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ROYAUME DE DIEU

péchés. » Matth., i, 21. — Combien ces premières pages de l’Évangile nous transportent loin du royaume messianique terrestre, attendu alors par les foules !

Jean-Baptiste.

L’heure où le règne de Dieu allait s’établir, a enfin sonné. Le précurseur paraît sur les bords du Jourdain, disant : « Repentez-vous, car le règne du ciel est proche. » Matth., iii, 2. Ce règne est spirituel : pour s’y préparer, il faut faire pénitence, se repentir de ses péchés, et, comme symbole du renouvellement moral, recevoir le baptême. Il importe d’exercer la miséricorde et de pratiquer l’équité. Luc, iii, 11-14. La descendance d’Abraham ne sert de rien ; pour accueillir le règne, il faut produire de dignes fruits de pénitence. Luc, iii, 8-9. Rien n’insinue un bouleversement catastrophique du monde ou de la nation ; l’eschatologie est tout individuelle. Le jugement est imminent, car « déjà la hache est posée à la racine des arbres », Matth., iii, 10, la « pelle » est dans la main du vanneur, Matth., iii, 12 ; l’apparition du Messie fera, en effet, connaître ceux qui se sont disposés à recevoir dignement le don messianique ; le triage s’opérera entre les arbres qui ont produit de bons fruits, et les autres, entre le bon grain et la paille. Le Messie réunira ceux-là « dans ses greniers » ; quant aux autres, ils n’ont en perspective que le « feu inextinguible ». Luc., iii, 17. Chaque individu (cf. Matth., iii, 10, « chaque arbre ») sera en définitive son propre juge, selon qu’il se sera rendu digne, ou non, du règne messianique.

Jésus-Christ.

Quel sens le Sauveur attacha-t-il à l’expression « royaume de Dieu » ? De la solution de cette question fondamentale dépend l’idée qu’on devra se faire de la personne et de la mission de Notre-Seigneur. Inutile de dire que les opinions les plus contradictoires ont été émises. — 1. D’après A. Ritschl, Christliche Lehre von der Reçhtfertigung und Versbhnung, Bonn, 4e édit. 1895-1903 ; H. Wendt, Die Lehre Jesu, Gœttingue, 2e édit. 1901 ; B. Weiss, Lehrbuch der biblischen Theologie des N. T., Stuttgart, 7e édit. 1903 ; A. Harnack, Das Wesen des Christentums, Leipzig, 1900, et la plupart des protestants libéraux, Jésus n’a prêché et n’a voulu fonder qu’un royaume intérieur, immanent dans les âmes, et par suite son rôle s’est réduit à celui d’un docteur de morale. — 2. Reimarus, Fragmente eines Ungenannten, publiés par Lessing de 1774-1778, E. von Hartmann, Das Christentum des N. T., 2e édit., 1905, considèrent Jésus comme un révolutionnaire, qui accepta sans modification les espérances politiques de ses contemporains et voulut rétablir le royaume national. — 3. Enfin, selon J. Weiss, Die Predigt Jesu vom Reiche Gotles, Gœttingue, 2e édit., 1900 ; Shailer Mathews, The messianic Hope in the N. T., 1906 ; A. Schweitzer, Von Reimarus zu Wrede, Tubingue, 1906 ; A. Loisy, L’Évangile et l’Église, Paris, 1902 ; Autour d’un petit livre, 1903 ; Les Évangiles synoptiques, 1907, et d’autres auteurs, Jésus ne prévoyait que le royaume eschatologique, s’établissant par un coup de théâtre dans un monde transformé ; il n’est Messie qu’en expectative, sa morale est purement provisoire, et n’a d’autre but que de préparer les hommes à l’avènement imminent du règne. — Tous ces systèmes ont ceci de commun, que dans la perspective de Jésus il n’y avait point de place pour l’Église. Selon une formule célèbre, « Jésus annonçait le royaume, et c’est l’Église qui est venue ». Loisy, L’Évangile et l’Église, p. 111.

