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SIBYLLINS (ORACLES)


temps connu que les huit premiers livres. Le cardinal Mai a le premier publié les livres XI-XIV, les livres IX-X manquent. Les manuscrits qu’on possède des Oracula sibyllina se partagent en trois familles, dont les deux premières ne donnent que les livres I-VIII ; la troisième famille est celle qui a fourni à Mai les livres XI-XIV. Un livre XV est mentionné, dont on n’a rien. Voir F. Blass, dans Kautzsch, Die Apokryphen und Pseudepigraphen des Allen Testaments, Tubingue, 1900, t. ii, p. 181.

Le recueil des Oracula sybillina s’ouvre par un prologue en prose, introduction qui d’ailleurs n’est donnée que par une famille de manuscrits sur trois. L’auteur de cette introduction expose l’intérêt qu’ont pour un chrétien ces oracles païens où le Christ est annoncé. Il énumère dix sibylles, empruntant ses informations à Lactance, qu’il prend pour un philosophe païen, prêtre du Capitule. Ce prologue a dû être écrit après la fin du ve siècle, avant la fin du vie. L’auteur est sûrement un Byzantin, car il appelle Rome . P(i[iY] irpeog’jTspa, expression qui l’oppose à la nouvelle Rome, Conslantinople.

Les oracles eux-mêmes sont en vers hexamètres et écrits dans le dialecte qu’on est convenu d’appeler homérique, eu égard à ce que de vieilles sibylles païennes ne devaient pas s’exprimer autrement qu’Homère : nous avons affaire à un pastiche, qui n’est pas pourtant une œuvre sans beauté, car çà et là on y rencontre des développements animés d’un véritable souffle poétique. Si l’on veut comprendre l’origine première de ces faux oracles, il faut penser à ce qu’était le judaïsme alexandrin, à la prétention qu’il eut d’helléniser la religion juive, de lui donner une sorte de droit decité grecque, en propageant l’idée que les maîtres de la pensée grecque, Heraclite, Pythagore, Platon, et lesautres, n’étaient que des disciples de Moïse. Ce fut là, a pu dire M. Bousset, Die Religion des Tudentums imneutestamentlichenZeitalter, Berlin, 1903, p. 74, le dogme fondamental du judaïsme hellénisé. Pour le mieux établir, on attribua à Orphée, à Homère, à Hésiode, à Pindare, à Eschyle, à Sophocle, à Euripide, etc., des textes apocryphes ou frelatés qui les accordaient avec Moïse pour la plus grande gloire du judaïsme. Il y eut plus encore : à la littérature apocalyptique palestinienne dont le Livre d’Henoch est le spécimen le plus remarquable, littérature violemment nationaliste, s’oppose une littérature alexandrine, d’inspiration universaliste, elle aussi tournée vers l’avenir pour le prophétiser, et de cette littérature les Oracles sibyllins sont le monument. Renan a dit : « La forme de l’apocalypse alexandrine fut ainsi le sibyllisme. » Les Évangiles, p. 162. Et il ajoute : « Quand un juif ami du bien et du vrai, dans cette école tolérante et sympathique, voulait adresser aux païens des avertissements, des conseils, il faisait parler une des prophétesses du monde païen, pour donner à ses prédications une force qu’elles n’auraient pas eue sans cela… À côté de la fabrique juive de faux classiques, dont l’artifice consistait à mettre dans la bouche des philosophes et des moralistes grecs les maximes qu’on désirait inculquer, il s’était établi, dès le IIe siècle avant Jésus-Christ, un pseudo-sibyllisme dans l’intérêt des mêmes idées. » Cf. Schûrer, t. iii, p. 420. Ce sibyllisme juif n’eut que trop de succès, car il fut accepté sans défiance par des écrivains chrétiens, et il se trouva même parmi eux des lettrés assez entreprenants pour continuer le sibyllisme dans l’intérêt des idées chrétiennes. Ainsi se forma anonymement et collectivement cette collection de poèmes, qui, telle qu’elle est, a dit Schûrer, est un chaos désordonné que la critique la plus sagace n’arrivera jamais à passer au crible et à mettre en ordre. Il n’est même pas possible de séparer sûrement les éléments chrétiens des éléments purement juifs. Les plus

anciens morceaux sont en tout cas juifs, mais peut-être contiennent-ils quelques oracles préexistants d’origine païenne. Schûrer, p. 433.

