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ROYAUME DE DIEU

— Le régne de Dieu s’établit ainsi sous l’action de la parole du Christ ; il est présent, et à portée de toutes les bonnes volontés.

Mais « Jésus ne prétend pas… que le règne de Dieu soit une quantité indivisible, un avènement qui vient tout d’une pièce, comme un décor de féerie. » Lagrange, dans la Revue bibl., 1906, p. 477. La phase décisive, inaugurée par Jésus, avait ses points d’attache dans le passé ; le règne qu’il annonce, est lui-même susceptible de développements, et il ne trouvera son couronnement final que dans l’au-delà. Bien que déjà présent, il peut toujours se réaliser davantage, et les disciples, auxquels le Père a donné le règne, Luc, xii, 32, ne doivent jamais se lasser de prier : « Notre Père, qui êtes au ciel…, que votre règne arrive, » car la volonté de Dieu peut toujours, sur terre, être accomplie plus parfaitement encore. Matth., vi, 10 ; Luc, xi, 2. Semblable à la semence qui est jetée dans un champ, le règne ne fructifie pas de façon égale dans tous les cœurs ; bien des ennemis contrarient sa croissance. Matth., xiii, 3-23 et parall. Le bon grain est mélangé pendant longtemps à de l’ivraie, Matth., xiii, 24-30 ; cependant, malgré les obstacles, il se développe et grandit, en vertu de sa force intrinsèque et du concours apporté par la terre qui l’a reçu, jusqu’à ce qu’il devienne mûr pour la moisson. Marc, iv, 26-30. Comme le grain de sénevé, le règne est destiné à devenir un grand arbre ; comme le levain, il devra faire lever peu à peu toute la masse. Matth., xiii, 31-33 et parall.

Néanmoins, ce règne terrestre, quelque illimité que soit son horizon, n’est point encore le règne définitif ; il n’en est que la phase initiale et préparatoire. Le vrai royaume de Dieu est au ciel, et c’est vers ce but suprême que doivent s’acheminer tous les citoyens du règne. — Pour les individus, il s’inaugure par la mort et le jugement. « Souviens-toi de moi, supplie le larron, lorsque tu seras entré dans ton royaume » ; et Jésus de répondre : « Aujourd’hui même tu seras avec moi dans le paradis. » Luc, xxiii, 42-43. C’est là le royaume promis aux pauvres en esprit, à ceux qui souffrent persécution pour la justice, Matth., v, 3, 10, à ceux qui font la volonté du Père, Matth., vii, 21, aux enfants et à leurs semblables, Matth., xix, 14 ; xviii, 2-3 ; il est la terre que les doux recevront en héritage, Matth., v, 4, « la joie du Seigneur », dàns laquelle entre le serviteur qui a fait valoir les talents. Matth., xxv, 21, 23.

Pour la société humaine, ce règne s’inaugurera par la parousie du Fils de l’homme et par le jugement général. Matth., xxiv, 30 ; Marc, xiii, 26 ; Luc, xxi, 27 ; Matth., xxv, 31-46. L’avènement du Christ sera fulgurant ; aucun signe précurseur ne pourra en faire présager l’époque. Alors les « scandales » qui auront existé dans le royaume préparatoire seront enlevés ; les boucs seront définitivement séparés des brebis, les , bons poissons des mauvais, le bon grain de l’ivraie. Matth., xiii, 24-30, 37-41, 47-51 ; xxv, 32. — Dans cet acte final, les Apôtres participeront à la royauté du Christ : « et moi je dispose en votre faveur de la royauté, comme mon Père en a disposé en ma faveur, afin que… vous soyez assis sur des trônes, jugeant les douze tribus d’Israël. » Luc, xxii, 29-30 ; cf. Matth., xix, 28.

Le véritable royaume est enfin constitué : c’est la vie éternelle pour les individus, Matth., xxv, 46, la société des saints pour la collectivité. Dans ce royaume, Jésus boira « le vin nouveau » avec ses disciples, Matth., xxvi, 29 ; des Gentils viendront de l’Orient et de l’Occident et s’assoieront au festin avec les patriarches, tandis que « les fils du règne », c’est-à-dire les enfants d’Israël, seront jetés dans les ténèbres extérieures. Matth., viii, 11-12. s Les justes y brilleront comme le soleil s, Matth., xiii, 43 ; purs, ils verront Dieu, Matth., v, 8, comme les anges, Matth., xviii, 10, et pour toujours ils posséderont le royaume qui leur a été préparé dès l’origine du monde ; Matth., xxv, 34.

