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SEPTANTE (VERSION DES)


parce qu’elle a été faite à Alexandrie, ou au moins pour les Juifs d’Alexandrie. Cette dénomination est juste, mais elle n’a pas prévalu contre l’usage reçu, et ces critiques suivent eux-mêmes le courant et parlent avec tout le monde de la version des Septante.

III. Origine d’après la légende. — La première mention de cette légende se rencontre dans la Lettre du pseudo-Aristée à son frère Philocrate. Voir t. i, col. 963-964. Deux éditions critiques de cette Lettre ont paru récemment : Thackeray, The Letter of Aristeas, en appendice à An Introduction to the Old Testament, Cambridge, 1900, p. 501-574 ; Wendland, Aristese adPhilocrateni epislola cuni ces teris de origine versionis LXX interpretum testimoniis, Leipzig, 1900. Ce dernier en avait publié une traduction allemande, dans Kautzsch, Die Apokryphenund Pseudepigraphen des Allen Testaments, Tubingue, 1900, t. ii, p. 4-31. M. Schûrer, Geschichte des jûdischen Volhes im Zeitalter Jesu Christi, 3e édit., Leipzig, 1898, t. iii, p. 468470, place la composition de cette Lettre aux alentours de l’an 200 avant Jésus-Christ. Aristobule la connaissait déjà de 170 à 150. L’auteur ne sait rien de la domination des Séleucides sur la Palestine, domination qui commença en 187 ; il ne parle que du grand-prêtre juif et ne connaît pas les princes Machabéens à Jérusalem, il semble ignorer la persécution d’Antiochus et il présente la Judée tranquille et heureuse sous le gouvernement des Ptolémées. Cf. Ed. Herriot, P/iiiora le Juif, Paris, 1898, p. 58. Wendland, dans Kautzsch, op. cit., t. ii, p. 3-4, la reporte à la seconde moitié du I er siècle, de 96 à 63, plus près de 96 que de 63. Gràtz la rabaissait même au début de notre ère, aux années 15-20, Monatschrift fur Geschichte und Wissenschaft des Judenthums, 1876, p. 289, et Willrich, Judaica, Gœttingue, 1900, p. 111-130, après l’an 33. Ces dates semblent trop basses, car la Lettre d’Aristée manifeste une connaissance très exacte de l’époque des Ptolémées, telle que nous Font révélée les inscriptions et les papyrus du temps. « Chose frappante : il n’est pas un titre de cour, une institution, une loi, une magistrature, une charge, un terme technique, une formule, un tour de langue remarquable dans cette lettre, il n’est pas un témoignage d’Aristée concernant l’histoire civile de l’époque, qui ne se trouve enregistré dans les papyrus ou les inscriptions et confirmé par eux. » Lombroso, Recherches sur l’économie politique de l’Egypte sous les Lagides, Turin, 1870, p. xm. Les découvertes plus récentes n’ont pas infirmé cette conclusion et ont montré que la lettre était écrite dans le grec vulgaire alexandrin, qui est la langue des inscriptions et des papyrus. Les arguments des critiques, qui rabaissent la date d’apparition de cette Lettre, sont peu solides et n’infirment pas les précédents.

Or, cette Lettre, qui est un panégyrique de la loi juive, de la sagesse juive, du nom juif, est l’œuvre d’un Juif alexandrin, sous le couvert d’un écrivain païen, qui rend hommage au judaïsme. Officier des gardes de Ptolémée Philadelphe, très estimé du roi, Aristée est un des envoyés du prince qui, sur le conseil de Démétrius de Phalère, voulait enrichir sa bibliothèque, déjà très riche en volumes, de la traduction grecque de la législation hébraïque. Après avoir rendu à la liberté les 100000 Juifs que son père avait ramenés captifs en Egypte, Philadelphe écrivit au grand-prêtre Éléazar pour lui faire part de son désir et lui demander des traducteurs instruits. Aristée décrit longuement la ville de Jérusalem et les cérémonies du temple. Il réussit dans son ambassade. Le grand-prêtre choisit 72 Israélites, six de chaque tribu, dont les noms sont donnés, , et les envoya en Egypte avec un exemplaire de la loi juive, transcrit en lettres d’or, et des présents. Philadelphe reçut avec honneur les députés juifs. Pendant sept jours, il leur offrit de grands repas,

et leur posa toute sorte de questions difficiles, auxquelles ils répondirent avec sagesse, à la grande admiration du roi. Ces fêtes terminées, les 72 envoyés furent conduits dans l’île de Pharos et placés dans un palais royal pour y accomplir dans le silence leur travail de traduction. Chaque jour, ils en faisaient une partie, qu’ils comparaient entre eux pour se mettre d’accord sur le sens à donner au texte. Au bout de 72 jours leur tâche fut terminée. La traduction tout entière fut lue aux Juifs assemblés, qui louèrent son exactitude et sa fidélité. On la lut au roi, qui admira la législation hébraïque et fit mettre la version dans sa bibliothèque. Il chargea enfin les traducteurs de présents pour eux-mêmes et pour le grand-prêtre, avant de les congédier.

