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    1. ROMAINS##

ROMAINS (ÉPiTRE AUX)

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était donc assez naturel de les omettre dans ces lectures. Nous avons un exemple frappant de cette manière de faire dans l’extrait syriaque des lettres d’Ignace publiées par Cureton. On avait cru un moment que c’était la vraie teneur du texte primitif. Zahn a mis hors de doute, me paraît-il, que c’étaient là des extraits faits à l’usage d’un couvent syrien, et dans lesquels on avait omis tout ce qui n’allait pas à l’édification, c’est-à-dire tous les détails historiques et personnels qui nous intéressent aujourd’hui à notre point de vue critique. C’est la même raison sans doute qui, à une époque ancienne, a occasionné dans la lecture publique l’omission de nos ch. xv et xvi et, par suite, dans les documents byzantins, la translation de la doxologie à la fin du c. xiv où s’arrêtait cette lecture. On comprend par là que l’influence de ce fait se soit surtout fait sentir sur les lectionnaires ou recueils de péricopes et sur des explications horoiléliques, comme celles de Chrysostome. On a objecté qu’au Ve siècle, Euthalius, à Alexandrie, faisait rentrer notre c. xv dans le cycle des péricopes destinées à la lecture publique. Mais l’omission des ch. xv et XVI pouvait fort bien remonter à une époque antérieure à Euthalius ; il y remédia pour le ch. xv. Mais l’omission, maintenue par lui, du ch. xvi confirme notre explication. » Op. cit., p. 474-475.

VII. Analyse du contenu. — La lettre se divise d’une façon régulière, en trois parties principales :

I. LE prologue (i, 1-16) contient l’adresse et l’action de grâces. L’adresse, ꝟ. 1-7, revêt une certaine solennité. Écrivant à une Église qu’il n’a ni fondée ni visitée, saint Paul éprouve le besoin d’expliquer à quel titre il ose lui écrire : c’est en qualité d’Apôtre des Gentils. Les Romains se trouvent, de ce fait, dans le ressort de sa mission. Il n’outrepasse donc point ses droits en leur adressant son message évangélique. Dans l’action de grâces, ^. 8-16, l’Apôtre exprime successivement la joie de voir l’Église de Rome si prospère et si renommée dans le monde entier pour sa foi si admirable, le vif désir qu’il a depuis longtemps de visiter une communauté si florissante pour la faire bénéficier de la grâce de son apostolat, en complétantçhez les fidèles leurs connaissances évangéliques.

II. le corps de la lettre (i, 17-xv, 13). — On y trouve deux parties distinctes : l’une dogmatique et doctrinale ; l’autre morale.

1° Partie dogmatique (i, 17-xi). — La thèse peut se résumer dans ces mots : Le salut par la foi à l’Évangile, réalisation de la prophétie d’Habacuc : « Le juste vit de la foi », 1, 16-17. —.4) Pour le prouver, l’auteur montre d’abord l’impuissance de la nature, par la description des désordres du monde païen, i, 18-32. Les gentils ont connu Dieu et la loi naturelle, mais ils ont agi comme s’ils n’en avaient pas eu la moindre notion. Tout en se disant sages, ils ont agi en fous et transféré la gloire du Dieu incorruptible à des images représentant des hommes mortels, des oiseaux, des quadrupèdes, des reptiles : c’est l’histoire de l’idolâtrie. Cette perversion de l’idée et du culte du vrai Dieu a eu pour conséquence les pires désordres moraux. « Dieu les a livrés aux désirs de leurs cœurs, si, 26, c’est-à-dire à leurs passions, à l’esprit d’erreur et de mensonge, au sens réprouvé ; après l’obscurcissement de l’esprit, l’oblitération du sens moral. L’apôtre expose ensuite sans ménagement les désordres du monde païen, d’où il est facile de conclure que Ja nature, laissée à elle-même, ne conduit pas à la justification.

