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ROYAUME DE DIEU

vigne sera confiée à d’autres ouvriers. Matth., xxi, 43.

— Enfin, l’ordre d’évangélisation donné aux Apôtres par le Christ ressuscité, est franchement. nniversaliste : « Allez donc, enseignez toutes les nations, » Matth., xxviii, 20, « prêchez l’Évangile à toute créature. » Marc, xvi, 15 ; ’cf. Luc, xxiv, 47 ; Marc, xiii, 9-10 ; xiv, 9. Et si l’on récuse l’authenticité de ces textes, il suffira de considérer les Apôtres parcourant le monde romain en se réclamant d’une mission reçue du Christ ; ce seul fait atteste, mieux que toutes les paroles, l’étendue du mandat qui leur fut confié par Jésus.

H. J. Holtzmann, Lehrbuch der neutestamentlichen Theologie', t. i, p. 232-233, avec un grand nombre de protestants, prétend que Puniversalisme ne se fit jour dans la prédication de Jésus, qu’ïu moment où la nation juive se détournait de Jui, et le forçait ainsi à élargir ses horizons. Loisv, Év. syn., t. i, p. 229-231, va plus loin : selon lui, le Christ « ne paraît pas s’être soucié de répandre cette espérance (du royaume) là où elle n’existait pas encore, c’est-à-dire chez les païens ; il s’adresse aux seuls Juifs, comme s’il n’était envoyé qu’à eux… l’évangélisation ultérieure du monde païen est une idée étrangère à là prédication de Jésus… Jésus ne songe pas à (le) convertir, » et à cela rien d’étonnant, puisque la fin devait venir avant même « qu’on eût seulement porté l’Évangile dans toutes les villes de Palestine. » Les textes qui affirment le contraire sont déclarés des retouches rédactionnelles, ou bien sont soumis à un traitement énergique qui leur enlève la signification qu’ils ne doivent point avoir.

Cependant, Jésus ne pouvait ignorer les passages prophétiques qui annonçaient l’universalité du salut. Déjà à Nazareth il prononce cette parole significative : « Aucun prophète n’est bien reçu dans sa patrie, » et il insinue qu’à l’exemple de la veuve de Sarepta et de Naamanle Syriennes étrangers pourraient bien, encore cette fois, être préférés aux Juifs. Luc, iv, 24-27. Le Dieu dont il proclame les droits, n’est pas Jéhovah qui a délivré Israël de la servitude égyptienne, mais le Père qui accorde ses bienfaits indistinctement à tous les hommes. Matth., v, 45. Enfin, la charte du royaume n’a aucune attache nationale, et par le fait était la loi de l’humanité entière. Cf. M. Meinertz, Jésus und die lieidenmission, Munster, 1908.

L’Église.

Le règne, c’est-à-dire la royauté en exercice, suppose tout naturellement un ensemble de sujets soumis à cette juridiction. La conception du royaume de Dieu comme société n’est pas absente de l’Ancien Testament et la littérature juive la connaît également ; le plus souvent elle est contenue de façon seulement implicite dans l’affirmation du règne de Dieu sur Israël, ou sur les hommes à l’époque messianique. Cf. Ps. Sal., xvii, 36, 40-44 ; Jub., i, 28 ; Sib., ii, 47-50, 767-783, etc. Au pasteur correspond le troupeau et il est intéressant de remarquer que c’est sous l’image de troupeau’que la société gouvernée par le Roi-Messie est parfois représentée (tto^viov, Ps. Sal., xvii, 40). — Il serait étonnant que sur les lèvres de Notre-Seigneur l’expression ^amldii toû ©eoy ne s’appliquât jamais à une société, alors surtout que son titre préféré « Fils de l’homme » paraît bien emprunté à un texte de Daniel, vii, 13-27, cf. ii, 37-45 où le prophète décrit l’avènement du royaume des Saints, après la chute des royaumes précédents. Nous voyons, en effet, que le royaume céleste constitue une société ; de même que le blé mûr, au temps de la moisson, est recueilli dans les greniers, ainsi en sera-t-il des élus, Matth., xiii, 30 ; ils forment l’assemblée des convives prenant part au festin éternel. Matth., viii, 11 ; Luc, xm, 28. Mais le royaume annoncé est un ; la continuité la plus parfaite règne entre ses différentes phases. Si donc dans son stade définitif il est une société, non seulement un règne, il est aisé de conclure que dans sa phase préparatoire il aura pareillement un aspect social. L’Église triomphante n’estque la suite de l’Église militante. Loisy, Évangile et Église, 1902, p. 111, a raison de dire, que « le royaume (prêché par Jésus) devait avoir forme de société. » Dans la pensée du critique, il ne s’agit sans doute que du royaume eschatologique. Cependant, si le royaume doit s’établir dès à présent, n’aura-t il plus forme de société ? et si l’Église est venue, alors que Jésus annonçait le royaume, ne sera-ce point parce qu’il y a entre les deux un lien organique, essentiel, parce que l’Église est elle-même, en un sens, le royaume annoncé ?

