Page:Dictionnaire des Antiquités grecques et romaines - Daremberg - IV 1.djvu/470

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
PIC — 462 — PIC


Seules, ces hardies et brillantes exceptions permettent d’apprécier l’harmonie vive et ingénue de la peinture grecque, sans complications de nuances ni de modelés, pendant la plus belle période du Ve siècle. En regardant au Louvre la collection des lécythes funéraires 1[1], au Musée Britannique la série des grandes coupes polychromes 2[2]. On saura avec quelque exactitude ce que les contemporains de Polygnote et de Phidias regardaient sur les parois des temples ou dans les ex-voto peints des sanctuaires 3[3]. Le nu des chairs est lui-même rendu avec des


tons bruns ou rougeâtres qui tendent à se rapprocher « le la réalité 4[4]. On comprendra aussi la composition et l’ordonnance générale d’un tableau de cette époque, l’eurythmie des groupements. la noblesse et la simplicité des gestes, la tranquillité des attitudes, si conformes à l’esthétique que nous admirons dans la sculpture du même temps, dans la frise du Parthénon ou dans les bas-reliefs du Céramique (fig. 5647) 5[5].

Ces vases mis à part comme les plus précieux, nous pouvons nous servir aussi des autres pour en tirer des

Fig. 5647. – Peinture d’un lécythe funéraire attique.


renseignements accessoires sur la composition et sur la technique. Ils nous font voir que l’art des groupements s’est modifié incessamment au cours des siècles. L’isoképhalie, manière de placer toutes les têtes des personnages à la même hauteur 6[6], l’absence de perspective, la juxtaposition des figures, la symétrie rigoureuse règnent tyranniquement sur les écoles archaïques 7[7], puis cette rigueur s’adoucit avec les premières œuvres du Ve siècle. Les figures se groupent et s’enchevêtrent, la composition se resserre et s’unifie, au point de réaliser parfois une véritable trilogie comme dans le drame 8[8] ; les gestes et les attitudes deviennent pathétiques sous l’influence du théâtre 9[9]. Enfin, les personnages apparaissent parfois disposés sur des plans différents, réunis dans une sorte de paysage indiqué par des lignes sinueuses et des fleurettes semées sur le sol 10[10] ; les physionomies sont plus expressives, les visages de trois quarts se multiplient,


et l’on ne peut se soustraire à l’idée que cette révolution dans le décor industriel est due à l’action du plus grand peintre du Ve siècle, à Polygnote 11[11]. On a même tenté de reconstituer des peintures entières du maître, comme l’Hioupersis et la Nékya, en se servant uniquement de figures et de groupes empruntés à des vases 12[12]. Rien ne montre mieux cette union intime du grand art et du décor industriel, qui a été l’honneur de la civilisation grecque et un de ses traits caractéristiques.

Signalons encore les renseignements qu’on tire de l’étude des vases pour la connaissance de certains procédés techniques applicables à la grande peinture. Par exemple, l’esquisse, tracée sur le fond avec une pointe dure, y est souvent visible 13[13] ; nous n’avons pas de raison de croire que cette mise en place si commode n’ait pas été pratiquée par tous les artistes. Les pinceaux eux-mêmes ont pu être détaillés et analysés, d’après la nature

  1. 1. Outre le livre cité de Pottier, voir l’article de M. Collignon dans Mon. et mém. Piot, XII, p. 29 et la bibliographie citée.
  2. 2. Murray et Smith, White Athenian Vases, 1496.
  3. 3. M. Winter affirme meme que les vases à fond blanc nous donnent une idée exacte de la peinture à l’encaustique sur marbre (Jahrb. 1897. Anzeiger, p. 135). M. Collignon a raison de faire des réserves et il se contente d’assimiler les lécythes aux panneaux de bois recouverts d’un enduit blanc (Mon. Piot, XII. p. 54).
  4. 4 Collignon, Ibid. p. 45, pl. V ; cf. Winter, 55ers Programm zum Winckelmannsfeste, Berlin, 1895.
  5. 5 Notre figure est tirée de l’article de M. Collignon, Mon. et Mém. Piot, XII, p. 29, pl. iii et iv. Voir les remarques de la p. 42.
  6. 6 Cf. Pottier, Catal. vas. p. 452, 841.
  7. 7 Id. p.619, 839-841.
  8. 8 Id. p. 832.
  9. 9 Id. p. 833, 1053.
  10. 10 Id. p. 1053, 1093. L’ordonnance des compositions polygnotéennes et leurs alternances symétriques ont été étudiées d’après les vases peints par M. Schreiber, Die Wandbilder des Polygnotos, dans les Abhandl. der phil. hist. Classe der Sächs. Gesellsch. I, XVII, 1897. La première partie seule a paru.
  11. 11 Id. p. 1147. Le vase le plus important dans la série dite polygnotéenne est le cratère des Niobides, au Louvre, publié dans les Monum. Dell Ist. XI, pl. xxxviii, étudié par C. Robert dans Annali, 1882, p. 273, et dans Nekya, p. 40 ; Schreiber, L. c. p. 185 ; Pottier, L. c., 1082 ; cf. P. Girard, dans Mon. publ. par l’Assoc. des études gr. 1895-97, p. 18 avec la bibliogr. Voir aussi sur l’influence polygnotéenne dan la peinture de vases l’article de Milchhoefer dans Jahrbuch. 1894, p. 65.
  12. 12 Voir les trois dissertations de C. Robert, Die Nekyia des Polygnot (1892), Die Ilioupersis des Polygnot (1893), Die Marathonschlacht in der Poikile (1895), parues dans les 16e, 17e, 18e Winckelmannsprogr. de Halle. Voir aussi L. Weizsäcker, Polygnot’s Gemaelde in der Lesche der Knidier, 1895.
  13. 13 Pottier, Catal. p. 662.