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SINAÏ


sorte qu’on n’y trouve aucun emplacement propice pour l'établissement d’un camp. Les vallées elles-mêmes sont encombrées de rochers énormes, détachés de la montagne, dans les environs de laquelle on ne trouve aucune plaine.

Le djebel Mûsa « est un massif élevé, de forme. oblongue, d’environ 3200 mètres de long sur 1600 mètres de large, dirigé, dans sa plus large dimension, du nord-ouest au sud-est. Voir fig. 363. Son altitude est d’une hauteur moyenne de 2000 mètres au-dessus du niveau de la mer ; 450 mètres au-dessus des ouadis environnants. Sa crête est terminée aux deux extrémités par des pics plus élevés : au sud, par un pic unique, de 2244 mètres, appelé, comme la montagne, djebel Mûsa ; au nord-ouest, par trois ou quatre escarpements, nommés collectivement Râs Sufsafêh du nom du plus haut d’entre eux, qui a 2 114 mètres audessus du niveau de la mer. De tous les côtés, à l’exception du sud-est, la pente est très abrupte et très rapide. Le pic méridional du djebel Mûsa s’appelait autrefois djebel Mone’idjéh ou « mont de la Conférence ». Le Sinaï est entouré de toutes parts par des vallées ; au nord-est, par Youadi ed-Deir, appelé aussi ouadi Schoeib, c’est-à-dire Hobab, nom du beau-frère de Moïse ; au sud-ouest par Youadi el-Ledja. Ces deux ouadis se dirigent vers le nord… Au nord-ouest du Râs Sufsafêh se déploie la large plaine à'er-Rdhah, formée par l’ouadi de ce nom ; .elle commence à deux kilomètres et demi du pied de la montagne, et vient, par une pente douce, se confondre avec Youadi el-Ledja et Youadi ed-Deii : Elle est partout couverte d’herbages ; detous ses points, on voit distinctement le pic du Râs. » F. Vigouroux, La Bible et les découvertes modernes, 6e édit., Paris, 1896, t. ii, p. 499-500.

Pour fixer notre choix entre les deux montagnes, il nous faut interroger la Bible et la tradition. La Bible ne nous offre directement aucune lumière. Elle nous dit bien que les Israélites allèrent de Raphidim au Sinaï. À supposer que Raphidim soit l’ouadi Feirân, le Serbal est plus rapproché que le djebel Mûsa. Mais ne Pest-il pas trop ? quelle est, au juste, la valeur de cette station ? Nous ne savons. On croit aussi que les onze jours de l’Horeb à Cadès, Deut., i, 2, conduisent plutôt au djebel Mûsa qu’au Serbal. Ce n’est qu’une faible donnée. Quant à la tradition, on comprend qu’elle n’ait pas gardé un souvenir bien durable du passage d'étrangers dans un pays presque inhabité, où ils n’ont laissé aucun monument, au milieu de nomades peu intéressés à cet événement. S’il est certain pour nous que la tradition juive n’a jamais placé le Sinaï ailleurs que dans la péninsule qui porte son nom, nous sommes obligés de reconnaître qu’elle n’a conservé aucun renseignement précis sur le site qu’il faut attribuer à la sainte montagne. Pour Josèphe, Ant. jud., II, xii, 1 ; III, v, 1, ce serait la plus haute du pays. La question entre le Serbal et le dj. Mûsa ne peut se trancher par une différence de quelque deux cents mètres. La tradition chrétienne elle-même ne repose parfois que sur une simple combinaison de vagues données bibliques. Telle est celle de YOnomasticon d’Eusèbe et de saint Jérôme, Gœttingue, 1870, p. 112, 122, 150, 291, 298, 301. Cependant la découverte du pèlerinage attribué à sainte Sylvie, Peregrinatio ad Loca Sancta, édit. Gamurrini, Rome, 1888, apporte des témoignages très précis, conformes à la topographie sinaïtique, et montre que la tradition chrétienne, à la fin du IVe siècle, était absolument fixée au djebel Mûsa. Malgré certains détails un peu suspects, « est-il possible qu’on ait choisi sans hésiter le dj. Mûsa, que de nombreux ermites s’y soient fixés, loin de la petite ville de Pharan, exposés aux incursions des Sarrasins qui les ont plus d’une fois massacrés, sans aucun nom propre pour fixer ce choix ? Pourquoi ne pas situer sur le dj. Katherin, ipus

