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ROYAUME DE DIEU


que L’identification du royaume avec l’Église soit surtout devenue classique depuis la controverse donatiste, elle n’était pas entièrement inconnue auparavant. Elle est déjà insinuée dans les passages qui appliquent à l’Église le parabole de l’ivraie et du bon grain : S. Calixte, d’après Philosophoumena, ix, 12, édit. Cruice, Paris, 1860, p. 444 ; S. Cyprien, Epistol., liv (al. li), t. iv, col. 344 ; S. Optât de Milève, De schismate Donatistarum, vu, 2, t. xi, col. 1085 ; S. Jérôme, In Matth., xiii, 37, t. xxvi, 261. — Cf. aussi Aphraate, Demonstr., xxi, 13, édit. Graffin, t. i, p. 966 ; surtout S. Augustin, De s. virginitate, xxiv, t. XL, col. 409, et S. Grégoire, Moral., xxxii, t. lxxvi, col. 695 ; Exposit. in I Beg., 1. 1, iii, t. lxxix, col. 76 ; Homil. inEv., 1. I, homil. xii, t. lxxvi, col. 1118.

On a pu remarquer que les principaux textes relatifs au royaume-Église sont puisés dans Matth., qui pour cette raison est souvent appelé l’Évangile de l’Église. Le caractère « ecclésiastique » du premier Évangile est franchement reconnu par la plupart des criïiques. i. Weiss, Die Predigt Jesu, p. 38, lui trouve un penchant décidé pour les théories catholiques. H. J. Holtzmann, Handcommentar zum Neuen Testament, Die Synoptiker, 190l, p. 259, reconnaît que « la conscience ecclésiastique, qui trouve son expression dans toute cette enclave (Matth., xvi, 18-19), est en principe déjà catholique, à cause de l’unification des concepts « Église * et « royaume des cieux t ; cf. Lehrbuch, t. i, p. 210-214. D’accord avec eux, Loisy, Évangiles synoptiques, t. i, p. 136-137, écrit : « Le premier évangile est, entre tous, un livre d’édification, l’on pourrait même dire d’organisation ecclésiastique… ; l’Église est pour (le rédacteur ) le royaume des cieux déjà réalisé. » — Ces aveux sont significatifs ; on ne fait donc pas difficulté de concéder que, d’après Matth., le Christ a parlé d’une Église visible, d’un organisme social destiné à durer, et que cette Église équivaut, dans sa pensée, au royaume des cieux. Pour se débarrasser de textes si gênants, on les met au compte du rédacteur. Le procédé est commode, mais il a le tort d’être la conséquence nécessaire d’un système préconçu, l’impossibilité que le Christ ait prévu et voulu fonder une Église.

II. le royaume dans SAlNr paul. — 1° Le royaume <le Dieu n’occupe plus dans l’enseignement de saint Paul le rang prépondérant qu’il avait dans les Synoptiques ; il disparait presque derrière les grandes thèses christologiques. L’Apôtre a même une tendance à identifier le royaume de Dieu avec celui du Christ, Eph., v, 5 ; Col., i, 13 ; Il Tim., lv. 1, 18 ; en effet le Christ et Dieu, c’est tout un. Philipp., ii, 6.

2° Pour saint Paul, le royaume est en un sens déjà présent, « car il faut que le Christ règne, jusqu’à ce qu’il ait mis tous les ennemis sous ses pieds. » I Cor., xv, 25. Ce régne s’étend, grâce à l’activité de l’Apôtre et de ses collaborateurs. Col., iv, 11. Le boire et le manger sont choses indifférentes par rapport au règne de Dieu ; il consiste dans l’obéissance au Christ, et ses fruits sont « la justice, la paix et la joie dans le Saint-Esprit. » Rom., xiv, 17-19. La préséance du règne dans les âmes se manifeste par des œuvres, non par des paroles. I Cor., iv, 20. — Cependant il n’est pas toujours conçu comme une réalité immanente ; il est aussi un royaume, dans lequel les fidèles, délivrés de la puissance des ténèbres, ont été transportés, Col., i, 13 ; c’est l’Eglise, dont le Christ est le chef, en vertu de sa mort rédemptrice et de sa résurrection. Col., i, 14-23 ; Act., xx, 28. Sur l’Église dans saint Paul, cf. Batiffol, L’Église naissante, p. 80-93, 115-125, 135-142. — Le règne du Christ se fonde par la défaite du règne des ténèbres, du règne de Satan, qui domine sur le monde par le péché. Col., ii, 13-15 ; Eph., vl, 12 ; II Cor., iv, 4 ; Gal., i, 4 ; Rom., v, 21.

