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PROSELYTE

du service militaire, par exemple. Cf. Josèphe, Ant. jud., XIV, x, 13. Ceux qui voulaient profiter de l’influence, du crédit, de l’assistance des Juifs dans une ville, embrassaient le judaïsme. On en faisait autant en vue d’un mariage, cf. Josèphe. Ant. jud., XVI, vii, 6, ou d’intérêts qui n’avaient rien de religieux. Toutefois le nombre de ceux qui devenaient prosélytes sans vraie conviction se tenait dans des limites relativement restreintes, à raison des sarcasmes dont les Juifs étaient l’objet de la part de la populace païenne, cf. Horace, Sat., i, iv, 142 ; Martial, vi, 29, 34, 81 ; xii, 95 ; xii, 37, et des mesures sévères que le gouvernement prenait contre eux de temps à autre. Cf. Tacite, Ann., ii, 85 ; Suétone, Claud., 25 ; Domit., 12.

4. Tout en tenant compte des abus qui se produisirent naturellement, il est juste de reconnaître le succès de la propagande juive, le zèle qui portait des scribes et des pharisiens à traverser les mers et à parcourir la terre pour y travailler, Matth., xxiii, 15, et aussi le réel dévouement des nouveaux prosélytes qui adhéraient à une doctrine élevée, sans doute, mais qui en même temps s’assujettissaient à des pratiques assez onéreuses. Il est à regretter cependant que les missionnaires juifs aient trop souvent communiqué à leurs prosélytes l’esprit d’orgueil et de formalisme qui les caractérisait eux-mêmes, de manière à faire de leurs nouveaux disciples, ainsi que Notre-Seigneur le leur reproche, « des fils de géhenne, deux fois plus qu’eux-mêmes. » Même convertis au christianisme, ces prosélytes seront pour l’Église naissante une cause de grandes difficultés. Voir Judaïsants, t. iii, col. 1778.

Les prosélytes juifs.

1. Ainsi qu’il fallait s’y attendre, il y avait parmi ces prosélytes des convertis inconstants, comme l’avoue Josèphe, Cont. Apion., ii, 10, et d’autres qui n’acceptaient la loi juive qu’en partie. C’est à eux que saint Paul écrivait : « Je déclare encore une fois à tout homme qui se fait circoncire, qu’il est tenu d’accepter la loi tout entière. » Gal., v, 3. Cependant, on passait outre quelquefois. Ainsi, quand Izate, fils d’Hélène et roi d’Adiabène, voulut se faire circoncire pour devenir juif parfait, sa mère s’y opposa, pour ne pas causer de troubles dans le royaume ; mais un marchand juif, du nom d’Ananias, déclara au roi « qu’on pouvait parfaitement servir la divinité sans la circoncision, pourvu (qu’on fût résolu à adopter les antiques coutumes des Juifs, qui importaient bien davantage que la circoncision ». Josèphe, Ant. jud., xx, ii, 4. Un autre Juif, nommé Éléazar, meilleur interprète de la Loi, donna ensuite une décision contraire à lzate, qui se fit circoncire. Il n’en est pas moins à penser que beaucoup partageaient les idées d’Ananias. Ils croyaient au Dieu unique, dont aucune représentation n’était permise ; ils l’honoraient, fréquentaient les synagogues et observaient la loi mosaïque, mais en se bornant aux points principaux. Ce sont ces hommes que l’on désignait sous le nom de σεβόμενοι ou φοβούμενοι τὸν θεόν, colentes ou timentes Deum, « ceux qui servent » ou « craignent Dieu ». Act., xiii, 43 ; x, 2, etc. Les anciennes inscriptions latines enregistrent de temps en temps quelque metuens ou observateur des coutumes juives. Cf. Corp. insc. lat., t. v, 1, 88 ; t. vi, 29759, 29760, 29763 ; t. viii, 4321, etc.