Il n’entre pas dans le cadre de cet article, de réfuter une à une toutes ces théories avec les différentes nuances qu’y met chaque auteur. Du reste, les partisans du royaume intérieur ont de très bonnes raisons à faire valoir contre les eschatologistes, et réciproquement. L’erreur n’est que dans la partie exclusive de chacun des systèmes. Si l’on ne tient compte à la fois de tous les éléments de solution que fournissent les Évangiles, et si l’on rejette systématiquement, comme non authentiques, les passages qui vont à l’encontre d’une théorie préconçue, il est impossible d’aboutir à une définition objective du royaume, tel que le comprenait Jésus-Christ. L’étude impartiale des textes montrera que ce royaume est à la fois présent et à venir, intérieur et en même temps social. En tant qu’intérieur, il est le règne immanent ; en tant que réunissant ses sujets dans une société, il est l’Église ; en tant qu’eschatologique, il est le royaume transcendant.

A) phases du royaume. — Le message de Jésus, comme celui de ses disciples, se formule invariablement par les mots : ἤγγικεν ἡ βασιλεία τῶν οὐρανῶν, « le règne du ciel s’est approché », ou plutôt « est arrivé », car selon la remarque de J. Weiss, Die Predigt Jesu, p. 70, ἤγγικεν est très probablement synonyme de ἔφθασεν ; les deux expressions répondent au même verbe araméen מְטָא « arriver ». Cf. Dan., iv, 8, araméen, יִמְטֵא ; Septante, ἤγγικεν ; Théodotion, ἔφθασεν. Luc., x, 9, ἤγγιδεν ἐφ’ ὑμᾶς ἡ βασιλεία τοῦ Θεοῦ ; xi, 20, dans un contexte tout à fait semblable, ἔφθασεν ἐφ' ὑμᾶς ἡ β. τ. Θ. « L’évangile du règne », Matth., iv, 23 ; ix, 35, c’est la bonne nouvelle de l’arrivée du règne de Dieu. Son fondateur est présent, Luc, iv, 18-19 ; vii, 19-23 ; et, dès les premiers jours, Jésus s’appelle « Fils de l’homme », Marc, ii, 10, 28, etc., titre qui est en connexion intime avec le royaume annoncé par Daniel, vii, 13-14. Comment douter que le règne de Dieu ne soit déjà là, quand le règne adverse, celui de Satan, s’effondre ! « Si je chasse les démons par la force de Dieu, c’est donc que le règne de Dieu est venu sur vous. » Luc, xi, 20 ; cf. Matth., xii, 28. Le règne de Dieu est commencé ; il s’affirme et progresse dans la mesure où ses ennemis battent en retraite. Cf. Luc, x, 9, 18. — Cette déclaration catégorique de Jésus embarrasse fort les partisans d’un royaume purement eschatologique. Pour Loisy, ces paroles « se dégagent nettement de leur contexte », « elles appartiennent à une rédaction secondaire », et « reflètent plutôt les préoccupations de la controverse judéo-chrétienne que la pensée du Sauveur. » Ev. Syn., t. i, p. 706-707. J. Weiss ne les trouve point du tout déplacées dans leur contexte, mais il ne veut y voir qu’un « transport prophétique » « l’expression d’une extase pneumatique » se rapportant à l’avenir. Loc. cit., p. 90. Il faut de la bonne volonté pour ne pas reconnaître que l’argumentation tout entière porte sur des faits présents ; les deux règnes, celui de Satan et celui de Dieu, sont mis dans une corrélation très étroite : si l’un perd du terrain, ce ne peut être que parce que l’autre s’établit hic et nunc à ses dépens. — Le règne de Dieu est donc déjà présent. En effet, jusqu’à Jean-Baptiste on était sous le régime de la Loi et des Prophètes ; mais « depuis lors le royaume de Dieu est annoncé, et chacun lui fait violence. » Luc, xvi, 16. Si le plus petit des citoyens du royaume est plus grand que Jean, qui cependant fut le plus grand des prophètes, Matth., xi, 11, c’est précisément parce que Jean marque le terme de l’ancien état de choses, et que le règne constitue ses sujets dans un état plus parfait. L’établissement de ce règne n’a rien de catastrophique ; les Pharisiens en sont encore à se demander quand il viendra, que déjà il est au milieu d’eux, ἐντὸς ὑμῶν ἐστιν, Luc, xvii, 20-21. Le scribe qui connaît les deux grands commandements, n’est pas loin du règne, Marc, xii, 34 ; pour le posséder, il suffit de le chercher, comme font les disciples, car il a plu à leur Père de leur donner le règne. Luc, xii, 31-32. Les Juifs, qui dans l’ensemble s’opposeront à l’évangile, se verront enlever le règne qui leur avait été offert, Matth., xxi, 43, tandis que les publicains et les courtisanes y entrent avec empressement. Matth., xxi, 32-32.