élevé de plus de trois cents mètres, les entretiens de Moïse avec Dieu ? Une pareille tradition possède et serait inébranlable si l’on pouvait prouver que le nom de Sina s'était conservé. Il est vrai que sainte Sylvie prononce ce nom : « irions… qui specialis Syna dicitur » (p. 37), mais elle connaît malheureusement aussi l’Horeb, « qui locus appellaturin Choreb » (p. 40), et cela devient suspect, d’autant que dans Antonin (Tobler, p. 112), l’Horeb paraît très bien être ailleurs. » M. J. Lagrange, Le Sinai biblique, dans la Revue biblique, 1899, p. 391. On ajoute le témoignage d' « écrivains anciens qui vivaient dans le voisinage ou ont visité la péninsule, et sont, par conséquent, les mieux renseignés et les plus compétents : Ammonius, de Canope, saint Nil, moine du Sinaï, Procope, Antonin le Martyr, Eulychius, désignent clairement, non le Serbal, mais le djebel Mûsa comme le Sinaï. Seul, Cosmas Indicopleuste décrit le « mont Choreb, c’est-à « dire le Sinaï, » dit-il, comme étant à six milles de Pharan, ce qui convient assez bien à la distance qui sépare cette ville du Serbal. Mais le témoignage de ce marchand devenu moine est sans autorité et sa description n’est nullement claire et précise. » F. Vigouroux, La Bible et les découvertes modernes, t. ii, p. 493. La tradition la plus commune a. donc depuis longtemps placé le mont Sinaï au djebel Mûsa actuel. Cependant le Serbal a aussi ses partisans, dont les principaux sont Burckhardt, Lepsius, Hogg, Bartlett, Forster, Stewart et surtout G. Ebers, Durch Gosen zum Sinai, p. 392438, 599-600. Mais les raisons de convenance topographi que ne leur sont pas plus favorables que la tradition.

Si, en effet, la Bible ne nous apporte aucune lumière directe, elle fournit certains arguments indirects qui permettent d'éliminer le Serbal pour choisir le djebel Mûsa. D’après le récit sacré, le sommet de la montagne sainte dominait le lieu où étaient rassemblés les Israélites, non pas le lieu du campement, mais celui où Moïse les réunit pour assister aux manifestations divines. Il devait donc y avoir « au pied de la montagne » une plaine assez grande pour contenir le peuple. Exod., xix, 17, 18. — La montagne devait être assez isolée pour qu’on pût établir des limites qui empêchaient les hommes et les animaux d’en toucher les bords. Exod., xix, 12, 13. — Le sommet devait être un pic bien déterminé, visible de la plaine. Exod., xix, 11 ; xx, 18. — Enfin la Bible suppose les environs du Sinaï assez bien arrosés, puisque Moïse jeta le veau d’or, réduit en poudre, « dans le torrent qui descend de la montagne. » Deut., ix, 21. D’aiileurs, comme les Hébreux restèrent dans ces parages pendant un an, ils durent y trouver des pâturages suffisants pour leurs troupeaux.

Ces différents traits ne peuvent s’appliquer au Serbal. Il n’y a pas dans le voisinage de plaine suffisante pour recevoir une grande foule. Les vallées qui l’entourent, ouadi 'Aleyât et ouadi er-Rimm, sont aujourd’hui obstruées par des masses d'éboulis qu’ont amenées les pluies d’hiver ; leur aspect ne devait pas différer au temps de Moïse. D’autre part, les Israélites, en les occupant, auraient été divisés en deux sections par les hauteurs granitiques qui les séparent. Le pic le plus élevé n’est visible d’aucun point de Youadi 'Adjeléh, et l’est seulement d’un ou deux endroits dans Youadi Feirân. Il y a bien une certaine quantité d’eau dans le voisinage, mais aucun ruisseau ne descend de la montagne de manière à répondre au récit biblique. On a voulu attribuer au Serbal un caractère religieux, en raison de son nom, qui signifierait « c le Seigneur Baal », Ser Ba’al, ou « le bosquet de palmiers de Baal », Serb Ba’al ; mais ces étymologies sont fausses. Les ruines qu’on trouve sur son sommet et qu’on rattache au culte du même dieu sont relativement récentes. Enfin les inscriptions sinaïtiques, dont on a cherché à