2. Or, ces hommes vivant à la juive ne sont pas de véritables prosélytes. On les appelle ordinairement gêrê haš-ša’ar, « prosélytes de la porte », tandis que les autres sont nommés gêrê haṣ-ṣédéq, « prosélytes de justice ». Mais l’identification des « hommes craignant Dieu » et des « prosélytes de la porte » est arbitraire ; la Mischna ne la connaît pas. Celle-ci distingue seulement entre le gêr, l’étranger proprement dit, et le gêr ṭôšâb, l’étranger colon, qui habite au milieu du peuple d’Israël. Le gêr haš-ša’ar ne serait pas autre chose que ce dernier, l’étranger qui habite dans les portes ou le pays d’Israël, la porte étant prise souvent pour la ville elle-même. Deut, xii, 12 ; xiv, 27 ; III Reg., viii, 37, etc. Voir Porte, col. 548. Cet étranger devait se soumettre aux lois imposées à tous les hommes qui n’étaient pas juifs, c’est-à-dire à ce que l’on appelait les sept commandements des fils de Noé concernant : 1° l’obéissance aux juges ; 2° le blasphème ; 3° le culte des idoles ; 4° l’impureté ; 5° le meurtre ; 6° le vol ; 7° la chair avec le sang. Gen., ix, 4. Cf. Sanhédrin, 56 b. Il va de soi que, depuis la conquête romaine surtout, les Grecs, Romains et autres étrangers établis en Palestine se mettaient fort peu en peine d’observer ces sept lois noachiques, de telle façon qu’aucune différence pratique ne subsistait plus entre l’étranger vivant au milieu des juifs et l’étranger résidant hors de Palestine. Les noms de gêr, de gêr ṭôšâb et de gêr haš-ša’ar ne représentaient donc plus de » situations différentes.

3. Les hommes « craignant » ou « servant Dieu » sont ainsi en dehors des deux autres classes. Corneille, par exemple, « religieux et craignant Dieu, ainsi que toute sa maison, faisait beaucoup d’aumônes au peuple et priait Dieu sans cesse. » Act., x, 2. Mais il n’était pas circoncis ; saint Pierre craignait de se commettre avec quelqu’un qui n’appartenait pas au judaïsme, Act., x, 10-16, et les fidèles s’étonnèrent beaucoup que le Saint-Esprit descendît sur des gentils. Act., x, 45 ; xi, 3. Les hommes tels que Corneille n’étaient pas regardés comme juifs, parce qu’ils n’avaient pas reçu la circoncision ; et cependant, par leurs croyances et leurs pratiques, ils étaient aussi proches des Juifs sincèrement pieux qu’éloignés du commun des païens. Les convertis de cette espèce s’étaient multipliés autour des juiveries officielles, et l’appoint qu’ils fournirent au christianisme naissant dépassa probablement celui qui lui vint des Juifs proprement dits. Ce judaïsme incomplet ne comptait pas aux yeux des Juifs de stricte observance, comme le montre l’appréciation des judéo-chrétiens de Jérusalem au sujet du baptême de Corneille. Beaucoup s’en contentaient cependant, n’attachant qu’une importance secondaire au rite de la circoncision, qui, d’ailleurs, les décelait et leur attirait des sarcasmes dans les thermes publics. Voir Circoncision, t. ii, col. 778. Aussi est-il probable que, parmi les Juifs de la dispersion, la propagande religieuse n’obtenait pas toujours tout son effet ; beaucoup se décidaient à vivre à la juive ; les vrais prosélytes allant jusqu’à recevoir la circoncision étaient beaucoup moins nombreux. On le conclut des mentions fréquentes qui sont faites dans les Actes des hommes « craignant Dieu ». Il n’y a donc pas de valeur à attacher à la division des prosélytes adoptée par certains auteurs, qui distinguent les prosélytes « de la porte » et les prosélytes « de justice ». Les Juifs ne reconnaissaient d’autres prosélytes que ces derniers. Depuis la conquête grecque, la Palestine ne comptait plus guère de prosélytes « de la porte », ou étrangers soumis aux lois noachiques. Quant aux hommes « craignant Dieu », sans aller jusqu’à l’adoption complète de la loi mosaïque, ils avaient une religion bien supérieure à celle des prosélytes « de la porte », anciens ou nouveaux.

Obligations et droits des prosélytes.

1. Pour devenir prosélyte de justice, c’est-à-dire prosélyte complet et véritable, cf. Matth., iii, 15, il fallait tout d’abord se soumettre à trois conditions, la circoncision, le baptême ou ablution conférant la pureté légale et un sacrifice. Les femmes se contentaient des deux dernières conditions. Cf. Keritkoth, 81 a ; Yebamoth, 46 a ; Pesachim, viii, 8 ; Eduyoth, v, 2 ; etc. La circoncision incorporait le gentil au peuple juif, l’ablution le purifiait selon la loi lévitique et le sacrifice expiait ses péchés. Après la destruction du Temple, la troisième condition devint naturellement impossible à remplir.