o) On est d’accord pour considérer le livre III des Oracula sibyllina comme la portion la plus ancienne du recueil. Ce livre III n’est d’ailleurs qu’un reste ; en tête on lit-Êx toy SevTÉpou XfSyou et on y compte 829 vers, alors que la suscription de certains manuscrits en annonce 1034. Théophile d’Antioche [Ad Antolyc, ii, 36, t. vi, col. 1109) cite des vers de la sibylle (84 au total) sur la foi monothéiste, vers que l’on ne retrouve pas dans les manuscrits et que l’on pense avoir figurés primitivement en tête du poëme que constitue notre livre III. Par contre, ce livre III a aujourd’hui en têle des vers qui ne lui appartenaient primitivement pas : le morceau 63-96 est d’une main chrétienne ; le morceau 1-62 est à retrancher aussi du reste du livre. L’origine de ce morceau 1-62 semble juive : les vers4662 peuvent dater de l’an 70 de notre ère.

Mais le livre III (97-829), pour le reste, est juif et il constitue ce que Bousset appelle la plus ancienne, la plus importante et la plus riche des sibylles. Sous forme de prophétie de l’avenir, car la sibylle se donne elle-même pour la belle-fille de Noé (v. 827), toute l’histoire juive est décrite à grands traits, en commençant au récit de la tour de Babel et de la confusion des langues, et en menant de front l’histoire du peuple de Dieu et l’histoire de l’humanité telle que les Grecs la racontaient, le règne de Cronos, la révolte des Titans, puis les grands royaumes, Egypte, Perse, Médie, Ethiopie, Assyrie, Macédoine, Egypte à nouveau, Rome enfin. Il y a des redites et des retours, car l’unité de composition est ce qui manque le plus à ce poème : mais il y a insistance sur la gloire d’Israël, sur sa vocation providentielle qui est d’être la lumière des nations pour la connaissance du vrai Dieu. Les épreuves ne manqueront pas à Israël, mais un roi se lèvera un jour, envoyé de Dieu pour détruire les ennemis de son peuple, et la lin des choses viendra après sa victoire. Nous avons là les thèmes bien connus de l’apocalyptique juive. La venue du roi sauveur estannoncée comme devant se produire sous un roi grec d’Egypte, qui est le septième de sa race (v. 608-614), et que les critiques identifient avec Ptolémée VII Physcon (145-117 avant J.-C). On en conclut que le sibylliste du livre III a dû écrire son poème, vers 140, en Egypte.

Cette datation, qui est celle qu’adopte Schûrer, parait probable. Néanmoins, on a voulu reconnaître parmi les événements prédits parle sibylliste du livre III quelques événements plus récents que Ptolémée VII, et faire de l’auteur un contemporain des derniers temps des Machabées, eu égard notamment à ce qu’il viserait la guerre des Romains contre Mithridate, en 88. Schûrer, p. 434-439 ; P. Lagrange, Le messianisme chez les Juifs, Paris, 1909, p. 81-83 ; Geffken, Komposition, p. 88.

Dans le livre III, les vers 63-96 sont un morceau chrétien, décrivant, sous forme apocalyptique, la mission d’un faux Messie, Béliar, sorti de Samarie. Ce Béliar serait, pour M. Geffken, p. 15, Simon le magicien ; la date de cette petite apocalypse serait indéterminable.

6) Le livre IV (192 vers) est un poème court, mais complet. Il contient un éloge de la justice : Dieu vengera un jour les justes des persécutions qu’ils ont à supporter. Toutes les péripéties de l’histoire se déroulent avant ce jour de Dieu. Suit une description de la fin. Saint Justin (Apolog., xx, 1, t. vi, col. 357) fait allusion à cette description de la fin dumonde parlefeu. L’auteur de cette petite apocalypse, qui est sûrement un juif, connaît la légende de la survivance supposée de Néron, la ruine de Jérusalem par Titus, l’éruption du Vésuve en 79. On suppose qu’il a écrit en 80. Schûrer, p. 441-442 ; Lagrange, p. 64-65 ; Geffken, p. 20.

c) Le livre V (531 vers) est un conglomérat de divers