3° Mais dans la pensée de saint Paul, le royaume est surtout eschatologique ; il ne se constituera définitivement qu’au ciel, quand le Christ aura remporté la vicr toire finale sur la puissance des ténèbres et remis le règne à Dieu, son Père. I Cor., xv, 24. C’est le royaume glorieux auquel Dieu nous convie, I Thess., ii, 12, où l’Apôtre lui-même compte être reçu, II Tim., iv, 18, où l’on n’arrive cependant qu’après avoir passé par le creuset des tribulations. II Thess., i, 4-5 ; Act., xiv, 22. Le corps de l’homme y entrera aussi ; mais il devra auparavant subir une complète transformation, car « la chair et le sang ne peuvent hériter le royaume de Dieu, ni la corruption, l’incorruptibilité. » I Cor., xv, 50."

4° Le royaume est une grâce offerte à tous les hommes ; l’universalisme de saint Paul n’est nié par personne. Toutefois, pour partager au ciel la royauté du Christ, I Tim., ii, 12, il faut mener une vie digne de Dieu qui nous a constitués ses fils adoptifs, les cohéritiers de Jésus. I Thess., ii, 12 ; Rom., viii, 16-17. Aussi les pécheurs n’auront-ils point part à cet héritage céleste. I Cor., vi, 9-10 ; Gal., v, 21 ; Eph., y, 5. — Sur l’eschatologie de saint Paul, cf. Prat, La théologie de S. Paul, Paris, 1908, p. 104-120.

m. le royaume dans saint jean. — 1° Apocalypse.

— Ce livre décrit la lutte du royaume du bien avec la puissance du mal et la victoire définitive du premier. Le royaume est donc surtout présenté sous un aspect eschatologique et social. Cependant l’aspect intérieur et individuel n’est pas négligé, on peut même dire que les préoccupations individualistes de l’auteur appa, raissent à chaque page. La menace du jugement et de la parousie n’est pour lui qu’un thème à instructions morales. Il exhorte à la foi en Jésus, ii, 3 ; iii, 8 ; xiv, 12, à la pratique des bonnes œuvres, surtout de la charité, ii, 2, 4, 19, etc., à l’observation des commandements, xiv, 12, en un mot à la persévérance chré.7 tienne, ii, 3, 4, 10 ; iii, 10-11 ; xiii, 10. Le fidèle doit répondre aux appels de Jésus, lui ouvrir la porte, et se préparer ainsi à prendre part au festin céleste iii, 20, aux noces de l’Agneau avec son Épouse, xix, 7-9 ; ceux qui auront gardé la continence, y jouiront de prérogatives spéciales, xiv, 1-5.

Mais les fidèles forment une société visible : on peut voir dans les « anges » auxquels sont adressées les sept épîtres, les évêques des communautés chrétiennes. Unis entre eux par une même foi au Christ, les chrétiens constituent le royaume de Dieu, en lutte constante avec le royaume de Satan, xii, 10^17, xiii, 7-18 ; xvii, 12-18 ; xix, 11-21 ; xx, 7-10. Dès ici-bas, la victoire est assurée aux disciples du Christ, car Jésus les a fait participer à sa royauté, i, 6, 9 ; v, 10, et ils régneront sur la terre, v, 10. La constance des martyrs manifeste la royauté de Dieu, xii, 10-11. Le triomphe du mal ne sera que momentané ; le jugement atteindra les méchants, le Christ « paîtra les nations avec une verge de fer, » xix, 15 ; xii, 5, il régnera d’abord avec les saints pendant mille ans, xx, 1-6, puis, après une dernière victoire, la royauté de Dieu et de son Christ sera définitivement reconnue, xi, 15, 17. — Plusieurs passages semblent supposer que la parousie est imminente, I, 7 ; iii, 3, 10, 11 ; iii, 11 ; xxii, 12. Mais rien ne s’oppose à ce qu’on interprète ces textes soit dans le sens de l’eschatologie individuelle, soit dans le sens d’une manifestation triomphante de la présence du Christ, C’est dans ce dernier sens qu’il convient aussi d’interpréter l’annonce du règne millénaire, xx, 1-6. Il faut se garder de prendre trop à la lettre les expressions d’un livre où tout est symbole.

Le règne de Dieu, dans l’Apocalypse, est universaliste, aussi bien que dans les autres écrits de saint Jean. L’a gneau a racheté par son sang des hommes de toute tribu, de toute langue, de tout peuple, v, 9. Au ciel se trouve une foule innombrable d’hommes de toute