents l’Ajax et la Médée de Timomachos de Byzance, dont il orne le temple de Vénus Genitrix 3[3]. Ces prix témoignent du cas que l’on faisait de la peinture. L’idée de former des galeries de tableaux en devait être la conséquence. Déjà, au Ve siècle avant J.-C., il existait à Athènes, sur l’Acropole, à gauche des Propylées, une collection dont la composition, pour nous, est obscure, mais qui semble avoir compris Philoctète à Lemnos, l’Enlèvement du Palladion, Oreste tuant Égiste, le Sacrifice de Polyxène, Achille à Skyros, la Rencontre d’Ulysse et de Nausicaa 4[4], peut-être un tableau commémoratif de la victoire hippique d’Alcibiade à Némée, Persée vainqueur de Méduse, etc. 5[5]. Il y avait à Pergame une collection de peintures, et nous voyons Attale II envoyer à Delphes trois peintres pour copier les fresques célèbres qui s’y trouvaient 6[6]. Certains temples, avec le temps, devinrent des pinacothèques : tel fut le cas de l’Héraeon de Samos, à l’époque où écrivait Strabon 7[7]. Mais c’est à Rome surtout que les sanctuaires furent transformés, à dater d’une certaine époque, en véritables musées de peinture. Il en était de même de quelques portiques, comme ceux de Philippe et de Pompée, et les maisons privées rivalisaient avec les monuments publics : il n’y avait pas d’habitation un peu luxueuse qui n’eût sa pinacothèque 8[8]. Le même goût régnait dans les autres grandes villes, et Naples contenait une galerie célèbre, que décrit le rhéteur Philostrate 9[9].

Sur les mœurs des peintres, soit en Grèce, soit en Italie, nous savons fort peu de chose. L’orgueil de quelques-uns était proverbial : Parrhasios se faisait passer pour descendant d’Apollon ; il aimait à se vêtir de pourpre et à orner sa tête d’une couronne d’or 10[10]. A Rome, il est remarquable que plusieurs peintres indigènes appartenaient à de nobles familles : Turpilius, dont on voyait l’œuvre à Vérone, au temps de Pline, était de la classe des chevaliers ; Q. Pedius était d’une famille consulaire, dont un membre avait obtenu les honneurs du triomphe : Fabius Pictor, le premier peintre romain, appartenait à l’une des plus illustres familles de la ville. Rien ne montre mieux à quel point la peinture était considérée


à Rome comme un art de luxe, digne d’être étudié par les premiers citoyens.

Le mot pictura est parfois employé par les auteurs latins dans le sens de « broderie » [phrygium opus].

Paul Girard.

Bibliographie. Beaucoup des ouvrages cités dans les notes ne seront pas mentionnés de nouveau ici ; on n’indiquera que ceux qui ont une portée générale. Voir K. Woermann, Die Malerei der Alterthuns, dans Gesch. der Malerei de A. Weltman, Leipzig, 1878 ; Brunn, Gesch. der griech. Künstler, 2e éd. Stuttgart, 1889 Raoul-Rochette, Peint. ant. inéd. Précédées de rech. sur l’emploi de la peinture dans la décoration des édit. chez les Grecs et cher les Romains, Paris, 1836 ; Letronne, Lettres d’un antiquaire et un artiste sur l’emploi de la peinture murale, Paris, 1836, et Append. 1837 ; R. Wiegmann, Die Malerei der allen, Hanovre, 1836 ; Hittorf, Restit. du temple d’Empédocle à Sélinonte ou l’archit. polychrome chez les Grecs, Paris, 1831 ; H. Blümner, Technol. und Terminol. der Gowerbe und Künste bei Gr. und Röm, IV, p, 414 sq. ; P. Girard, La peinture attique, Paris, 1891 ; A. Springer, Handbuch der Kunstgesch. I. Alterthum, 7e éd. révisée par A. Michaelis, Leipzig, 1904 ; Klemm, Stud. zur griech. Malerschule (Mittheil. aus Œsterreich, t. XI, XII).

PICUS. — Cette personnification divine, objet d’un culte agreste dans l’antique Latium, appartient au groupe des génies champêtres que la vénération publique éleva au rang des dieux, dont l’evhémérisme des Annalistes fit des rois fondateurs et guerriers. C’est dire que Picus est à mettre en compagnie de Mars, de Faunus, de Latinus auxquels il est d’ailleurs apparenté par la légende. Mais tandis que les Romains mettaient la qualité de roi au point de départ pour en tirer celle de dieu par l’apothéose et celle d’oiseau par la métamorphose 1[11], les mythologues modernes expliquent Picus, dieu et roi, par l’oiseau pivert, originairement consacré à Mars, à raison de ses allures mystérieuses 2[12]. Nous le trouvons, en effet, mêlé au culte de ce dieu sur un des plus anciens monuments de l’histoire religieuse du Latium, sur la table d’Iguvium, sous le vocable de Martius Picus 3[13]. Une tradition tout aussi vénérable veut qu’il se soit posé sur l’étendard des Sabins, partis en colons, avec le cérémonial du Ver sacrum, pour les régions de la Campanie où ils s’établirent sous le nom de Picentins 4[14]. A Tiora Matiena, dans le pays des Aeques, un pivert au sommet d’une colonne en bois rendait des oracles 5[15] ; dans tous ces cas, l’oiseau était symbolique de la divinité de Mars, identifié à l’origine avec elle, ensuite devenu l’interprète de ses facultés prophétiques 6[16]. C’est pour cela que les hellénisants de Rome et à leur suite les poètes du siècle d’Auguste, firent de Picus un augure et un devin, comme ils faisaient de lui un roi et un guerrier 7[17]. Ses rapports avec l’oiseau s’expliquèrent par les procédés de la métamorphose : amant de Pomone ou de la nymphe Canens, il inspire une vive passion à la magicienne Circé qui, dédaignée, le change on pivert. Ovide a tiré de cette légende des développements dont son imagination peut revendiquer la meilleure part 8[18].

