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PUBLIGAINS


Ce sont ces fermiers généraux qui recevaient à proprement parler le titre de publicani. Ils avaient sous leurs ordres un nombre considérable d’agents inférieurs, nommés en latin portitores, exactores, qui exerçaient à peu près les fonctions de nos douaniers, et qui étaient attachés à des stations déterminées : sur les ponts, aux carrefours des routes, à la porte des villes, près des lieux de débarquement. Cf. Matth., ix, i, 9. Ces sous-agents, qui traitaient directement avec les contribuables, n’imitaient que trop la conduite odieuse et tout spécialement les concussions de leurs chefs, d’autant mieux que leur recrutement avait lieu dans de mauvaises conditions, et que, ayant souvent une part des profits dans les perceptions, ils ne craignaient pas de surtaxer les objets soumis à la douane. Aussi le sentiment populaire leur était-il partout défavorable ; on se plaignait d’eux de tous côtés. Cf. Digest. , xxxix, 4. D’après Stobée, Serm., ii, 34, les portitores étaient comme les ours et les loups de la société humaine ; cf. Théocrite, Char., 7. La locution Ilâv-cô ;-ceXûvat navreç âp7 ! ays ; , « Tous les publicains sont des voleurs », était devenue de bonne heure proverbiale. Cicéron, dans une lettre à son frère, Ad Quint., i, i, 11, avoue que le public se plaignait moins encore des portoria, quoique si lourds, que des iniuriœ portitorum. Il dit ailleurs, De Offic, i, 42, que la profession de publicain était la pire de toutes. Et il n’y avait pratiquement aucun recours contre leurs procédés vexatoires, car, dans les provinces surtout, les autorités romaines, qui auraient dû réprimer les abus, étaient souvent de connivence avec les publicains pour dépouiller le public, sous le prétexte de percevoir les impôts. Voir Tacite, Ann., xiii, 50.

Les publicains dans les Evangiles.

Remarquons d’abord qu’à l’époque de Notre-Seigneur la Palestine dépendait de trois juridictions différentes au point de vue politique, et par conséquent sous le rapport des impôts. La Judée et la Samarie étaient sous la domination direcle de Rome et étaient gouvernées par le procurateur romain ; la Galilée et la Pérée appartenaient à Hérode Antipas ; la Trachonitide, l’Abilène et l’Iturée, à son frère Philippe. Cf. Luc, iii, 1. En Judée et en Samarie, les impôts étaient donc levés pour le compte de Rome ; dans les autres districts, pour celui des deux tétrarques. Sur ces divers territoires, il y avait de nombreux collecteurs d’impôts. Des deux publicains qui sont mentionnés nommément dans l’Évangile, l’un, Lévi ou l’apôtre saint Matthieu, dont le bureau était à Capharnaùm, près du port, Matth., ix, 1, 9, levait la taxe au nom d’Hérode Antipas ; l’autre, Zachée, à Jéricho, Luc, xix, au nom du gouverneur romain.

La mention fréquente des publicains par les Évangélistes indique quelle grande place cette catégorie d’hommes tenait dans la vie sociale de la Palestine. Dans le Nouveau Testament, les synoptiques sont seuls à les mentionner, encore ne parlent-ils pas des publicani proprement dits, c’est-à-dire des entrepreneurs généraux, mais des simples portitores, auxquels la Vulgate donne improprement le nom de « publicains » ; le grec les nomme toujours TEÎ.wvai. Il existe tout au plus une exception à cette règle : Luc, xix, 2, Zachée est nommé àp-/ ! T€).wvï]ç, Vulgate, princeps publicanorum, et il est fort possible qu’il ait été lui-même adjudicataire des impôts pour tout le district de Jéricho. Cette ville, en effet, était une station importante de douanes, à cause du grand commerce de baume dont elle était le centre.

