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PROSELYTE

ἐπήλυτος, qu’on retrouve dans les Septante, Job, xx, 26, ἐπήλυτης et ἔπηλυς.

La propagande juive.

1. Les Juifs ne jouissaient pas d’une grande faveur dans l’ancien monde gréco-romain. Les écrivains classiques les traitent souvent avec mépris, haine et injustice. Cf. Tacite, Hist., v, 4, 5, 8 ; Plutarque, Sympos., IV, 5 ; Juvénal, Sat., vi, 160 ; xiv, 97, 98, 103-106 ; Ammien Marcellin, xxii, 5, etc. D’autre part les Juifs, par leur particularisme outré, leur antipathie pour les étrangers, le caractère de leur dogme et de leur morale, si surprenants pour des païens, semblaient destinés à rester confinés dans leur isolement. Mais la Providence avait ici très manifestement des vues en contradiction avec les prévisions humaines. Les prosélytes juifs devaient fournir à la propagande chrétienne des âmes toutes préparées. La loi mosaïque devenait ainsi le vestibule de l’Évangile, non seulement par son action préparatoire à la rédemption et au règne messianique, mais encore par une influence directe sur les âmes des Juifs et sur celles que conquéraient les Juifs. C’en fut assez pour que ce peuple longtemps jaloux de ses prérogatives, qu’il tenait pour incommunicables, travaillât à y associer des étrangers, et pour que ces derniers, malgré leurs préjugés contre une religion d’assez mauvais renom parmi eux, se missent à l’étudier et à l’embrasser en grand nombre. Il y a là un phénomème dont les explications naturelles ne suffisent pas à rendre compte d’une manière adéquate.

2. A vrai dire, cette adoption des étrangers dans le sein d’Israël, inaugurée à la sortie d’Egypte, Exod., xii, 38, n’avait ensuite pris quelque développement que dans les pays de l’exil, où le contact immédiat des Juifs permettait de mieux apprécier leur religion. Tob., i, 7 ; Esth., viii, 17. Mais la propagande ne devint vraiment active et systématique que dans l’empire romain. Notre Seigneur constate ce zèle, parfois exclusif et funeste dans ses résultats. Matth., xxiii, 15. Saint Paul l’attribue à la conviction qu’avait le Juif d’être « le guide des aveugles, la lumière de ceux qui sont dans les ténèbres, le docteur des ignorants, le maître des enfants, ayant dans la Loi la règle de la science et de la vérité », et il lui reproche de ne pas pousser son zèle jusqu’à s’instruire lui-même. Rom., ii, 19-21.

3. La propagande eut tant de succès, dans le monde gréco-romain, que seuls, parmi les adeptes des cultes orientaux, ceux du culte d’Isis et de Mithra l’emportaient sur ceux du judaïsme. Josèphe, Cont. Apion., ii, 10, constate que les Juifs étaient plus éloignés des Grecs par la distance que par les idées, et que beaucoup d’entre ces derniers avaient adhéré au judaïsme, bien que tous n’y eussent pas persévéré. Il ajoute, Cont. Apion., ii, 39 : « Depuis longtemps beaucoup désirent s’associer à notre manière de servir Dieu. Il n’y a pas de ville grecque ou barbare, pas de nation chez laquelle ne se soit introduite la coutume de célébrer le septième jour, que nous passons dans le repos, et où l’on n’observe les jeûnes, les allumages de lampes et les abstinences de mets qui nous sont défendus. On s’efforce d’imiter notre mutuelle entente, notre libéralité, notre application aux métiers, notre patience dans les tourments que nous endurons pour nos lois. » Des témoignages analogues sont fournis par Tertullien, Ad. nation., i, 13, t. i, col. 579 ; Sénèque, dans S. Augustin, De civ. Dei, vi, 11, t. xli, col. 192 ; Dion Cassius, xxxvii, 17. Les prosélytes étaient en nombre à Antioche, cf. Josèphe, Bell. jud., vii, iii, 3 ; à Antioche de Pisidie, Act., xiii, 16, 26, 43, 50 ; à Thessalonique, Act., xvil, 4 ; à Athènes, Act., xvii, 17, et à Rome. Cf. Horace, Sat., i, ix, 68-72 ; Sénèque, Epist. xcv ; Perse, v, 179-183 ; Ovide, De art. am., i, 75, 415 ; Tibulle, i, 3 ; v, 18 ; Juvénal, Sat., xiv, 96-106, etc. Les femmes étaient plus nombreuses et plus empressées que les hommes à embrasser le judaïsme. Act., xiii, 50 ; xvii, 4. Certains Juifs faisaient profession de les initier à la connaissance et à la pratique de la loi mosaïque. Cf. Josèphe, Ant. jud., XVIII, iii, 5. A Damas, la majorité des femmes étaient prosélytes. Cf. Josèphe, Bell, jud., II, xx, 2. A Rome, des femmes célèbres, comme Fulvie, pratiquaient le judaïsme, et d’autres, comme Poppée, femme de Néron, lui étaient favorables. Cf. Josèphe, Ant. jud., XVIII, iii, 5 ; XX, viii, 11. Non contents de s’affilier au judaïsme, de nobles étrangers venaient faire acte de religion à Jérusalem même, comme le ministre de la reine Candace, Act., viii, 27, et la reine Hélène d’Adiabène, qui se fit construire un palais dans la Ville sainte et se montra si généreuse envers les Juifs dans des circonstances difficiles. Cf. Josèphe, Ant. jud., XX, ii-iv.

