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PROPHÉTISME

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.aucune relation avec cette situation politique. On ne la suppose que par comparaison avec les betiê hannebi’îm, qui entourent Elisée et qui luttent avec lui contre Achab. On conjecture qu’une cause analogue a provoqué l’élan prophétique du temps de Samuel. Tout -cela ne sort pas du champ des hypothèses, et l’existence des prophètes exaltés, véritables corybantes de Jahvé, « ’est pas prouvée.

D’autre part, nous sommes trop peu renseignés sur ^es actes des nebïim de cette époque pour nous faire une idée juste de leur nature et de leur influence religieuse. En particulier, le côté extraordinaire de leurs manifestations collectives nous échappe complètement, et c’est abuser de quelques ressemblances générales que de les assimiler entièrement aux phénomènes convulsifs d’autres mouvements analogues plus récents. On ne peut, en tout cas, leur enlever tout caractère religieux et il est légitime de penser que ces bandes organisées de dévots serviteurs de Jéhovah, courant le pays au son des instruments de musique, priant et peut-être prêchant, ont, en un temps de marasme religieux, produit une grande impression. Ils étaient une preuve manifeste de l’action de Jéhovah en Israël et ils ont pu -aboutir à relever le niveau religieux et moral de la foule. L’Esprit de Dieu, qui agit différemment suivant les époques et les milieux, a suscité un mouvement extraordinaire, capable d’exciter alors dans le peuple la piété, l’espérance en Dieu et la confiance en l’avenir »

2° Si, comme nous le pensons, la première période du prophétisme en Israël n’a pas présenté les caractères imaginés par les critiques rationalistes, la seconde période, dite de transition, perd déjà par le fait même sa caractéristique générale, car il ne peut y avoir transition d’un état qui n’a pas existé à un état futur. Élie diffère beaucoup moins de Samuel qu’on ne le prétend, et c’est un indice assuré que la série des voyants se continue sans modification essentielle, et que, s’il y a progrès, il n’est pas aussi sensible qu’on le dit. Ce qu’on appelle le « galop » d’Élie devant le char d’Achab, accompli sous l’action divine, I (III)Reg., xvin, 46, avait sans doute pour but de frapper par sa singularité l’esprit. du roi, au début de l’activité prophétique d’Élie. Si Elisée demande un harpiste avant de répondre à la consultation de.Tosaphat, II (IV) Reg., m, 15, ce n’était pas pour se préparer directement à l’inspiration prophétique qui ne dépendait pas de moyens extérieurs, mais de la seule volonté de Dieu ; c’étaitpour calmer l’irritation dont il s’était animé lui-même en parlant au roi d’Israël. Il n’y a pas à s’étonner que des soldats, ayant remarqué la fuite précipitée du fils de prophète qui était venu sacrer Jéhu, l’aient traité d’insensé. II (IV) Reg., IX, 11. Si l’épithète a le sens injurieux ou méprisant qu’on lui donne, cela viendrait du peu d’estime que ces soldats avaient pour les prophètes. On ne doit pas faire grand fond sur une injure ou une simple moquerie de caserne. Osée, IX, dit seulement que le peuple traite d’insensé le prophète dont les avertissements l’importunent et qu’à ses .autres crimes il ajoute celui de persécuter ceux que Dieu lui envoie. Dans sa lettre au prêtre Sophonie, le faux prophète Séméias ne parle, selon son sentiment, que des faux prophètes, des personnes qui feignent être saisies de l’esprit de Dieu. Jer., xxix, 26. Si l’expression est injurieuse, elle vient d’un adversaire et elle vise Jérémie, 27. Vraiment, on ne peut conclure de ces faits que y&wa ait jamais été un nom ordinairement donné aux prophètes. Cf. Laur, Die Prophetennamen des alten Testamentes, Fribourg, 1903, p. 38-40. L’acte de ce fils de prophète qui se présente devant Achab, la face voilée, n’est qu’une de ces actions symboliques que les prophètes accomplissaient pourannoncer la volonté divine d’une manière plus expressive et saisissante. Il se fait blesser pour paraître revenir du

