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SINAÏ


développée par A. von Gall, Altisræhtische Kultstâtten, Giessen, 1898, p. 1-22. Une seconde le cherche non loin des limites méridionales de la Palestine, dans la région &"Aïn Qedeis, l’ancienne Cadès, dans le pays d’Édom. Cf. H. Winckler, Geschichte Isræls, Leipzig, 1895, t. i, p. 29 ; R. Smend, Lehrbuch der Alttestamentlichen Religionsgeschichte, Fribourg-en-Brisgau, 1899, p. 35, n. 2 ; R.Weill, £e séjour des Israélites au désert, qui traite longuement la question. Toutes les deux s’appuient naturellement sur la diversité des sources que la critique contemporaine distingue dans le Pentateuque, et cherchent à opposer un document à un autre. Nous les suivons sur ce terrain pour les combattre d’après leurs propres principes.

Le plus jeune des documents relatifs au voyage des Hébreux à travers le désert est, nous dit-on, le catalogue des stations donné dans le livre des Nombres, xxxiii. Il fait partie du Code sacerdotal (P) et est l’écho de la tradition juive postérieure à l’exil. M. von Gall, Altisr. Kult., p. 1, reconnaît que, pour l’auteur de ce morceau, le Sinaï est certainement dans la péninsule qui en tire son nom ; il en est de même pour le rédacteur final du Pentateuque.il est incontestable, en effet, que l’ensemble des stations, malgré les difficultés qu’il y a souvent à les identifier, trace la route des Israélites, d’abord sur la côte orientale du golfe de Suez, puis à travers le dédale montagneux de la presqu’île sinaïtique, enfin dans la direction du nord-est. C’est ce que nous montrerons. Nous avons donc là un premier point parfaitement acquis, à savoir, comme conclut lui-même M. von Gall, op. cit., p. 2, que « la tradition qui cherche le Sinaï dans la péninsule à laquelle il a donné son nom s’affirme déjà vers 400 avant J.-C. » Nous pouvons, avec le même auteur, remonter deux ou trois siècles plus haut, et nous trouverons un témoignage analogue dans la source éphraïmite ou élohiste (E), au moins sous sa forme dernière. D’après ce document, les Hébreux, ayant traversé la mer Rouge, se dirigent par Mara, Exod., xv, 23 ; Élim, Exod., xv, 27 ; Raphidim, Exod., xvii, 8, vers le Sinaï. Exod., xix, 2. C’est, en résumé, la même marche que dans le catalogue, Num., xxxiii, 8, 9, 14, 15. M. von Gall, op. cit., p. 4, mentionne encore Exod., IV, 27, où il est dit que Dieu envoya Aaron au-devant de Moïse, « dans le désert », et que la rencontre des deux frères eut lieu auprès de « la montagne de Dieu », Horeb ou Sinaï. Pour Aaron, qui part de l’Egypte, le désert ne peut être que celui de l’Arabie Pétrée, le chemin qu’avait pris Moïse dans sa fuite. Donc l’élohiste plaçait encore l’Horeb dans la péninsule. Mais ce dernier passage va contre la thèse que M. von Gall prétend appuyer sur d’autres textes, et qui place le Sinaï en Madian, à l’est du golfe Élanitique. Si, en effet, la montagne sainte se trouve dans ce pays, on ne peut plus dire qu’Aaron y a rencontré son frère ; il est venu l’y chercher. Quoi qu’il en soit, nous conclurons encore avec notre auteur, op.cit., p.4, que 700 ans avant l’ère chrétienne, la tradition juive, représentée par E, nous montre l’Horeb-Sinaï dans la péninsule.

Mais tout autre, affirme-t-on, est la tradition du Jahviste (J). Plus ancien que E, celui-ci plaçait le Sinaï à l’orient du golfe d"Aqabah. On lit, en effet, Exod., ii, 15, que Moïse, fuyant la colère du pharaon, chercha un refuge dans « le pays de Madian », et s’établit près « du prêtre de Madian », en épousant une de ses filles. Exod., ii, 16, 21. C’est en faisant paître les brebis de son beau-père qu’il arriva un jour dans le désert, à la montagne de Dieu, l’Horeb. Exod., iii, 1. Plus tard, Jéthro, apprenant l’heureuse délivrance du peuple d’Israël, vint trouver Moïse « dans le désert, où il était campé près de la montagne de Dieu. » Exod., XVIII, 1, 5. « Moïse habitait donc après sa fuite dans le pays de Madian. Or, Madian était certainement situé à l’orient