B) La loi n’y conduit pas davantage, n-iu, 8. Après le réquisitoire contre le paganisme, l’acte d’accusation des fils d’Abraham. Eux aussi ont provoqué, par la prévarication, la colère de Dieu. La tâche était délicate. Saint Paul l’aborde avec précaution, eu donnant aux faits l’appui de l’Écriture. Le témoignage des faits est écrasant : il remplit tout le ch. n. « Toi donc, qui que tu

sois, qui condamnes les autres, tu es inexcusable. En condamnant les autres tu te condamnes toi-même, puisque tu fais précisément ce que tu condamnes. » n, 1, et plus expressément encore. « Toi qui instruis les autres, tu ne t’instruis pas toi-même ; tu défends le larcin et tu le pratiques ; tu condamnes l’adultère et tu le commets ; tu hais les idoles et tu es sacrilège ; tu te glorifies de la Loi et tu déshonores Dieu en violant la loi, » ii, 23-24. Ceci n’est pas une exception ou le fait de quelques-uns. L’Écriture elle-même le reconnaît quand elle dit : <x Il n’y a point de juste, pas un, nul homme intelligent, aucun qui cherche Dieu. Tous sont sortis de la voie, tous sont pervertis ; il n’y en a pas un qui fasse le bien, pas un seul. » ii, 10-12. La conclusion générale, c’est que juifs et païens, pris en masse, sont sous la condamnation divine. Les deux économies, nature et loi, ont fait faillite et n’ont pu donner la justification.

C) L’Apôtre arrive ainsi à l’économie nouvelle, pratiquée par la Loi, annoncée par les prophètes : l’économie évangélique dans laquelle la justification s’opère par la foi en Jésus-Christ, Rédempteur de l’humanité, ni, 21. Il décrit les deux caractères essentiels de ce nouveau mode de justification : — 1. son universalilé (in omnes), conséquence directe du monothéisme. Puisqu’il n’y a qu’un seul Dieu, ce Dieu est nécessairement le Dieu des gentils aussi bien que le Dieu des Juifs. — 2. sa gratuité. Ni les uns ni les autres n’ont mérité cette grâce. « Tous ont péché et se sentent privés de la gloire de Dieu, justifiés qu’ils sont gratuitement par sa grâce, iii, 23-24. La cause de cette justification n’est pas l’observation de la Loi, mais la mort rédemptrice du Sauveur Jésus, Dieu l’ayant constitué instrument de propitiation par la foi, dans son sang, ꝟ. 25. Quant au but final de cette économie nouvelle, c’est toujours la gloire de Dieu « pour faire éclater sa justice obscurcie par la tolérance des péchés qu’il a supportés avec patience, pour faire éclater sa justice à l’heure actuelle, afin d’être reconnu juste lui-même et auteur de la justification pour quiconque relève de la foi en Jésus, » iii, 26. De ces considérations l’Apôtre déduit deux conséquences préliminaires : une leçon d’humanité, y. 27-28, une leçon d’égalité : Juifs et païens sont justifiés l’un et l’autre de la même manière,

D) Pour mieux pénétrer la nature intense de ce nouveau mode de justification, saint Paul J’envisage sous divers aspects. — 1° Dans ses rapports avec l’Ancien Testament, iv, 1-25. Il la compare avec la justificationtype d’Abraham, IV, 1-25. Toutes deux conviennent dans leurs traits essentiels, c’est-à-dire qu’elles s’opèrent l’une l’autre par la foi dans la Loi, ꝟ. 1-8. Ainsi tout ce qu’a obtenu Abraham en fait de justice, il l’a acquis non par la circoncision, ꝟ. 9-12, puisqu’il a été justifié avant d’être circoncis, a fortiori, sans les observances mosaïques qui sont l’antithèse de la promesse et qui d’ailleurs sont venues longtemps après, y. 1317, en sorte que la justification d’Abraham est le modèle de celle des chrétiens, ꝟ. 17, 25. — 2° Dans ses effets salutaires (v-vm). Entre la justification et le salut il y a une certaine différence : celle du commencement de l’œuvre par rapport à son achèvement. L’Apôtre va montrer, dans ces quatre chapitres, que d’après la pensée et les plans de Dieu, justification et salut sont les deux anneaux extrêmes d’une chaîne indissoluble, quoique ce soit le triste privilège de notre libre arbitre de pouvoir le briser. La grâce est le germe de la gloire, la foi est le gage de la vision, les dons de 1 "Esprit-Saint sont les aubes de la béatitude et l’éclat bienheureux des élus n’est que la floraison tardive mais spontanée de la charité, qui est elle-même un esprit particulier de la justice. « Nous sommes sauvés en espérance » et « l’espérance ne déçoit pas, » voilà le thème qui va être développé. En effet, trois grandes puissances s’opposent