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ROYAUME DE DIEU


et pécheurs, plutôt que Juifs et Gentils, il est entendu que les justes ne comprennent que les Juifs fidèles à la Loi ou les Gentils qui se sont convertis au judaïsme. Omnia ad majorent Judæorum gloriam, tel pourrait être l’exergue de toute cette littérature. — D’après les écrits rabbiniques en particulier, le règne de Dieu jusqu’à présent si contrarié, allait s’établir bientôt dans toute sa splendeur par l’avènement du Messie ; guerrier valeureux, il soumettra à son sceptre les Gentils et donnera aux Juifs la royauté du monde entier. Les « dispersés s reviendront en Palestine, et Jérusalem sera la glorieuse capitale du nouveau royaume. Alors commencera la félicité messianique, qui sera précisément le contre-pied des malheurs présents. Les Gentils semblent parfois admis à partager ce bonheur, à la condition de se faire Juifs ; mais le plus souvent on les montre réduits en servitude. — Dans l’attente des Juifs de cette époque, le règne de Dieu à venir s’identifiait donc généralement avec le règne national d’Israël. Ce sont là les dispositions qui, selon toute vraisemblance, étaient dominantes autour de Jésus. Cf. Luc, xix, 11 ; xxiv, 21. « Seigneur, demandent les Apôtres à Jésus ressuscité, est-ce maintenant que tu rétabliras la royauté en faveur d’Israël ? » Act., i, 6. La conviction que le triomphe national serait le triomphe même du règne de Dieu, maintint lès Juifs dans une agitation perpétuelle ; c’est elle qui arma leurs bras contre les Syriens d’abord, puis contre les Romains, et qui amena sous Hadrien la chute définitive de l’État israélile.

3° Cependant la notion traditionnelle d’un règne de Dieu se réalisant dans les hommes par leur soumission à la volonté divine, n’avait point disparu. Dieu règne déjà sur les Juifs fidèles. Ps. Sal., v, 18-19 ; xvii, 1, 46. Il ne tient qu’aux hommes d’étendre davantage le règne en acceptant la loi divine. Abraham, par son obéissance, choisit Dien et son règne, Jub., xii, 19 ; réciter le Schéma’, c’est prendre sur soi le joug du règne des cieux, b., Bërackoth 14 h ; 61 b ; s’abstenir de choses défendues, parce que Dieu les a prohibées, c’est reconnaître le règne des cieux, (baraitha d’Eléazar ben Azariah, vers 100 après J.-C, dans Bâcher, Die Agada der Tannaiten, P, p. 220) ; omettre la récitation du Schéma’, c’est se soustraire au joug de. ce règne, Mischna, Ber., il, 5 ; le sabbat est, entre tous les autres jours, un jour du saint règne, Jub., L, 9, parce qu’en l’observant on fait régner Dieu. Il en résulte que le règne de Dieu est déjà présent, et qu’il pourra se développer indéfiniment ; les Gentils eux-mêmes sont appelés à recevoir sur eux le joug de son règne et à rendre honneur à son nom.’Alênu, prière composée vers 240 après J.-C. Cf. Dalman, Die Worte Jesu, p. 307. Le règne messianique lui-même, malgré l’aspect de nouveauté qu’il présentera à certains points de vue, ne sera que l’agrandissement d’une chose déjà existante : la royauté de Dieu s’affirmera, non plus seulement sur un petit groupe de fidèles, mais sur tout l’univers. Son inauguration pourra être conçue comme plus ou moins catastrophique ; la reconnaissance de la souveraineté éternelle de Dieu en constituera toujours l’essence. Ps. Sal., xvii. Cf. Lagrange, Le règne de Dieu dansf Te judaïsme, dans la Bev. bibl., 1908, p. 350-366. — 0n voit dès lors ce qu’il faut penser de la définition du royaume donnée par Loisy, Évangiles Synoptiques t. i, p. 229, note 6 : « le royaume de Dieu… est proprement le règne ou la royauté de Dieu, l’ère messianique. » — C’est une définition en fonction d’un système. Le règne comprend aussi l’ère messianique, mais il n’est point seulement cela ; toujours il a été considéré comme réalisé déjà, d’une certaine façon, dans le présent.