Dans un fragment, conservé par Eusèbe, Prsep. evang., xm, 12, t. xxi, col. 1097, de son Explication de la loi mosaïque, Aristobule rappelait à Ptolémée Philométor que, sous son aïeul Philadelphe, une traduction entière de la législation juive avait été faite par les soins de Démétrius de Phalère. Ce dernier renseignement prouve qu’Aristobule connaissait la Lettre d’Aristée, et il est peu vraisemblable qu’il parlait ainsi d’après une tradition indépendante du pseudo-Aristée. Philon, De vita Mosis, II, 5-7, édit. Mangey, t. ii, p, 138-141, a connu le fond de cette légende, sans nommer pourtant Aristée. Il l’a toutefois modifiée en un point important. Il a prétendu que tous les traducteurs, travaillant chacun séparément, se trouvèrent d’accord non seulement pour le sens, mais encore par l’emploi d’expressions absolument identiques, comme s’ils avaient été inspirés par Dieu lui-même. Il ajoute encore qu’on célébrait chaque année, en souvenir de cet événement mémorable, une fête dans l’île de Pharos, où beaucoup de Grecs se rendaient avec les Juifs. L’historien Josèphe reproduisit presque mot pour mol une bonne partie de la Lettre d’Aristée, en résumant le tout. Ant. jud., XII, 2, édit. Dindorf, t. i, p. 435. Voir aussi Ant. jud., proœm., 3, p. 2 ; Cont. Apion., ii, 4, t. ii, p. 371.

Le récit d’Aristée, connu directement ou par l’intermédiaire de Philon et de Josèphe, trouva créance parmi les chrétiens. Saint Justin en rapporte le fond, mais avec des erreurs, en faisant, par exemple, envoyer des ambassadeurs à Hérode par Ptolémée Philadelphe. Apol., i, 31 ; Dial. cum Tryphone, 71, t. vi, col. 376, 641-644. L’auteur de la Cohortatio ad Grsecos (ouvrage qu’on a attribué à saint Justin, mais qui plus probablement n’est pas de lui), 13, ibid., col. 265, 268, apporte aux récits de Philon et de Josèphe cette variante, qui aura du succès : il dit que les 72 interprètes furent enfermés isolément dans des cellules distinctes, dont il a vu les vestiges dans l’île de Pharos, et que, par une influence spéciale du Saint-Esprit, leurs traductions se trouvèrent parfaitement identiques. Saint Irénée admet la même légende des cellules, Cont. hssr., iii, 21, n. 3, 4, t. vii, col. 949-950, ainsi que Clément d’Alexandrie, qui parle de Ptolémée Lagus. Stroni., i, 22, t. viii, col. 889-893. Terlullien, Apologet., 18, t. i, col. 378-381, reconnaît l’inspiration des Septante. Anatolius de Laodicée, dans Eusèbe, H. E., vii, 32, t. xx, col. 728, met Aristobule au nombre des Septante. Eusèbe lui-même cite textuellement une bonne partie de la Lettre d’Aristée. Prsep. evangel., viii, 1-5, 8, 9 ; ix, 34, t. xxi, col. 588-597, 624-636, 757. Cf. Chronic, an. 1736, Pat. Lat., ï. xxvii, col. 485. Saint Cyrille de Jérusalem, Cal., iv, 34, t. xxxiii, col. 497, admet le fond de la légende d’Aristée, ainsi que saint Hilaire de Poitiers, In Psalmos, prol., 8 ; Ps. ii, 2, 3 ; cxviii, litt. iv, 6, t. ix, col. 238, 262-264, 529, en considérant les Septante comme des interprètes très sérieux, mais laissés à leurs propres lumières. Saint Épiphane rapporte des détails nouveaux ; il dit notamment que les Septante, enfermés deux à deux en 36 cellules, s’étaient partagé les 22 ou 27 livres de la Bible hébraïque,