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    1. ROMAINS##

ROMAINS (ÉPiTRE AUX)

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1er « l'évangile de saint Paul ». C’est de beaucoup celui où sa pensée s’est exprimée avec le plus de suite et de régularité. Le ton calme, le mode d’exposition large et presque didactique, l’ordonnance des preuves lui donnent l’allure d’un traité de théologie. Pourtant ce n’est pas, comme les protestants d’autrefois affectaient de le croire, une sorte de catéchisme doctrinal, un manuel du christianisme : c’est une lettre. Si l’on n’y trouve pas, comme ailleurs, des épanchements affectueux, des confidences, des reproches, des détails personnels, des traces d’apologie, des nouvelles, cela tient à ce que saint Paul n'était pas entré, jusque-là, en rapport avec l'Église de Rome. Il y connaissait un certain nombre de fidèles, ceux qu’il salue à la fin de sa lettre, mais ceux-ci n'étaient qu’une' minorité et l’Apôtre ne pouvait écrire au reste de la communauté, sur le même ton qu’aux fidèles de Corinthe ou de Macédoine. Son message porte beaucoup moins l’empreinte des circonstances locales. Il se rapproche davantage d’une thèse dogmatique, c’est une sorte de spécimen doctrinal, destiné à édifier les chrétiens de Rome, à consolider leur foi, à les préparer à la visite de Paul. Rom., i, 11. L'épître, tout en paraissant plus détachée que les autres des particularités du style épistolaire, en garde pourtant les caractères généraux ainsi que le but pratique. Au point de vue du fond, elle a une ressemblance frappante avec l'Épltre aux Galates. Dans l’une comme dans l’autre de ces lettres, le thème est presque identique : le salut par la foi. Seulement elles diffèrent autant par le ton ou par le développement des preuves et par le point de vue où se place l’auteur. Dans l'Épltre aux Galates, l’Apôtre avait montré la relation de l'Évangile avec l'économie juive. Ici l’horizon s'élargit. Paul, embrassant tout le passé de l’humanité, avec ses deux grands courants, juif etpaïen, montre que l’histoire aboutit, dans les desseins de la Providence, au salut chétien. Il ne se renferme plus dans une comparaison entre l’alliance mosaïque et l’alliance nouvelle, cette période de la Loi n’est qu’un épisode dans le développement du programme providentiel. L’Apôtre remonte plus haut, jusqu’au chef de l’humanité déchue, Adam, qu’il oppose au second Adam, chef de l’humanité régénérée. Le salut n’est plus simplement, comme dans l'Épître aux Galates, la réalisation des promesses faites à Abraham, Gal., iii, 6-9, 14-16, mais la restauration de l'âme créatrice par le Christ, le nouvel Adam, dont la mort a expié les fautes de l’humanité. Le rejet d’Israël, à peine marqué dans la lettre aux Galates, iv, 30, est traité ici ex professo. Rom., ix-xi. Au reste, aucune trace de polémique ou d’apologie personnelle dans l'Épltre aux Romains. Partout la calme sérénité d’une pensée qui se développe en toute liberté avec une ampleur remarquable, en sorte que l'Épltre n’est, comparée à l’autre, qu’un canevas, une esquisse delà grande thèse du salut par la foi. Ceci explique l’analogie de certains passages des deux Épitres, encore que les circonstances où elles ont été rédigées soient si différentes ! Le poète anglais Coleridge estimait que l'Épître aux Romains était ce que l’homme avait écrit de plus profond. « En effet, dit Godet, Introd. au Nouv. Test., t. i, p. 482, les deux pôles de l’existence terrestre, le péché et le salut y sont saisis avec une égale énergie et l’on voit se dessiner avec une admirable netteté, autour de ces deux points fixes, la petite et la grande ellipse du salut individuel et du salut humanitaire. Un écrivain a appelé l'Épître aux Romains la clef d’or des Écritures ; il eût pu dire : la clef d’or de l’histoire. Si, en effet, le salut est le centre de l’histoire, lever le voile dont ce salut était couvert, c'était jeterlejoursur le fond des choses. » Avec les deux lettres aux Corinthiens, cette Épître forme une admirable trilogie où l’Apôtre traite du salut, but suprême de l’humanité, de l'Église, dépositaire de ce salut, enfin du ministère apostofique qui applique à I

