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1163 AVE ] La mention fréquente de l’Ave dans les légendes| mariales du xi siècle prouve son immense popula- rité. Si on objecte qu’Eudes de Sully, évêque de Paris (1196-1208), fut le premier à ordonner que tout le monde apprit l’Ave Maria aussi bien que le Pater noster, il faut nous rappeler que tous deux étaient récités en latin, et que les évêques n’imposaient une telle obligation que pour un motif grave. La difficulté que quelques gens simples trouvèrent à l’apprendre est illustrée dans quelques histoires de Marie et sur- tout dans celles de Gautier de Coincy (c. 1222). Il décrit la scène amusante d’un pauvre paysan qui ne pouvait pas habituer sa langue aux mots latins, et qui fut incapable d’aller plus loin que la seconde propo- sition. Il s’arrêtait même à « plena do. ». Dix foiz disoit ou Wez ou No, N’onque ne sot li vilains bus. Outre le mulieribus. Du fait que l’Ave était simplement une forme de salutation, nous trouvons qu’au moyen âge sa réci- tation était très fréquemment accompagnée d’une inclinaison, d’une génuflexion ou d’une prostration. La preuve en est abondante dans les légendes mariales. D’autre part nous savons que dans les premiers siècles l’usage de faire de nombreuses génuflexions, comme un exercice de pénitence, était très répandu. Saint Siméon le Stylite, par exemple, en fit tant à la file qu’un admirateur, après en avoir compté 1.244, aban- donna la partie. De telles psrévotat (en latin veniae) sont encore pratiquées dans les monastères de l’église grecque orthodoxe. La même forme d’’ascétisme se retrouve dans les pays celtiques, surtout en Irlande. Le mot irlandais < schlectain », employé pour décrire cette forme de mortification, est simplement le latin flectenae (inclinaisons), et se répandit de là dans l’Angleterre anglo-saxonne et sur le continent. En faisant la génuflexion on murmurait communément une oraison jaculatoire ou une prière, par exemple : « Deus in adjutorium », etc… ou « Dimitte, Domine, peccata mea. » Quand l’Ave Maria devint populaire, il semble avoir été spécialement employé dans ce but, et ainsi nous trouvons cette curieuse pratique d’Ave réitérés et comptés, quelquefois allant jusqu’à mille. L’exercice était fait, sans aucun doute, pour ajouter un pénible effort physique, — « afflictions » était le nom spécialement consacré à cette forme de pénitence, — à un acte de dévotion à la Mère de Dieu. Les légendes mariales de Gautier de Coincy servent ici de nouveau à illustrer la grande estime dans laquelle on tenait cette laborieuse répétition. Nous en entendons parler fréquemment dans les vies des ascètes. La Bienheu- reuse Ida de Louvain, religieuse cistercienne (c. 1310), faisait quelquefois 1.100 génuflexions par jour, réci- tant chaque fois l’Ave, et on rapporte des faits sem- blables des Bienheureuses Marie d’Oignies, Dorothée et de beaucoup d’autres. Cette pratique de dévotion se maintint pendant des siècles. Au xvue siècle la Bienheureuse Marie-Madeleine Martinengo, religieuse capucine, récitait 100 Ave avec des prostrations chaque jour, et encourageait ses novices à suivre son exemple, disant que c’était un moyen très efficace d’obtenir des faveurs spéciales de Dieu. Une fois que l’Ave Maria fut si répandu qu’il dut être appris par tous comme une matière d’obligation, — des décrets publiés dans ce but sont nombreux dans