combat. I (III) Reg., xx, 35-41. Quant aux prétendus signes de Jéhovah que les prophètes auraient portés au front et aux mains, c’est une de ces hypothèses singulières qui ne résistent pas à un examen attentif. On suppose gratuitement qu’il voile son tatouage qui, découvert, le fait reconnaître par le roi pour un prophète. C’est au symbolisme de son action que le roi reconnaît son caractère prophétique. Zacharie. parle de coups reçus par le faux prophète qu’il met en scène, et le terme qu’il emploie ne peut s’entendre d’un tatouage antérieur de ses mains. Cf. Laur, op. cit., p. 5459. Si Amos, vii, 14, déclare à Amasias qu’il n’est ni prophète ni fils de prophète, c’est qu’il est peut-être au début de sa vocation et qu’il ne fait pas partie d’une communauté de fils de prophètes. Il n’en affirme pas moins sa mission divine et il ne rejette pas un titre qu’il regarderait comme injurieux, ne voulant avoir rien de commun, pas même le nom, avec ces insensés de prophètes. Il répond à l’insinuation malveillante d’Amasias et il déclare qu’il ne fait pas profession de prophète dans un but de lucre. Cf. Laur, op. cit., p. 3941, 50-51 ; A. Van Hoonacker, Les douze petits prophètes, p. 269.

Quant aux benê han-nebYïm, on a pu les distinguer du nâbi’de Jéhovah. Voir Laur, op. cit., p. 59-63. Les premiers ne seraient pas des prophètes proprement dits (quoique leur désignation biblique semble équivaloir à celle de nebVîm), mais des hommes menant, sous la direction d’un nâbï, un genre de vie déterminé, sans être généralement doués de l’esprit prophétique. Sur leurs associations, voir ÉCOLES DE prophètes, t. ii, col. 1567-1570. Quoi qu’il en soit, ces fils de prophètes, groupés autour d’Elisée, ne présentent aucun de ces caractères excentriques et violents qu’on a voulu attribuer aux prophètes exaltés du temps de Samuel. S’ils en sont les successeurs, ils en ont continué, avec des différences conformes aux temps, les fonctions et l’esprit. Leur organisation paraît plus régulière et leur action non moins efficace. Disciples des grands prophètes, ils faisaient connaître au peuple leur doctrine et ils ont contribué à arrêter l’invasion du polythéisme en Israël. Ils étaient, dans cette œuvré, personnellement animés de l’Esprit de Dieu ; cet Esprit les inspirait, les dirigeait et favorisait leur succès : ce qui apparaît tout à fait digne de l’action directe de Dieu sur son peuple choisi.

3° Les prophètes de la troisième période ne diffèrent donc pas essentiellement de ceux des périodes antécédentes. Us continuent leur œuvre de direction et d’enseignement par des moyens nouveaux, plus parfaits en eux-mêmes peut-être ou selon notre mode d’appréciation, mieux adaptés aux besoins de leur temps et produisant, par l’écriture, des effets plus durables de leur ministère prophétique. Distinguer des formes inférieures et des formes supérieures de l’inspiration divine, c’est mesurer l’action de Dieu aux idées humaines. Il reste cependant conforme aux lois de la providence que, puisque Israël avançait progressivement dans la civilisation, qu’il était plus directement en rapport avec les grands empires polythéistes et qu’il avait besoin de mieux comprendre la religion et le culte spirituels, Dieu ait choisi de nouveaux moyens d’entrer en communication avec lui était, si l’on veut, recouru à des formes plus parfaites d’inspiration pour éclairer ses prophètes. Ce développement et ce progrès de l’esprit prophétique se comprennent très bien et se justifient logiquement. Tls diffèrent, il est vrai, de ceux que les critiques ont créés d’après leurs vues naturelles et leurs idées rationalistes.

La seule remarque à ajouter est que les prophètes du viii" siècle ne sont pas les créateurs du monothéisme. La foi monothéiste d’Israël remontait aux origines de ce peuple, constitué précisément pour en être le gar-.