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SADDUGÉENS

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texte du Pentateuque, Matth., xxii, 32, alors que tant d’autres plus décisifs auraient pu être empruntés aux prophètes. Mais on convient généralement aujourd’hui que les Pères, en s’exprimant ainsi, ont donné plus de portée qu’il ne fallait à l’observation de Joséphe. Il est certain que si les Sadducéens avaient partagé, au sujet des écrits bibliques, l’opinion des Samaritains abhorrés, qui ne recevaient que le Pentateuque, leur position eût été intenable au sanhédrin et surtout au souverain pontificat. Or, comme l’a observé Josèphe, Ant. jud., XVIII, i, 4, la crainte du peuple les obligeait parfois à se ranger à la manière de voir des Pharisiens ; ils n’eussent pas manqué de le faire, pour conserver leurs charges, si leurs opinions sur la Bible eussent été inacceptables. L’argument tiré du Pentateuque par Notre-Seigneur ne prouve nullement que les Sadducéens n’admettaient que les livres de Moïse. On conçoit très bien que, pour donner plus de force à sa réponse, le Sauveur ait emprunté à un texte de Moïse le moyen de réfuter une objection appuyée sur un autre texte du même auteur. Dans le Talmud, on voit les Pharisiens alléguer des textes prophétiques contre les Sadducéens, sans que ceux-ci réclament. Gem. Sanhédrin, 11. 2. C’est donc que ces derniers avaient la même Bible que tous leurs compatriotes. Ils ne rejetaient en définitive que les traditions non écrites, c’est-à-dire ces règles et ces interprétations qui se transmettaient oralement et se multipliaient à l’excès. Il y avait cependant des traditions qu’ils admettaient. Sanhédrin, 33 b ; Horayoth, ka. Ils tenaient sans doute à rester libres d’accepter celles qui leur convenaient.

2° Sur l’existence des esprits. — « Les Sadducéens disent qu’il n’y a point de résurrection, ni d’ange et d’esprit. » Act., xxiii, 8. Ils n’admettaient point d’autre esprit pur que Dieu. Par conséquent point d’anges, point d’âmes séparées du corps et, comme corollaire, pas de résurrection du corps pour rejoindre une âme qui n’existe plus. Les Sadducéens « nient la survivance des âmes, les supplices et les récompenses de l’autre vie… La doctrine des Sadducéens est que les âmes périssent avec les corps. » Josèphe, Bell, jud., II, viii, 14 ; Ant. jud., XVIII, i, 4. « Les Sadducéens formulent ainsi leur négation : la nuée se dissout et s’en va, ainsi celui qui descend au tombeau ne revient pas. » Tanchuma, 3, 1. Peut-être les Sadducéens prétendaient-ils s’en tenir sur ces différents points aux anciens textes bibliques, qui n’étaient pas très explicites. Si l’existence des anges et des démons apparaît assez claire dans le Pentateuque et dans Job, ce qui rend la négation des Sadducéens inexcusable, la survivance des âmes restait une question obscure au moins quant au mode de cette survivance. Le Se’ôl semblait un état indécis, sans récompense ni châtiment. Quant à la résurrection des corps, elle n’avait été enseignée d’une manière positive que par Daniel. Toutes ces notions sur l’autre vie étaient encore imprécises pour les Juifs. Il y avait là des questions qui fournissaient matière à discussion entre Pharisiens et Sadducéens. Mais les raisons apportées par les premiers étaient souvent sans valeur. Cf. Midrasch Kohelelh, fol. 114, 3. Les seconds y trouvaient facilement des motifs de ne pas croire. En tous cas, dans l’opinion générale, la négation des Sadducéens avait assezpeu de conséquence pour que ceux-ci pussent exercer les premières charges dans le Temple, sans révolter ni même trop étonner personne.