tous, peuples et individus, le salut divin. Mais là où elle surpasse toutes les autres Épitres, c’est dans la façon « philosophique » de traiter un thème suivi. On est presque tenté, en la lisant, de croire qu’ici l’Apôtre a voulu donner, aux chrétiens de la Ville éternelle, un aperçu de cette « sagesse supérieure » qu’il tenait en réserve pour les « parfaits ». ICor., ii, 6. C’est ainsi qu’il projette un jour tout nouveau sur les origines de la religion, du paganisme en particulier, i, sur l’influence opposée des deux chefs de la voie humaine, v, sur la loi psychologique qui préside au développement moral de l’individu, vi, sur l’insuffisance de la loi par rapport à la justification, vii, sur la glorification de la nature inanimée elle-même, viii, sur la marche et le but de l’histoire, ix-xi.

II. Date et lieu de rédaction. — D’un commun accord, les critiques placent la composition de cette Épître durant les mois d’hiver que saint Paul passa à Corinthe, lors de sa troisième visite. C’est donc entre 57-58 qu’elle fut écrite, en flécembre, janvier ou février. On ne peut en retarder la rédaction au delà de mars, car ce fut au printemps que l’Apôtre se mit en route vers la Judée avec les délégués des Églises qui devaient l’accompagner à Jérusalem. Ces conclusions découlent des données fournies par les Actes, la seconde Épître aux Corinthiens et le contenu même de l'Épître aux Romains. En effet, au moment où celle-ci fut écrite, l’Apôtre n’avait pas encore visité Rome, Rom., i, 13, mais il se proposait d’y venir bientôt. Rom., xv, 23. Il a prêché, 1'Évangile jusqu’aux confins de l’Illyrie et, se considérant à la fin de son travail dans les pays d’Orient, il est sur le point de transporter son ministère en Occident. Rom., vi, 19, 23 ; II Cor., x, 16. Une autre circonstance précise encore plus clairement ces détails. D’après Rom., xv, 25, Paul se dispose à partir pour Jérusalem avec le produit de la collecte qui vient d'être achevée dans les Églises de Macédoine et d’Achaie. Ceci nous reporte, sans doute possible, aux dernières semaines du troisième séjour de Paul à Corinthe. I Cor., xvi, 1-4 ; II Cor., vm-ix ; Act., xx, 2, 3. La lettre aux fidèles de la capitale a donc été écrite dans le cours des trois mois d’hiver- (57-58) que l’Apôtre passa à Corinthe et en Achai’e, à la fin de son troisième voyage de mission. Act., xx, 2, 3. Elle fut portée à Rome par Phœbé, diaconesse de Cenchrées, un des ports de Corinthe, Rom., xvi, 1. Gaius, l’hôte de Paul en ce moment, Rom., xvi, 23, est, suivant toute probabilité, lemême qu’il avait baptisé lors de son premier séjour à Corinthe. I Cor., i, 14. Enfin la mention de Timothée et de Sopater ou Sosipater dans les salutations finales, Rom., xvi, 21, correspond aux indications des Actes, xx, 4, qui signalent la présence de ces deux frères parmi les délégués des Eglises, au moment du départ de saint Paul pour Jérusalem. Il se peut aussi que le Jason qui, en compagnie de Lucius et des deux frères nommés ci-dessus, envoie ses saluts aux chrétiens deRome, soit le Jason de Thessalonique dont l’Apôtre avait reçu l’hospitalité à son arrivée en Macédoine, Rom., xvi, 21 ; Act., xvii, 6, et qui, vraisemblablement, faisait partie de la troupe qui devait accompagner Paul en Palestine. Tous ces renseignements, on le voit, s’accordent, d’une façon très précise, à établir les conclusions énoncées plus haut et à leur donner une entière certitude, alors que pour plusieurs autres Épitres, on se trouve réduit à des conjectures.

III. Destinataires de l'Épître. — Si l'Épître aux Romains n’est pas, comme on l’a démontré, une simple dissertation, mais une lettre véritable, ayant, comme ses devancières, un but particulier déterminé par des circonstances spéciales, il importe de connaître la communauté à laquelle elle a été adressée, les éléments, juifs ou gentils, dont elle se composait et les tendances religieuses qui y prédominaient.