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ROYAUME DE DIEU

Cf. Luc, xxi, 34-36. Le levain a le temps de transformer toute la masse et le grain de sénevé de devenir un grand arbre ;  ; l’ivraie croîtra et se développera à côté du froment jusqu’au temps de la moisson. Matth., xiii, 24-33 et parall. L’évangile devra d’abord être prêché à toutes les nations, Marc, xiii, 10, et Jésus assistera ses disciples jusqu’à la consommation du siècle. Matth., xxviii, 19-20.

Cette promesse du Christ nous aide à comprendre une autre série de logia. En raison de l’assistance de Jésus, on pourrait dire de son immanence dans le royaume, les progrès du royaume sont, en un certain sens, la manifestation de la présence de Jésus ; chaque étape décisive, par exemple, l’établissement du règne, la résurrection du Christ, la destruction de l’État juif, sera comme un nouvel avènement, une sorte de parousie. (Sur l’emploi de ce mot παρουσία a dans les papyrus, cf. Deissmann, Licht vom Osten, Tubingue, 1908, p. 268-273 ; il se dit surtout de la visite d’un souverain, ou de sa présence dans une ville ; il est très apparenté à ἐπιφάνεια « manifestation », et parfois « assistance divine »). C’est en ce sens qu’il faut interpréter, semble-t-il, les paroles suivantes, Matth., x, 23 : « Vous ne finirez pas les villes d’Israël, avant que vienne le Fils de l’homme » ; Matth., xvi, 27 : « Il y en a parmi ceux qui sont ici présents, qui ne goûteront pas la mort avant de voir le Fils de l’homme venant dans son royaume » (Marc, ix, 9, « avant qu’ils n’aient vu le règne de Dieu venu en puissance » ) ; Matth., xxvi, 63 et parall. : « Désormais vous verrez le Fils de l’homme assis à la droite de la puissance et venant sur les nuées du ciel. » Cf. Lagrange, loc. cit. — Le Fils de l’homme est corrélatif au royaume, il en partage les vicissitudes, et les phases successives par lesquelles se réalise le royaume, sont en un sens autant d’avènements de son chef. On peut donc dire que dans ces sortes de passages, il « s’agit seulement d’une action particulièrement puissante, par laquelle le Christ manifeste sa présence dans le royaume.

B) aspect intérieur et individuel du royaume.

1o Spiritualité.

En opposition avec l’attente générale des Juifs, le règne fondé par Jésus est purement moral. Tout y est spirituel, les conditions pour y entrer, son origine, son but, ses moyens d’action, et c’est là ce qui fait la valeur éternelle de l’enseignement de Jésus. — Aux Pharisiens qui se croyaient justifiés par des rites matériels, le Sauveur rappelle qu’il ne suffit pas de « nettoyer l’extérieur du plat, » mais qu’il faut avant tout purifier l’intérieur. Matth., xxiii, 25-26. Rien ne sert d’honorer Dieu des lèvres, lorsque le cœur est loin de lui. Matth. xv, 8. La moralité des actes provient de l’intention, Matth., vi, 22-23, et par suite on doit éviter non seulement les péchés extérieurs, mais encore ceux qui se commettent au plus intime de notre âme. Matth., v, 22-28. C’est donc une religion « en esprit et en vérité » que Jésus entend établir. — Aussi, pour entrer dans le royaume, faut-il se convertir στρέφειν, Matth., xviii, 3), et changer de sentiments (μετανοεῖν, Matth., iv, 17 ; xi, 20 ; Marc, i, 15 ; vi, 12 ; Luc, xiii, 3), être détaché des biens de la terre, Matth., v, 3 ; xix, 23-24, être pur de cœur, doux, miséricordieux, pacifique, Matth., v, 4-10, simple comme les petits enfants, Marc, x, 14-15, humble, Matth., xviii, 4 ; Luc, xviii, 14, patient et généreux, Matth., v, 39-44 ; Luc, vi, 27-30, en un mot, imiter dans la mesure du possible les perfections du Père céleste. Matth., v, 48. Il faut prendre sur soi le joug de la nouvelle loi, Matth., xi, 29, et substituer aux sentiments terrestres ceux que doit avoir un enfant de Dieu. — La paternité divine, voilà en effet la base nouvelle sur laquelle s’établit le règne, de Dieu dans les âmes. « Ne donnez à personne sur la terre le nom de père, car vous n’avez qu’un seul Père, celui qui est dans les cieux. » Matth, xxiii, 9. Dieu est encore roi des hommes, mais comme le père à la tête de sa famille, provoquant par sa bonté la soumission et la confiance la plus filiale. Luc, xi, 10-13. Rien ne caractérise mieux la nature de ce règne, que la prière sublime enseignée par Jésus : « Notre Père qui êtes au ciel…, que votre règne arrive », c’est-à-dire « que votre volonté soit faite sur la terre comme au ciel », Matth., vi, 10 ; Luc, xi, 2, omet la seconde demande, virtuellement contenue dans la première.

