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SAUTERELLE


En 1901, à Lézignan (Aude), les sauterelles ont immobilisé un train dont les roues, empâtées dans une bouillie vivante, patinaient sur place. Il ne se passe guère d’années sans que l’on ait à enregistrer quelque invasion désastreuse, dans un pays ou dans un autre. Voici la description d’une invasion de criquets dans une ferme du Sahel, en Algérie : « Tout à coup, à la porte-fenêlre fermée pour nous garantir de la chaleur du jardin en fournaise, de grands cris retentirent : Les criquets ! les criquets ! Mon hôte devint tout pâle comme un homme à qui on annonce un désastre, et nous sortîmes précipitamment. Pendant dix minutes, ce fut dans l’habitation, si calme tout à l’heure, un bruit de pas précipités, de voix indistinctes, perdues dans l’agitation d’un réveil. De l’ombre des vestibules où ils s’étaient endormis, les serviteurs s’élancèrent dehors en faisant résonner avec des bâtons, des fourches, des fléaux, tous les ustensiles de métal qui leur tombaient sous la main, des chaudrons de cuivre, des bassines, des casseroles. Les bergers soufflaient dans leurs trompes de pâturage. D’autres avaient des conques marines, des cors de chasse. Cela faisait un vacarme effrayant, discordant, que dominaient d’une note suraiguë les you ! you ! you ! des femmes arabes accourues d’un douar voisin. Souvent, paraît-il, il suffit d’un grand bruit, d’un frémissement sonore de l’air, pour éloigner les sauterelles, . les empêcher de descendre. Mais où étaient-elles donc, ’ces terribles bêtes ? Dans le ciel vibrant de chaleur, je ne voyais rien qu’un nuage venant à l’horizon, cuivré, compact, comme un nuajfe de grêle, avec le bruit d’un vent d’orage dans les mille rameaux d’une forêt. C’étaient les sauterelles. Soutenues entre elles par leurs ailes sèches étendues, elles volaient en masse, et malgré nos cris, nos efforts, le nuage s’avançait toujours, projetant dans la plaine une ombre immense. Bientôt il arriva au-dessus de nos têtes : sur les bords on vit pendant une seconde un effrangeaient, une déchirure. Comme les premiers grains d’une giboulée, quelques-unes se détachèrent, distinctes, roussâtres ; ensuite toute la nuée creva, et cette grêle d’insectes tomba drue et bruyante. À perte de vue, les champs étaient couverts de criquets, de criquets énormes, gros comme le doigt. Alors le massacre commença. Hideux murmure d’écrasement, de paille broyée. Avec les herses, les pioches, les charrues, on remuait ce sol mouvant, et plus on tuait, plus il y en avait. Elles grouillaient par couches, leurs hautes pattes enchevêtrées ; celles du dessus faisaient des bonds de détresse, sautant au nez des chevaux attelés pour cet étrange labour. « Les chiens de la ferme, ceux du douar, lancés à travers champs, se ruaient sur elles, les broyaient avec fureur. A ce moment, deux compagnies de turcos, clairons en tête, arrivèrent au secours des malheureux colons, et la tuerie changea d’aspect. Au lieu d’écraser les sauterelles, les soldats les flambaient en répandant de longues tracées de poudre. Fatigué de tuer, écœuré par l’odeur infecte, je rentrai. À l’intérieur de la ferme, il y en avait presque autant que dehors. Elles étaient entrées par les ouvertures des portes, des fenêtres, la baie des cheminées. Au bord des boiseries, dans les rideaux déjà tout mangés, elles se traînaient, tombaient, volaient, grimpaient aux murs blancs avec une ombre gigantesque qui doublait leur laideur. Et toujours cette odeur épouvantable. À dîner il fallut se passer d’eau. Les citernes, les bassins, les puits, les viviers, tout était infecté… Le lendemain, quand j’ouvris ma fenêtre comme la veille, les sauterelles étaient parties ; mais quelle ruine elles avaient laissée derrière elles ! Plus une fleur, plus un brin d’herbe : tout était noir, rougi, calciné. Les bananiers, les abricotiers, les pêchers, les mandariniers, se reconnaissaient seulement à l’allure de leurs branches dépouillées, sans le charme,