de la mer Rouge, sur la côte occidentale de la péninsule arabique, près de Maknâ actuel et pas plus bas que Ainûna. » A. von Gall, op. cit., p. 8. — Nous ne nions pas que telle ait été la situation de Madian. Mais la conclusion qu’on en tire est fausse. Nous ferons remarquer d’abord qu’il est difficile de donner des limites fixes à un pays habité par un peuple, sinon tout à fait nomade, au moins voyageur et changeant, et dont les rameaux se sont dispersés en différents endroits, peuple qu’on retrouve dans la région de Moab, Gen., xxxvi, 35 ; à l’orient de la Palestine, associé aux Amalécites et aux benê Qédém, Jud., vi, 3, 33 ; entre Edom et Pharan, sur la route de l’Egypte.

I (III) Reg., xi, 18. Voir Madian, Madianites, t. iv, col. 532, 534. Est-il donc impossible que les limites de ce pays se soient étendues de l’autre côté du golfe d"Aqabah, sur sa côte occidentale ? Rien ne le prouve. En second lieu, la Bible, loin de confondre le Sinaï et Madian, distingue les deux, en nous montrant que Jéthro n’est pas chez lui au Sinaï, mais que, après son entrevue avec Moïse, « il s’en retourne dans son pays. » Exod., xviii, 27. Il en est de même de Hobab le Madianite. Num., x, 29-30. On comprend enfin que Moïse, comme tous les pasteurs de ces régions, se soit éloigné de son beau-père pour aller chercher des pâturages dans l’intérieur du désert. Exod., iii, 1. Tout s’explique en ne confinant pas exclusivement le pays de Madian à l’orient du golfe Élanitique. Ajoutons que la tradition concernant l’origine du beau-père de Moïse n’est pas uniforme. À côté de celle du Madianite, il y a celle du Cinëen (hébreu : Qênî). Jud., i, 16 ; iv, 11. Or, les Cinéens habitaient certainement la péninsule sinaïtique. Voir Cinéens, t. ii, col. 768. Nous dirons en dernier lieu que tous les auteurs n’admettent pas l’antériorité de J par rapport à E.

L’argument qui suit montre avec quelle étonnante facilité la critique bouleverse le texte biblique, quels procédés elle emploie pour arriver à ses conclusions. D’après Exod., iii, 18, le peuple d’Israël devait faire un voyage de trois jours dans le désert, pour sacrifier à son Dieu. Cette fête du désert revient souvent dans l’Exode et toujours dans le récit de J. Cf. Exod., v, 3 ; vu, 16, 26 (hébreu ; Vulgale, viii, 1), etc. Nous lisons, Exod., xv, 22, que le peuple, après le passage de la mer Rouge, marcha trois jours dans le désert de Sur, sans trouver d’eau. Mais la suite de ce verset n’est pas au jl. 23, puisqu’on rencontre à Mara de l’eau, quoique amère. Il faut aller la chercher au chapitre xvii, 1 sq., où il est dit que « le peuple n’avait pas d’eau à boire. » Or l’endroit mentionné dans ce dernier passage est Cadès, puisqu’il est appelé, ꝟ. 7, Massàh et Merîbdh, et que Merîbâh équivaut à Cadès. Les Hébreux étaient donc, au bout de trois jours, à Cadès, et c’est de là qu’ilspartirent pour le Sinaï, c’est-à-dire au sud-est, dans le pays de Madian. Cf. A. von Gall, op. cit., p. 9-10. —

II est facile de réfuter de pareils arguments. — 1° Les trois jours de marche dont il est question, fussent-ils à prendre dans un sens précis, et non comme chiffre rond, n’indiquent pas nécessairement une marche à partir du désert, mais plutôt à partir des établissements israélites vers la limite du désert. — 2° Cette manière de traiter le texte biblique est vraiment trop commode ; elle peut aboutir aux opinions les plus singulières. En fait, y a-t-il raison suffisante de distinguer deux auteurs dans les deux versets qui se suivent ? Nous ne le croyons pas. Les Israélites, ne trouvant pas d’eau dans une station, vont une station plus loin. Là, l’eau est. amère, mais un miracle la rend douce. Dans une des haltes suivantes, à Raphidim, le manque d’eau se fait encore sentir ; un second et plus grand miracle la fait sortir du rocher. Est-il nécessaire de bouleverser tout un récit pour mettre un prétendu accord entre les faits, lorsque cet accord est tout naturel en suivant