Causes du succès de cette propagande.

1. Dieu favorisait, sans nul doute, une œuvre dont la réalisation rentrait dans ses plans ; mais il la laissait s’exécuter par des moyens humains. De leur côté, les Juifs avaient été saisis par un zèle véritable pour la propagation de leurs idées religieuses. Plusieurs adhérents devenaient nombreux dans les villes étrangères, plus leur influence se consolidait. Les hommes vraiment sincères et religieux y voyaient un gain pour la cause de la vérité et aussi pour la gloire de leur nation, Luc, ii, 32 ; les autres regardaient cette extension comme un acheminement vers cette conquête du monde et cette domination universelle sur les peuples, que les prophéties semblaient promettre à Israël. Dans ce but, on employait des moyens divers. Pour convertir les Idumeens et ensuite les Ituréens, Jean Hyrcan et Aristobule leur donnèrent à choisir entre la mort, l’exil ou la circoncision. Cf. Josèphe, Ant. jud., XIII, ix, 3 ; xi, 3. Parfois, des fanatiques imposaient la circoncision par violence. Cf. Josèphe, Vit., 23. D’autres faisaient de la propagande par des moyens ou pour des motifs peu avouables. Cf. Josèphe, Ant. jud., XVIII, iii, 5. Les procédés employés étaient le plus souvent de toute autre nature ; mais les instances ne faisaient jamais défaut pour déterminer une adhésion. De là le mot d’Horace, Sat., i, iv, 142 : Veluti te Judæi, cogemus in hanc concedere turbam, « nous te forcerons, comme font les Juifs à prendre rang dans cette foule. »

2. La doctrine israélite exerçait une forte attraction sur les esprits sérieux qui, fatigués des hontes du paganisme et des pauvretés intellectuelles du scepticisme, cherchaient une base solide à la croyance, un appui à l’espérance d’un avenir meilleur et une satisfaction à la fois digne et positive au besoin de Dieu qui torture le cœur humain. Les âmes ainsi disposées apprenaient que les Juifs possédaient des traditions merveilleuses et des données incomparables sur les questions qui intéressent la vie de l’âme ; qu’ils avaient en main des livres sacrés du plus haut intérêt ; que ces livres sacrés, sur le désir d’un Ptolémée d’Egypte, avaient été traduits en grec, pour être misa la portée de tous les penseurs du monde gréco-romain ; que ces livres étaient interprétés par des docteurs compétents et que plusieurs d’entre ces derniers, formés dans les célèbres écoles d’Alexandrie, cherchaient à montrer que ce qu’il y avait de meilleur et de plus élevé chez les grands philosophes de la Grèce ne différait guère de l’enseignement que professaient les livres juifs. En fallait-il davantage pour pousser beaucoup d’âmes à une étude qui promettait de leur donner satisfaction ? L’expérience leur en montrait d’ailleurs l’à-propos.

3. Les motifs qui déterminaient les prosélytes n’avaient pas toujours la même noblesse. Ceux du temps d’Esther, viii, 17, désiraient surtout, sans doute, échapper à des représailles ou partager la faveur dont jouissaient alors les Juifs. Les étrangers transportés en Samarie pendant la captivité ne devinrent juifs que par peur. IV Reg., xvii, 26-29. D’autres, à l’époque romaine, tendaient surtout à partager les privilèges accordés aux Juifs par l’autorité, l’exemption