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SINAÏ


comment arriverait-on à concilier d’une manière aussi satisfaisante une géographie et une histoire aussi difficiles ? Il est aisé de dire que l’adaptation des noms et des faits aux lieux s’est opérée après coup, par des moines chrétiens en quête de souvenirs bibliques. Cette adaptation serait impossible si elle n’avait pour base une conformité réelle entre les faits et les lieux. Qu’on essaie donc de la transporter ailleurs, puisqu’on transporte ailleurs le Sinaï. Dans leur impuissance à le faire, les rationalistes sont obligés de bouleverser le texte sacré, d’en effacer une partie. Nous pouvons donc conclure d’après cela à la véracité et à l’authenticité du récit mosaïque. Si l’auteur, écrivant plusieurs siècles après les événements, n’avait eu aucune connaissance des lieux, comment aurait-il pu arriver à une telle exactitude ?

3° Les Nabatéens. Inscriptions sinaïliques. — La péninsule sinaïtique est un pays singulier, non seulement par sa configuration physique, mais encore par le grand nombre et le caractère des inscriptions qu’on y rencontre. On dirait que ses immenses murailles de rochers étaient destinées à être des pages d’écriture. Ces pages sont demeurées longtemps un mystère et ont exercé la sagacité des savants. Il était tout naturel qu’on y vit dans les commencements des vestiges du passage des Hébreux. Nous ne parlons pas ici des inscriptions hiéroglyphiques que nous avons déjà signalées à Maghdrah et à Sardbît et Khâdim, mais d’autres monumentsépigraphiquesrépandusà travers unebonne partie de la presqu’île. À part le grec et le latin qui y sont parfois représentés, ils se composent surtout de caractères dont la nature et le sens furent longtemps ignorés. Il a fallu les découvertes modernes pour nous donner la clef d’uneénigme qui avait intrigué les anciens. Nous laissons de côté l’histoire des recherches et du déchiffrement. Cf. Yigouroux, Mélanges bibliques, Paris, 1882, p. 233-313. Nous n’avons à étudier rapidement que la nature, la localisation et l’origine de ces inscriptions.

Ce sont de simples graffiti, qui se composent presque exclusivement de noms propres et de certaines exclamations ; par exemple : « Paix ! Yati’u, fils de Waddu. Qu’il soit béni à jamais ! » Ils sont gravés sur les rochers, ou sur ceux qui forment les parois des vallées, ou sur ceux qui sont tombés des sommets de la montagne. Ils ont été tracés sur le grès au moyen d’un silex pointu, et les lettres ainsi formées semblent faites de petits trous juxtaposés. Mais sur le granit, plus dur, on remarque les traces d’un instrument de fer. La grandeur de l’écriture varie : dans la plupart des inscriptions, les lettres sont hautes d’environ quatre ou cinq centimètres ; les petites n’en ont qu’un. L’absence de polissage sur la surface du rocher, de rectitude dans les lignes, d’ordre dans les sentences, tout indique la précipitation et la négligence. Voirfig. 387.

Ces inscriptions sont surtout nombreuses aux environs du Serbal, du djebel el-Bendt, du djebel Mûsa, le long des grandes vallées qui servaient de voies de communication, les ouadis Schelldl, Mokatteb, Feirân, Suwig, Khamiléh, Bark, Lebwéh, Berrâk. L’ouadi Mokatteb tire même de là son nom de « vallée écrite ». On en trouve quelques-unes vers le nord-est, sur le chemin du Sinaï à’Aqabah, jusqu’à Vouadi Sa’al ; mais on n’en rencontre aueune au nord-ouest, à partir de Vouadi Hamr, sur la route de l’Egypte. On n’en signale pas non plus sur la route qui traverse le désert de Tih. D’où l’on conclut qu’il ne faut pas les attribuer aux caravanes marchandes qui allaient d’Arabie en Egypte et vice versa.

La langue est l’araméen, avec quelques mots empruntés à l’arabe. Outre les noms propres, dont se composent principalement les inscriptions, on trouve un petit nombre de mots araméens, comme’2, ma, c fils, fille » ; 137, « faire » ; mp jd, « devant » NriN, « terre », etc., et des exclamations, comme tfjw, « paix », -i>3T, « que se souvienne », -|na, « béni ». Cependant les noms propres sont en grande partie arabes ; on y a souvent ajouté la terminaison nabatéenne i ; npaDbH, Almobaqqeru ; ils sont pour la plupart théophores : inStnay, Abdallahi ; tnhNiyxi ?, èa’dallahi. Les noms des divinités qui entrent dans la composition de ces mots sont : « n^N, Allah, ibyabx, Elba’al, *nwn, DûSarâ, le dieu des Nabatéens. On ne peut donc attribuer ces inscriptions à des chrétiens. Les croix et les monogrammes du Christ qui sont mêlés aux inscriptions sont distincts des graffiti nabatéens et ont été ajoutés plus tard par des pèlerins.

Beaucoup d’inscriptions sont répétées en différents

387. — Inscription sinaïtique (Ouadi Mokatteb).

…SnSïN "13 [| >nVl7WT3yn « que fit Sa’dallahi|| fils d’A’là’…

D’après le Corpus inscriptionum semiticarum,

part. II, t. i, n. 914 b, pi. lxxvi.

endroits, gravées par la même main et dans le même ordre. On pense donc que, malgré leur grand nombre, ces monuments épigraphiques n’ont pour auteurs que quelques groupes d’hommes, parcourant ensemble les mêmes chemins, probablement unis en société ; l’un d’eux est appelé éparque, quatre ont le titre de prêtres. Les inscriptions sont accompagnées de dessins grossièrement tracés, représentant des hommes, des chameaux, des chiens, des bouquetins, etc. Quelques-unes sont bilingues ; les mots grecs, en particulier les noms propres, correspondent parfaitement aux mots sémitiques. La manière dont elles sont gravées montre bien qu’elles ont été écrites, dans les deux langues, par la même main. Il est donc permis de supposer que ceux à qui elles sont dues n’étaient pas desimpies nomades, sans aucun rapport avec le monde romain.

En résumé, les inscriptions sémitiques du Sinaï sont l’œuvre de Nabatéens (Vnlgate : Nabuthseï) qui, au second et au troisième siècle de notre ère, occupèrent les vallées de la péninsule ou la visitèrent à différents intervalles. Voir Nabuthéens, t. iv, col. 1444. Elles n’émanent point de rois ou de peuples comme celles des temples de l’Egypte ou des palais de Ninive et de Babylone. Elles ont donc peu de valeur historique ; leur importance est plus grande au point de vue épigraphique, l’écriture appar-