Ces différentes phases ne constituent pas des royaumes distincts ; le règne de Dieu établi sur terre dans les âmes, se développe à travers toutes sortes de vicissitudes, jusqu’à ce qu’enfin il se consomme au ciel. Il y a donc continuité, et accepter le règne de Dieu ici-bas, c’est déjà posséder un droit au royaume céleste. Aussi, l’expression « règne de Dieu » a-t-elle souvent double et triple signification, l’une superposée à l’autre, parce qu’en réalité c’est le règne tout court, mais avec ses différents aspects, qui est visé. Rien de plus instructif, à ce point de vue, que le logion suivant, conservé par Marc, x, 15 et Luc, xviii, 17, en termes identiques : « Je vous le dis en vérité, quiconque ne recevra pas la βασιλεία τοῦ Θεοῦ comme un petit enfant, n’y entrera point. » La βασιλεία τοῦ Θεοῦ est un règne que l’on doit recevoir, aussi bien qu’un royaume où l’on doit entrer dès maintenant, cf. Matth., xxiii, 13, afin d’avoir accès au royaume céleste. L’humilité, la pauvreté, la simplicité, la justice, sont aussi bien des conditions d’entrée dans le royaume terrestre que dans le royaume de l’au-delà. L’appel au festin nuptial est au même titre la vocation au règne préparatoire et au règne définitif. Les scribes et les Pharisiens hypocrites qui n’entrent pas dans le royaume, et qui, de plus, empêchent les autres d’y entrer, Matth., xxiii, 13, sont un obstacle pour le règne sous toutes ses formes. L’unité la plus parfaite se constate donc dans le développement du royaume.

Quelle est la relation chronologique établie par Notre-Seigneur entre les différentes étapes du royaume ? La phase eschatologique est-elle conçue comme imminente, et faut-il dire avec Charles, A critical history of the doctrine of a Future Life, Londres, 1899, p. 331, que « selon l’enseignement du Christ la parousie devait avoir lieu au coiys de la génération contemporaine » ? Rien de plus authentique dans les Evangiles, que cette déclaration de Jésus : « Quant à ce jour et à cette heure personne ne les connaît, pas même les anges dans le ciel, ni le Fils, mais (seulement) le Père. » Matth., xxiv, 36 ; Marc, xiii, 32. Cf. Act., i, 7. Le « jour » dont il est question dans ce logion, c’est le jour du jugement, le grand jour de Jéhovah. Mais ce jugement doit se distinguer, d’après le contexte même, de la terrible catastrophe qui atteindra Jérusalem ; celle-ci peut se prévoir, grâce aux signes précurseurs qui l’annonceront, celui-là tombera à l’improviste, avec la soudaineté de l'éclair, sur l'humanité endormie ; la ruine de la ville sainte arrivera encore du vivant des auditeurs de Jésus, tandis que « le Père seul », Matth., xxiv, 36, connaît la date de la parousie. Dans cette complète incertitude, les disciples du Christ n’auront d’autre ressource, pour prévenir toute surprise fâcheuse, que de veiller toujours, et c’est précisément la nécessité d’une vigilance continuelle que Notre-Seigneur veut avant tout inculquer. Cf. Lagrange, L’avènement du Fils de l’homme, dans Rev. bibl., 1906, p. 382-411, 561-574. Bien que cet avènement apparaisse à l’horizon du royaume, la distance n’est jamais déterminée. Le maître de la maison peut venir à la seconde ou à la troisième veille, Luc, xii, 38, « le soir, ou au milieu de la nuit, ou au chant du coq, ou le matin, » Marc, xiii, 35 ; on pourra même avoir l’impression que « le maître tarde à venir. » Matth., xxv, 48. L’hypothèse d’un délai assez prolongé n’est donc pas exclue : « l’homme noble », qui va prendre possession du royaume, est parti pour une région lointaine, Luc, xix, 12 ; le maître qui a confié des talents à ses serviteurs, né revient qu’après un laps de temps considérable, et les dépositaires ont tout le loisir de faire fructifier ces richesses, Matth., xxv, 19 ; l’époux tarde à venir an delà de toute prévision, et les vierges se laissent aller au sommeil. Matth., xxiv, 5.