Dans la religion agricole, Picus se confond avec Picumnus, lequel a lui-même pour compagnon Pilumnus. Tous les deux passaient pour être des génies du mariage : conjugates dii, et intervenaient lors de la naissance d’un enfant. Ils avaient également un rôle dans les travaux

  1. 1. Plut. Non posse suav. vivo sec. Epic. 11, 2.
  2. 2. Plin. Hist. nat. XXXV, 125.
  3. 3. Id. Ibid. 26 et 136 ; et VII, 146.
  4. 4. Sur la question de savoir si ces deux derniers tableaux, œuvres de Polygnote, se trouvaient réellement dans la Pinacothèque des Propylées, voir C. Robert, Die Marathonschlacht in der Poikile und weiteres über Polygnot (Halle, 1880, p. 66).
  5. 5. Paus. I, 22, 6-7.
  6. 6. Man. Fränkel, Gemälde-Sammlungen und Gemaelde-Forschung in Pergamos, dans Jahrb. 1891, p. 49 sq.
  7. 7. Strab. XIV, p. 637.
  8. 8. Marquardt, Op. cit. II, p. 256 sq. ; P. Girard, Peint. ant. p. 317-318.
  9. 9. Sur l’authenticité, souvent discutée, de ces peintures, voir Jacobs et Welcker, préface de Philostrat. imagines, I.ips. 1825, p. XVII et LV ; K. Friedrichs, Die philostr. Bilder, Erlangen, 1860 ; H. Brunn, Die philostr. Gemaelde, Leipz. 1801 ; F. Matz, De Philostr. in describ. imaginibus fide, Bonn, 1867 ; Bougot, Une galerie anique de soixante-quatre tableaux, Paris, 1881 ; E. Bertrand, Un critique d’art dans l’antiquité, Philostrate et son école, Paris, 1881 ; Schwind, Philostrat. Gamaelae, Leipzig, 1903.
  10. 10. Plin. Hist. nat. XXXV, 74 ; Aelian. Var. hist. IX.
  11. PICUS. 1 Cf. Carter, chez Roscher, Lexik. d. Mythol, III, p. 2495, et Wissowa, Ibid. I, p. 1454.
  12. 2 Déjà un objet d’étonnement pour les Grecs qui le nommaient δρυκολάπτηζ ; Voir Arist. Hist. anim. IX, 9 ; Aristoph. Av. 479, 979 ; Anton. Lib. 14. Pour les Latins, voir Plaut. Asin. II, I, 14 ; Plin. Hist. nat. X, 18, 20 ; Front. Strat. IV, 3, 14 ; Fest. p. 193 ; Plut. Quaest. rom. 21 ; Ov. Mét. XIV. 390. Certains Germains lui rendaient des honneurs divins. Voir Grimm, Deutsch. Mythol. p. 388. Quand il frappe de son large bec le tronc des ormes et des chênes, le bruit qui retentit à intervalles mesurés dans les solitudes silvestres éveille des craintes superstitieuses. Le pivert fait pendant, comme animal symbolique de Mars, au loup ; cf. Schwgler, Roem, Gesch. p. 415, note 3.
  13. 3 Buecheler, Umbrien, 5, B. 9 et 15 : cf. Aufrecht et Kirchhoff, Umbrische Sprachdenkm, II, p. 356 sq.
  14. 4 Paul. D. p. 212 ; Strab. V, 4, 2 ; Sil. Ital. VIII, 439.
  15. 5 Dion. Hal. 1, 14, 5. Le nom de Tiora Matiena est interprété par Roscher, Lexik. II, p. 2431, par turris Murtiana et la ville ainsi rattachée au culte de Mars.
  16. 6 Il est mêlé à la légende des origines de Rome et de la naissance des jumeaux : Plut. Fort. Rom. 8 ; Ov. Fast. 11, 37, etc.
  17. 7 Fab. Pict. chez Non. Marc. p. 518 ; Fest. 197 : Oscines : Serv. Aen. VII, 190 ; Arnob. V, I ; Isid. Orig. XII, 7, 47, qui rapporte une tradition en vertu de laquelle le pivert serait de nature divine, parce qu’aucun clou ne saurait tenir dans un arbre où il a établi son nid.
  18. 8 Serv. Aen, VII, 190 ; Ov. Mét. XIV, 312, 303. Dans les Fastes (Lib. III, 291 ; cf. IV, 049 sq.|, ce poète mêle Picus avec Faunus à la légende de Jupiter Elicius que le roi Numa se rend favorable par leur intermédiaire : cf. faunus, p. 1022.