La haute spiritualité du royaume s’affirme encore dans la notion du salut, qui en est le fruit naturel. Le salut, dont Jésus est le messager, n’est pas la délivrance politique, si ardemment souhaitée par les Juifs : il faut rendre à César ce qui est à César. Matth., xxii, 21. Il y a une servitude autrement honteuse, c’est l’esclavage du péché, l’asservissement à Satan. Dès son entrée en scène, Jésus déclare qu’il est envoyé pour « porter la bonne nouvelle aux pauvres, annoncer aux captifs la délivrance, aux aveugles le retour à la lumière, pour rendre libres les opprimés, et publier l’année de grâce du Seigneur. » Luc, iv, 19. La mission de Jésus est spirituelle, et c’est dans un domaine de même nature qu’il faut chercher ses adversaires. Le royaume fondé par lui est l’antithèse du royaume de Satan : l’un doit s’édifier sur les ruines de l’autre. Luc, xi, 14-26. Les esprits mauvais savent que Jésus est venu pour les perdre. Luc, iv, 34. Aussi le diable met-il tout en œuvre pour entraver les progrès du règne ; n’ayant pas réussi dans sa tentative contre Jésus, il s’en prend aux disciples : c’est lui qui sème l’ivraie parmi le bon grain, Matth., xiii, 39, qui enlève la parole du royaume du cœur des hommes, Luc, viii, 12, qui pousse Judas à la trahison, Luc, xxii, 3, qui demande à faire passer les Apôtres au crible de la tentation. Luc, xxii, 31. — Le péché est donc, en un sens, l’œuvre de Satan, et en tout cas, il est le grand obstacle au royaume. Les fautes doivent être bannies du cœur des fidèles ; et si par malheur une brebis s’égare, quelle sollicitude pour la chercher, et quel bonheur quand elle est retrouvée ! « Je vous Je dis, il y aura plus de joie dans le ciel pour un seul pécheur, qui se repent, que pour quatre-vingtdix-neuf justes qui n’ont pas besoin de repentir. » Luc, xv, 4-7 ; cf. la parabole de l’enfant prodigue. Luc, xv, 11-32. De là, la touchante familiarité de Jésus avec les pécheurs, au grand scandale des pharisiens ; de là aussi, la nécessité du pardon mutuel, afin que le Père céleste nous remette nos propres offenses ; de là enfin, l’importance que Jésus allache à son pouvoir de remettre les péchés, Matth., ix, 1-8 ; Luc, vii, 48 ; cf. Matth., i, 21 ; pouvoir que les Juifs n’ont jamais osé attribuer au Messie. Cf. Dalman, Die Worte Jesu, p. 215. C’est ici pareillement que s’ouvre la perspective de la rédemption, Marc, x, 45, le Fils de l’homme « donnera sa vie pour le rachat d’un grand nombre, » et son sang sera « répandu pour plusieurs, » Marc, xiv, 24 ; et ainsi l’enseignement de Jésus rejoint le point culminant des promesses prophétiques.

Le régne de Dieu sur terre est donc pour l’individu le salut de l’âme, par le pardon des péchés et le triomphe de toutes les vertus dans son cœur. — Il conserve encore cet aspect éminemment spirituel dans son stade définitif. Au ciel, il ne peut plus être question de mariage, car on sera semblable aux purs esprits (ἰσάγγελοι), débarrassé des appétits sensuels et de tout penchant terrestre. Luc, xx, 36 et parall. Entrer dans le royaume céleste, c’est entrer dans la vie éternelle, Matth., xxv, 46 ; xix, 17 ; Marc, ix, 43, 45, dans la joie du Seigneur, Matth., xxv, 21, 23, dans le paradis avec Jésus et les anges. Luc, xxiii, 43 ; Matth., xviii ; 10. Les justes y resplendiront comme le soleil, Matth., xiii, 43, ils verront Dieu, Matth., v, 8, et prendront ainsi pour toujours possession de la Terre Promise. Matth.,