En effet, dans le royaume il y en a qui sont plus grands que d’autres, Matth., v, 19 ; xi, 11 ; l’ambition cependant devra en être bannie, l’humilité et la charité la plus cordiale devront régner entre les disciples. Luc, xii, 24-30. Le royaume est comparé à une salle de festin où viennent s’asseoir bons et mauvais, même ceux qui n’ont pas la robe nuptiale, Matth., xxii, 8-14, à un champ où croissent ensemble l’ivraie et le bon grain, Matth., xiii, 24-31, à un filet contenant de bons et de mauvais poissons. Matth., un, 47-51. En un mot, il y a un royaume où se trouvent des « scandales » et des hommes qui commettent l’iniquité. Matth., xiii, 41.

Il est difficile d’entendre tous ces textes d’Un royaume purement intérieur, puisqu’ils supposent que la royauté de Dieu ne sera pas reconnue par tous les sujets du royaume ; il est encore moins facile de les appliquer au royaume transcendant, qui ne pourra contenir aucun mélange. Ces images évoquent l’idée d’une société, groupant par des liens extérieurs des membres qui n’ont pas tous l’esprit propre de la société.

Le royaume-Église transparait dans la parabole du grain de sénevé, qui grandit insensiblement jusqu’à devenir un arbre immense, capable d’abriter les oiseaux du ciel. Matth., xiii, 31-33. — L’identification devient encore plus claire dans le fameux passage de Matth., xvi, 18-19, a…sur cette pierre je bâtirai mon Église… et je te donnerai les clefs du royaume des deux, et tout ce que tu lieras sur la terre, sera lié dans les cieux… » Dans la première partie, l’Église est comparée à une construction dont Pierre est le soutien inébranlable ; dans la seconde, la métaphore de l’édifice se continue, et Pierre en est constitué le majordome. Si donc dans le premier cas l’édifice est l’Église, Jl semble naturel qu’il le soit encore dans le second. Celte interprétation est confirmée par le pouvoir de lier et de délier, qui est évidemment le même que celui des clefs. Cf. Matth., xviii, 17-18. Il est hors de doute que le pouvoir unique, conféré à Pierre sous une triple image, doit s’exercer sur terre, dans une société organisée dont il est déclaré le chef. Cf. H. J. Holtzmann, Lehrbuch, i, p. 212, note 4 : « le contexte de xvi, 18 et 19, invite à identifier la pautXEÎa twv oùpavâv avec l’Inx^cia ».

Cependant, d’après M9<— BatifTol, L’Église naissante, 1909, p. 95 (cf. Enseignement de Jésus, p. 184), « la notion du royaume, telle qu’elle se dégage de l’Évangile, est distincte de la notion de l’Église. » La « figure des clefs peut être entendue dans ce sens que Pierre sera celui qui ouvre les portes du royaume à l’Église. La distinction du royaume et de l’Église s’affirme ici à nouveau » (ibid., p. 107). Cette exégèse ne nous semble pas épuiser le sens des textes. Les deux termes ne sont sans doute pas synonymes ; la notion du royaume est plus large que celle de l’Église, puisqu’elle s’applique aussi au règne immanent et au royaume transcendant, Mais cela n’empêche pas le royaume d’être pareillement l’assemblée des fidèles qui ont accueilli le message du Christ, et qui selon l’esprit de leur vocation doivent posséder et conserver le règne intérieur, seul gage du royaume céleste. « L’Église, en tant que société, est l’expression visible du royaume dans le monde. » Hastings, Dictionary of the Bible, t. ii, p. 854 b. — Bien