Dans les Évangiles aussi, on trouve plusieurs allusions aux extorsions injustes et à la violence des publicains. Jean-Baptiste, interrogé par quelques-uns d’entre eux sur la manière dont ils devaient faire pénitence, leur répondit : « Ne faites rien de plus que ce qui vous a été prescrit, » Luc, iii, 13, c’est-à-dire : n’exi gez rien au delà de la taxe légitime. Zachée, prenant en face de Jésus de généreuses résolutions, promet, s’il a fait tort à quelqu’un, de restituer au quadruple. Luc, xix, 8. Dans ce second texte, l’équivalent grec de defraudavi de la Vulgate est uuxoçaviEtv, extorquer de l’argent au moyen de fausses accusations. Les portitores recouraient donc au chantage, accusant à faux les gens d’avoir fraudé, pour obtenir d’eux des sommes plus considérables. Leur conduite est surtout stigmatisée, dans les Évangiles synoptiques, par la manière perpétuelle dont le peuple les associait soit aux pécheurs en général, cf. Matth., ix, 10, II ; xi, 19 ; Marc, il, 15-16 ; Luc, v, 30 ; vii, 29-30 ; xv, 1 ; xviii, 11, etc., soit en particulier aux femmes publiques, Matth., xxi, 31-32, et aux païens, Matth., xviii, 17, c’est-à-dire aux êtres les plus odieux d’après les principes Israélites.

C’est que, dans les divers districts de la Palestine, les collecteurs subalternes des impôts étaient le plus souvent Juifs eux-mêmes. Cf. Matth., ix, 9 ; Luc, iii, 12 et xix, 2 ; Josèphe, Ant., ll, xiv, 4. Or, spécialement en Judée, ce fait les rendait doublement méprisables aux yeux de leurs compatriotes, parce qu’ils avaient, par leurs fonctions mêmes, indépendamment de leur rapacité, le tort impardonnable de servir d’instruments aux Romains, les puissants ennemis de la cause théocratique. On lés regardait donc, non seulement comme des hommes avides, qui songeaient avant tout à leurs intérêts personnels, mais aussi comme des traîtres et des renégats sous le rapport politique et religieux. En effet, à ce dernier point de vue, plus d’un Israélite se posait au fond de sa conscience, lorsqu’il s’agissait de se mettre en règle avec les publicains, cette question qui fut adressée un jour à N.-S. Jésus-Christ, Matth., xxii, 17 : « Est-il permis de payer le tribut à César ? » Le payer, n’était-ce pas substituer une royauté païenne à celle du Seigneur ? Les publicains étaient donc particulièrement abhorrés en Palestine, comme on le voit par les écrits talmudiques. On les bannissait impitoyablement de la société des gens honnêtes, Luc, vii, 34 ; on regardait comme une chose inconvenante de manger et de boire avec eux, Matth., ix, 11 ; Marc, ii, 16 ; Luc, v, 30 ; ils n’avaient pas le droit d’être juges ou témoins dans les procès. Les rabbins allaient jusqu’à affirmer que le repentir, et par conséquent le salut des publicains, sont impossibles, Baba Kama, 94 b ; ils les rangeaient parmi les voleurs et les assassins. Nedar., iii, 4, 1. Les publicains étaient donc excommuniés de fait. Cf. Lightfoot, Opéra orania, Utrecht, 1599, t. ii, p. 295-296, 344, 502-503, 555. Leur famille était regardée comme déshonorée. Il était interdit d’accepter leurs aumônes et même de changer delà monnaie chez eux, leur argent étant souvent le produit du vol. Baba Kama, 10, 1. Au contraire, il était permis de les tromper le plus possible ; par exemple, en déclarant que les objets soumis à la douane étaient destinés au Temple, en faisant passer un esclave pour un fils, etc. Le Talmud ne se montre indulgent à leur égard que lorsqu’ils diminuaient les taxes pour leurs compatriotes. Sanhedr., 25, 2. Ainsi traités en parias, les publicains n’avaient d’autre ressource que de s’associer étroitement entre eux ou à d’autres parias, et c’est précisément pour ce motif qu’ils sont si fréquemment rapprochés des pécheurs dans les Évangiles. On ne pouvait les fréquenter sans se compromettre ; aussi les Pharisiens ne pardonnaient-ils pas à Jésus-Christ les relations qu’il avait avec eux et les sentiments de bienveillance qu’il leur témoignait. Cf. Matth., ix, 10-11 ; xi, 19 ; Marc, ii, 15-16 ; Luc, v, 29-30 ; vii, 34 ; xv, 1 ; xix, 1-10. Bien plus, Jésus lui-même, malgré sa bonté pour les pécheurs, employait parfois envers les publicains le langage sévère de ses compatriotes. Cf. Matth., xviii, 17 ; xxi, 31-32, etc. La conversion de plusieurs d’entre eux, comme on le voit