le flottant de la feuille qui est la vie de l’arbre. On nettoyait les pièces d’eau, les citernes. Partout des laboureurs creusaient la terre pour tuer les œufs laissés par les insectes. Chaque motte était retournée, brisée soigneusement. Et le cœur se serrait de voir les mille racines blanches, pleines de sève, qui apparaissaient dans ces écroulements de terre fertile. » A. Daudet, Lettres denion moulin, xxi, Paris, 1884, p. 333-335. Si l’on ne réussit pas à éloigner les sauterelles, quand elles sont repues, elles souillent tout ce qui reste d’une bave qui corrode et brûle la végétation. Elles causent encore plus de mal après leur mort ; leurs cadavres entassés répandent l’infection et engendrent des maladies contagieuses qui font périr les hommes après les récoltes. Cf. Vigouroux, La Bible et les découvertes modernes, 6e édit., t. ii, p. 338.

5° Ennemis. — Les criquets ont desennemisqui mettent obstacle à leur multiplica tion excessive. Une chasse active leur est faite par des oiseaux de la famille des étourneaux, le martin rose, pastorroseus, qui a la faculté d’absorber les sauterelles presque sans limites, à cause de la rapidité extraordinaire de sa digestion, et vit en troupes nombreuses, cf. Lortet, La Syrie d’aujourd’hui, Paris, 1884, p. 215, le martin triste, acridotheres tristis, l’oiseau des sauterelles, glareola melanoptera, etc.

313. — Œdipoda migrator ia.

Certaines mouches, Yanthomyaangustifrons, l’épicaute rayée, epicauta vittata, détruisent une grande quantité d’oeufs d’acridiens. Enfin, des champignons parasites, spécialement l’entomophtora Grilli, envahissent l’organisme des criquets, s’y développent, paralysent les organes et amènent la mort de l’insecte. Tous ces ennemis n’arrivent pas à arrêter la multiplication des acridiens. Aujourd’hui, l’on a recours à divers moyens mécaniques pour détruire sur place les œufs ou les insectes encore incapables de voler. Mais, pas plus qu’autrefois, l’on ne peut empêcher les criquets nés dans les déserts, de fondre tout d’un coup sur les régions cultivées par les hommes.

II. Les sauterelles dans la Bible. — 1° Leurs noms divers. — Les Hébreux connaissaient diverses variétés de sauterelles ; ils ont plusieurs mots pour désigner soit les espèces différentes, soit la même espèce à ses différentes périodes de développement. 1.’Arbéh, de rdbdh, « être nombreux », ixp£c noX^, locusta, la sauterelle considérée au point de vue de la multitude des individus, telle qu’on la constata à la huitième plaie d’Egypte. Exod., x, 4. Il s’agit ici d’acridiens migrateurs tels queYacridium peregrinumet Vœdipoda migratoria (6g. 313). On a constaté que ces insectes viennent en Egypte de l’est, et en Syrie du sud et du sud-est ; par conséquent ils se multiplient dans les déserts de l’Arabie. — 2. Gêb, gôb ou gôbay, âxp’ç, bruchus, locusta, sans rien qui indique une espèce particulière. Is., xxxiii, 4 ; Am., vii, 1 ; Nah., iii, 17.

— 3. Gdzâm, de gdzam, « couper », x<z|im), eruca, « chenille », probablement la sauterelle encore à l’état de larve, comme l’indique la place qu’elle occupe dans l’énumération de Joël, 1, 4 ; ii, 25 ; Am., iv, 9. — 4. I).âgàb, àzptc, locusta, sauterelle comestible et sauteuse. Lev., xi, 22 ; Num., xiii, 33 ; Is., XL, 22 ; Eccle., xii, 5. — 5. Jfasîl, « dévorante », (JpoOxoc, bruchus, Deut., xxviii, 38 ; III Reg., viii, 37 ; Ps. lxxviii, 46 ; Is, , txxra, 4 ; Jo., i, 4. — 6. Ifargôl, £f iGu.dr/11,