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SACRIFICE


En se nourrissant de la chair de la victime, il devient le commensal de la divinité, ce qui est pour lui le gage suprême du pardon ou de la bienveillance. Cf. Lagrange, Études sur les relig. sémitiques, Paris, 1905, p. 246-274.

Idée de la substitution.

Un autre élément capital est à constater dans ces sacrifices anciens, surtout quand ils ont un caractère expiatoire. L’homme se sent coupable ; aussi, bien souvent, c’est l’homme qui est immolé. Mais la victime n’est pas identique au coupable ; ce dernier se substitue le prisonnier de guerre ou un homme plus faible que lui. Puis, avec le temps, à une vie humaine on substitue une vie animale et les dieux sont censés agréer cette substitution, que l’on croit légitime et efficace. C’est ainsi qu’en Egypte on détourne sur la tête de la victime-animale, par des imprécations, les maux qui pourraient atteindre les hommes eux-mêmes. Le bœuf choisi pour l’immolation était marqué d’un sceau, cf. Hérodote, ii, 38, et ce sceau représentait un homme agenouillé, attaché à un pieu, les mains liées sur le dos et la gorge percée d’un couteau, image sensible du rôle que la victime allait remplir par substitution. Cf. Döllinger, Paganisme et Judaïsme, t. ii, p. 307.


276. — Lectisternium, banquet offert à Sérapis, à Isis, au Soleil et à la Lune, caractérisés par leurs attributs. Relief sur la poignée d’une lampe d’argile. Bartoli, Lucernæ vet. sepuler., ii, pl. 34.

Cette idée de substitution d’une victime animale à une victime humaine est clairement exprimée dans des vers d’Ovide. Fast., vi, 158-161. Le poète fait parler la nymphe Grana qui, pour obtenir la délivrance du jeune enfant Proca, menacé par les oiseaux de la nuit, offre à ces derniers les entrailles d’une truie de deux mois avec cette adjuration : « Oiseaux de la nuit, dit-elle, ne touchez pas aux entrailles de l’enfant : au lieu de ce petit, une petite victime est immolée. Recevez, je vous prie, cœur pour cœur, fibres pour fibres : nous vous offrons cette vie à la place d’une meilleure. » Toutes ces idées constitutives du sacrifice chez les anciens peuples se retrouvent plus nettes et plus épurées chez les Hébreux. Cf. Bähr, Symbolik des mosaischen Quitus, Heidelberg, 1839, t. ii, p. 189-294 ; J. de Maistre, Éclaircissement sur les sacrifices, dans Œuvres choisies, édit. Pages, Paris, s. d., t. i, p. 203-208.

II. Sacrifices des patriarches.

Caïn et Abel.

La Sainte Écriture fait remonter aux fils mêmes d’Adam la pratique des sacrifices. Caïn, qui était agriculteur, offrait an Seigneur des produits de la terre en oblation, minḥâh ; Abel, qui était pasteur, offrait des premiers-nés de son troupeau et de leur graisse. Gen., iv, 3, 4. De part et d’autre, le verbe employé pour caractériser l’acte des deux frères est l’hiphil de bô’, « faire entrer, introduire, présenter ». Dieu traita différemment l’oblation de l’un et de l’autre ; il regarda Abel et sa minḥâh, il ne regarda pas Caîn et sa minḥâh. Ce regard était un regard de complaisance. Il fut accordé à l’un et refusé à l’autre, non pas à raison de leurs dons, puisque chacun offrait ce qui était en son pouvoir, mais à cause de leurs dispositions intérieures. Cf. I Joa., iii, 12 ; S. Ambroise, De incarn. sacrant., i, t. xvi, col. 819 ; S. Grégoire, Epist. cxxii, t. lxxvii, col. 1053.


277. — Sacrifice et banquet sacré. Bas-relief votif. — En haut, la prêtresse d’une association religieuse (thiase), les mains jointes, fait amener la victime près de l’autel, devant lequel se tiennent Apollon citharède et Cybèle. En bas, les membres de l’association prennent part au repas sacré. A gauche, au-dessous, des musiciens ; adroite, des esclaves remplissent de vin des cratères.

L’Épitre aux Hébreux, xi, 4, l’indique particulièrement : « C’est par la foi qu’Abel offrit à Dieu un sacrifice plus excellent que celui de Caïn. » D’après les versions, « regarder » équivaut ici à « se complaire » ; seul, Théodotion traduit le mot par ἐνεπύρισεν, « il consuma ». Cf. Lev., ix, 24 ; S. Jérôme, Hebr. quæst. in Gen., t. xxiii, col. 944. Le texte ne dit rien sur la cause qui détermina Caïn et Abel à faire leurs oblations. Peut-être Dieu intervint-il pour formuler un ordre ou un désir ; on s’expliquerait ainsi l’obéissance extérieure de Caïn et son mauvais vouloir intérieur. Toutefois, conformément au génie de la langue hébraïque, « ne pas regarder », opposé à « regarder »