III. Dans le Nouveau Testament. — L’expression fSgt<jiXet’a toû ©sou est employée 63 fois dans le Nouveau Testament (Matth., 4 fois ; Marc, 14 ; Luc, 32 ; Joa., 2 ;

Act., 6 ; les autres écrits, 5) ; {îaadet’a ©eoO, 4 fois (dans saint Paul) ; (Sao-iXeîa ™v o-jpavûv, 32 fois (uniquement dans Matth.). Si le mot se lit fréquemment, l’idée se rencontre bien plus souvent encore, et l’on ne se trompera pas en voyant dans « le royaume de Dieu » le concept fondamental de la prédication de Jésus. Le judaïsme connaît ces différents termes ; hébr. c-2ïf mzhzi [Mischna, Ber. il ; Ghemara, b. Ber. 13 b,

141>, 61 b, etc)., aram. N>aun NniD^D, >H Nirabn (Targums : t- : t : -. rt : ls., xxxr, 4 ; Abd., 21 ; Mich., iv, 7 ; Zach., xiv, 9), NrftNT NmsbD (Targums : ls., XL, 9 ; lii, 7). Cf. Dal TTV : ’.* T : "

man, Die Worte Jesu, 75-83. — Quelle est l’expression dont se servait N. S. ? disait-il « règne de Dieu » ou « règne des cieux », ou employait-il indifféremment l’un et l’autre terme ? Il est difficile de le déterminer avec certitude. D’une part, le mot « cieux » ou << ciel », — car le singulier n’existe ni en hébreu ni en araméen, — était une des nombreuses locutions, alors en usage chez les rabbins, pour désigner Dieu dont on évitait de prononcer le nom. On peut aussi se demander si Matth., qui seul présente le terme « royaume des cieux », n’a^ pas conservé plus fidèlement la formule primitive, puisqu’il écrivait pour des judéo-chrétiens. — Mais d’autre part, il est impossible de prouver que Jésus se soit astreint à suivre toujours l’usage rabbinique ; le mot « Dieu » se rencontre souvent sur ses lèvres, et saint Matthieu lui-même a plusieurs fois le terme « royaume de Dieu ». Rien n’empêche donc de penser que Jésus se soit exprimé de l’une et de l’autre façon. À vrai dire cette discussion importe peu, car les deux expressions sont synonymes, c cieux » étant simplement une métonymie pour « Dieu ». Les Évangiles, aussi bien que la littérature contemporaine, leur attribuent an sens identique, avec cette nuance que « le régne des cieux » est le règne du Dieu transcendant. Dalman, loc. cit., p. 76.

Quelle est la signification précise de ftamXsia ? Si l’on s’en tient à l’usage de l’Ancien Testament et des écrits juifs, il faut y voir avant tout le sens abstrait de règne, de souveraineté ; d’après Dalman, loc. cit., p. 77, il ne serait jamais question, dans toute cette littérature, du royaume de Dieu au sens de territoire. Il est donc à prévoir que dans le Nouveau Testament le premier sens sera prédominant ; mais il ne sera pas le seul, et l’étude impartiale des textes montrera que Jésus a envisagé aussi la ^aadeia toû ®eoû comme un royaume au sens de société.

J". LE ROYAUME DANS LES SYNOPTIQUES. — 1° L’évangile de l’enfance. — Les récits de l’enfance forment la transition entre l’Ancien Testament et le Nouveau. — L’archange Gabriel annonce à Marie la naissance d’un enfant, auquel le Seigneur Dieu donnera le trône de David son père, et qui régnera sur la maison de Jacob à jamais. Luc, i, 32-33. Le Magnificat, cantique d’une fille des rois, célèbre le Dieu sauveur qui vient au secours d’Israël, son serviteur. Luc, i, 47-55. C’est également sous les couleurs de l’Ancien Testament que le Benedictus dessine la figure du Messie : il est « la corne du salut. » qui délivre Israël de ses ennemis, et lui permettra de servir Dieu dans la sainteté, la justice et la paix. Luc, 1, 68-79. — Israël occupe le premier plan, et à bon droit, puisqu’il est le peuple choisi, Luc, I, 72-73 ; mais déjà l’on entrevoit le rôle spirituel et universaliste du libérateur : il illuminera ceux qui sont assis dans les ténèbres et à l’ombre de la mort, Luc, I, 79 ; s’il est « la gloire d’Israël », il est aussi « le salut préparé pour tous les peuples, la lumière qui éclairera les nations. » Luc, ii, 30-32. Il sera roi, et assis sur le trône de David, il sauvera son peuple ; mais sa royauté est de telle nature qu’il ne cessera jamais de régner, Luc, i, 33, et le salut qu’il apporte consistera avant tout à « délivrer son peuple de ses-