3° Sur l’action de la Providence. — c Les Sadducéens suppriment totalement le destin et nient que Dieu soit pour quelque chose quand on fait le mal ou qu’on s’en abstient. Ils disent qu’il dépend de l’homme de choisir le bien ou le mal et que chacun va à l’un ou à Tau-Ire à son gré. » Josèphe, Bel l. jud., III, viii, 14. Au point de vue individuel, la théorie sadducéenne pouvait passer pour une revendication de la liberté humaine,

et la négation légitime de cette force nécessitante que les païens appelaient le destin etquiimposaità l’homme certains actes bons ou mauvais. Elle rejetait cependant toute influence de Dieu sur la conduite de l’homme. C’était la négation anticipée de la grâce et l’affirmation de l’indifférence divine vis-à-vis des actes de l’homme, qu’aucune sanction ne devait d’ailleurs atteindre dans l’autre vie. La inorale se résumait ainsi pour chacun à se tirer d’affaire le plus habilement possible, de manière à s’assurer les avantages de la vie présente. Toute la conduite des Sadducéens, qui n’admettaient dans leur secte que des riches, cf. Josèphe, Ant. jud., XIII, x, 6, s’inspirait de ces principes. Au point de vue national, leur théorie avait une portée plus grave. Elle rejetait l’action providentielle de Dieu sur la nation, au moins pour le présent et pour l’avenir. Dieu semblait se désintéresser de son peuple, qu’il abandonnait à la domination des étrangers. Il n’y avait donc plus rien à attendre de lui, pas même ce Messie libérateur sur lequel comptaient les Pharisiens et en général tous les enfants d’Israël. Dieu ne se mêlant de rien et les Juifs n’étant pas assez puissants pour se libérer eux-mêmes, le plus sage était donc de s’accommoder de la situation présente en faisant bonne figure aux Romains, pour jouir sous leur protection des biens de la vie. Le riche que Notre-Seigneur met en scène dans une de ses paraboles en face du pauvre Lazare, Luc, xvi, 19-81, parait bien avoir été l’un de ces Sadducéens jouisseurs, qui se réveille tout d’un coup dans une autre vie à laquelle il ne croyait pas et dont ses cinq frères n’admettaient pas la réalité.

— 4° Sur le droit criminel. — « Dans les jugements, les Sadducéens étaient plus durs que tous les autres Juifs. » Joséphe, Anl. jud., XX, ix, 1. Ils tranchaient ainsi avec les Pharisiens, qui étaient « naturellement disposés à se montrer cléments dans l’application des peines. » Josèphe, Ant. jud., XIII, x, 6. Cette différence provenait de ce que les Sadducéens s’en tenaient rigoureusement à la loi écrite, tandis que les Pharisiens admettaient les adoucissements consacrés par la tradition. Les premiers réclamaient l’application stricte de la loi du talion, alors que les seconds se contentaient de compensations pécuniaires. Cf. Yadayim, IV, 76. Pourtant, dans le cas du faux témoin, Deut., xix, 19-21, ils n’admettaient le châtiment du coupable que quand son témoignage avait produit son effet, tandis que les Pharisiens exigeaient le châtiment pour le seul fait du faux témoignage en lui-même. Cf. Makkoth, I, 6. On voit que les Sadducéens n’avaient pas toujours la sévérité dont Josèphe les accuse. Ils gardaient cependant une certaine raideur même entre eux, toujours avec l’idée de se montrer inflexibles et impartiaux sur l’application de la loi. « Les Pharisiens s’aiment les uns les autres et s’accordent ensemble pour leur commune utilité. Les Sadducéens n’ont pas cette bienveillance les uns pour les autres, et ils se comportent entre eux comme avec des étrangers. » Josèphe, Bell, jud., II, vm, 14.

5° Sur les questions rituelles. — C’était là une source d’interminables discussions entre les Pharisiens et les Sadducéens, parce que ces derniers se refusaient à tenir pour obligatoires les règles de pureté légale que les premiers avaient multipliées à plaisir. Ils se moquaient même des minuties et des inconséquences dans lesquelles tombaient les interprètes de la légalité. Ainsi les Pharisiens ayant jugé à propos de purifier le candélabre du Temple, les Sadducéens dirent qu’ils en viendraient à purifier le globe du soleil. Cf. Yadayim, iv, 6, 7 ; Chagigah, iii, 8. Les Pharisiens déclaraient impures les Sadducéennes, « si elles suivaient le chemin de leurs pères. t> Nidda, iv, 2. Cependant, dans certains cas, les Sadducéens se montraient plus stricts que les autres dans leurs exigences.