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798 trouvait ingénieuse et su/Jlsamment écrite. C'est même à lui qu'on est redevable du prospectus des œuvres du célèbre vaudevilliste, et jamais il ne donna à personne une plus grande preuve de dévouement. 11 avait été l'ami de Talma, il resta l'ami de M"* Mars, les deux seuls grands talents, selon lui, de notre scène moderne. Quelquefois , après avoir écrit pendant six mois sa cri- tique hebdomadaire, il abandonnait brusquement la be- sogne, et, sans dire adieu à personne, il allait dans quelque maison des champs , éloignée de la ville , se replonger avec délices dans cette paresseuse contemplation des modèles, qui était sa vie. Si l'oisiveté devenait trop forte , il se met- tait à traduire quelque vieil auteur, et c'est à cette disposi- tion d'esprit que nous devons sa version élégante et fidèle de V Histoire véritable de Lucien , qui fait partie de la collec- tion des romans grecs éditée par le libraire Merlin. Quoique exclusivement chargé du feuilleton littéraire, Béquet abordait quelquefois cependant la politique dans le Journal des Débats. Au mois d'août 1829, à la fm de la monarchie de Charles X, quand tout courait au dénoùment fatal, il arrive au bureau, plein de tristesse, portant, lui aussi, sa page prophétique, qui finissait par ces mots : Malheureuse France l malheureux roi! A cette parole, la France sembla se lever comme un seul homme. Le mi- nistère pâlit, tremble, et fait au journal ce mémorable procès qui fut son avant-dernière défaite. Alors seulement on ap- prit quelle main invisible avait écrit ce Mané, Tekel, Pha- res! Béquet, sans prévenir personne, s'en fut se dénoncer lui-même au procureur du roi, qui s'étonna de voir entrer dans son prétoireceMirabeau si tranquille et si calme. To^am Grœciam conturbavi , àis^i-'û, comme Cicéron, et il se consolait de tout , même de ne pas être arrêté , avec une citation latine. Le plus bel avenir semblait sourire à Béquet après la ré- volution de Juillet, dont il avait donné le premier signal. Tous ses amis étaient professeurs, préfets, conseillers d'État, mi- nistres ; lui ne voulut rien être ; il trouvait un charme trop irrésistible à vivre dans son indolente paresse. Une autre passion, encore plustriste et qui étonne autant qu'elle afflige, s'empara de lui et le domina jusqu'au tombeau : cet homme d'un esprit si délicat, d'un caractère si aimable, laissait sou- vent sa raison au fond d'un verre. Un jour il se mit en tête d'essayer, lui aussi , son roman-; et , par un beau jour de printemps , il commença son œuvre après y avoir longtemps rêvé. Il écrivait très-lentement; c'é- tait un habile artiste, s'effojçant d'être simple et calme sur- BÉQUET — BÉQUILLE tout. Il ne lui fallut pas moins d'un mois pour achever ses quelques pages intitulées : Marie, ou le Mouchoir bleu. C'est l'histoire d'un pauvre soldat suisse qui vole un mouchoir pour Marie , sa fiancée, que la loi militaùre fusille, et qui en- voie à Marie ce mouchoir qu'U a baisé avant de mourir. Ce petit récit courut toute l'Europe, et eut presque autant de succès que Paul et Virginie. On se souvient d'avoir entendu M. Villemain en répéter plusieurs passages par cœur. Ce succès efiaroucha EÎéquet; mais la Revue de Paris , qui avait inséré sa première nouvelle , lui en demanda une seconde , et il se décida à lui donner l'Abbaye de Maubuis- son, qui fut lue avec non moins de plaisir. En 1835, cepen- dant, une lassitude précoce, et qui était sans remède, le saisit; il abandonna la littérature et le Journal des Débats. Son père était mort : il alla s'ensevelir dans un des plus tristes villages des environs de Paris , au fond d'une maison froide et triste, au bord d'une mare fangeuse, avec quelques vieux livres et une servante presque aussi vieille ; et une fois là, on ne put plus l'en tirer, il ne voulut plus rien écrire ; la vue d'un encrier et d'une plume lui faisait le même effet que l'eau sur les hydrophobes. A dater de ce jour, il vécut seul, tout seul; il relut les chefs-d'œuvre épars dans sa chambre sans tapis; il but, il but sans cesse, il but toujours, et l'abus de cet indigne passe-temps acheva de ruiner sa vie. Ses amis le pleuraient depuis longtemps, quand, le 2S septembre 1838, il mourait dans la maison de santé du docteur Blanche , après une maladie de langueur qui avait duré trois mois. BÉQUILLE, sorte de bâton surmsnté d'une traverse , sur lequel les vieillards, les infirmes et les convaleseents s'ap- puient pour marcher. On appelle béguillard celai que l'âge ou les infirmités ont réduit à se servir d'une béquille , et ce mot est employé dans le style comique, comme synonyme de vieillard. Béquille, en termes de jardinage, est un instnmient en forme de ralissoire , au moyen duquel on donne un léger labour aux plantes qui sont en végétation , et même aux céréales. Ce binage convient mieux dans le jardinage que dans la culture en grand; cependant, on peut l'employer aussi dans cette dernière avec le plus grand avantage lorsque la main-d'œuvre n'est pas chère , surtout pour les légumi- neuses à racines charnues et tuberculeuses. La béquille a pris ce nom parce que jadis , au bout de son manche , il y avait un morceau de bois en travers, posé comme celui d'une béquille. FIN DU DEUXIEME VOLUii*.