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SINAÏ


de pierres succédèrent les édicules qui précèdent le portique du temple, et qui ne sont ni des chapelles ni des magasins sacrés, mais des abris permanents, remplaçant les premiers refuges rudimentaires. Participant à la sainteté du lieu, ils étaient destinés aux chercheurs de turquoises, qui y venaient attendre le songe révélateur dans lequel la déesse leur indiquerait quelque bon gisement. On trouve aux abords de la grotte sacrée un épais lit de cendres qui atteste le rôle important du feu dans ce haut-lieu. Comme il y a peu de buissons sur le sommet de la colline, il semble que le combustible dût être apporté de la plaine ou des vallées environnantes. Mais, pour l’apporter en telle quantité et loin des habitations, il fallait qu’il y eût une autre raison que les usages de la vie courante. Nous sommes ici en présence de sacrifices religieux, dans lesquels le sang, la graisse et d’autres parties facilement combustibles des animaux immolés étaient la part de la divinité, la

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390. — Nauâmis, construction en pierres sèches,

près de l’ouadi-Solaf.

D’après FI. Pétrie, Researches in Sinai, n. 178.

chair des victimes servant d’aliments à ceux qui les offraient ou qui prenaient part à la fête. La nature des cendres et l’endroit où elles se trouvent confirment cette hypothèse. On a découvert aussi de petits autels, qui, d’après leur forme même, étaient faits pour recevoir, non un liquide ou autre offrande, mais de l’encens. Voir fig. 388. Parmi les objets votifs, on remarque des pierres taillées en forme de cônes, autre caractère du culte sémitique. Enfin des réservoirs et des bassins à ablutions rappellent certaines pratiques du culle juif. Nous avons donc bien là un rituel sémitique, que les Égyptiens s’approprièrent pour se concilier la faveur de la divinité qui régnait primitivement en ces lieux. En effet, les détails que nous venons de rappeler, relatifs au temple, aux sacrifices, aux autels ou brûle-parfums, aux pierres coniques, sont tout à faitdistincts de ce que l’on rencontre dans la religion égyptienne. Cf. Flinders Pétrie, Researches in Sinai, p. 186-193.

Dans les ruines du temple, on a également découvert plusieurs statues, un sphinx, un buste (fig. 389) et d’autres objets sculptés par des mains étrangères à l’art égyptien. C’était sans doute l’œuvre des’Amu îu des Rotennu, qui, dans les inscriptions, figurent parmi les ouvriers employés aux mines du Sinaî. Un de ces’Amu

ou Syriens est appelé Lua ou Luy, ce qui n’est autre chose que l’hébreu Lêvî ; et « il est intéressant, dit Flinders Pétrie, op. cit., p. 124, ; de trouver ici ce nom 3000 ans avant Jésus-Christ. » Plusieurs de ces sculptures un peu grossières portent des inscriptions en lettres alphabétiques, qui ont une analogie frappante avec certains caractères phéniciens archaïques. Voir fig. 389. Nous aurions là, d’après le savant explorateur, le spécimen d’une écriture antérieure de cinq siècles peut-être aux plus anciens textes phéniciens qui nous sont connus. Quoi qu’il en soit de cette appréciation, il y a dans ce fait une importante question d’épigraphie. Cf. Flinders Pétrie, Researches in Sinai, p. 122-132.

On rencontre enfin dans la plupart des grandes vallées du centre de la péninsule, sur le flanc des montagnes et généralement au confluent de plusieurs ouadis, de singulières constructions, que les Bédouins appellent nauâmis. Ce sont des édifices en pierre sèche, les uns ronds ou elliptiques, les autres carrés à toit plat. Les premiers sont formés de murs droits jusqu’à 50 ou 70 centimètres au-dessus du sol, mais rapprochant ensuite, à l’intérieur, les assises de leurs pierres plates, de manière à constituer une coupole conique de 2 à 3 mètres d’élévation. Voir fig. 390-391. Tous les explo 391. — Coupe d’un des Nauâmis.

D’après FI. Pétrie, ibid., n. 174.

rateurs font remonter ces monuments à une haute antiquité. M. Maspero, Histoire ancienne des peuples de l’Orient classique, t. i, p. 352, y voit des abris où les nomades pillards se réfugiaient, pour se défendre contre les représailles des tribus voisines et surtout des troupes égyptiennes. On croit plus généralement aujourd’hui que ce sont des tombeaux dont on rapproche certaines chambres funéraires de la Palestine et les dolmens couverts d’autres régions. Cf. H. Vincent, Canaan, Paris, 1907, p. 412. Ces sortes de ruches n’ont pu. servir d’habitation ou de refuge. M. Currelly, qui en a fouillé quelques-unes dans l’ouadi Nasb, y a trouvé des bracelets en coquillages, des pointes de flèche en silex, des instruments en cuivre pur, etc., autant d’objets déjà en usage sur les bords du Nil, aux temps préhistoriques. Cf. Flinders Pétrie, Researches in Sinai, p. 243 ; E. H. Palmer, The désert of the Exodus, t. ii, p. 312, 316-319.

De l’ensemble des découvertes archéologiques et de l’histoire, il résulte donc que, longtemps avant l’Exode, une population sémitique habitait la péninsule du Sinaï, avec une religion analogue à celle de Chanaan, un système d’écriture déjà perfectionné, ce qui achève de détruire la vieille thèse rationaliste prétendant que Moïse n’avait pu écrire le Pentateuque. D’autre part, les Égyptiens ont, de bonne heure, porté dans un petit coin du pays un rayon de leur civilisation, trouvant dans les mines un moyen d’exercer leur industrie, d’augmenter leurs richesses, de perfectionner leur art. Les Hébreux, en arrivant dans ces solitudes, n’étaient pas dénués de ressources ; ils avaient beaucoup appris