Page:Dictionnaire de la Bible - F. Vigouroux - Tome V.djvu/380

Cette page n’a pas encore été corrigée
741
742
PROPHÉTISME


Ces prophètes ne se bornaient donc pas à prédire l’avenir ; ils enseignaient une doctrine complète, qu’ils prêchèrent d’abori et qu’ils écrivirent ensuite, pour que leurs successeurs et la postérité en tirent profit. Sous ce rapport même, les critiques rationalistes exagèrent et faussent l’influence des prophètes du vme siècle, quand ils en font les créateurs du monothéisme et les fondateurs de la théocratie. À l’époque d’Élie et d’Elisée, la religion d’Israël n’avait pas encore rompu complètement avec l’idolâtrie. Ces prophètes, qui combattent avec la dernière énergie le culte de Baal, ne disent rien contre l’adoration du veau d’or à Béthel. Leur jéhovisme cependant est déjà monolâtre, puisqu’il n’est jamais fait mention d’un autre dieu, pas même d’une déesse compagne et épouse. Les prophètes du vme siècle sont monothéistes. Jéhovah, pour eux, est le vrai Dieu, Je Dieu universel, maître du monde entier, unique par nature, invisible et spirituel, saint, juste et miséricordieux. Une fois en possession de cette idée monothéiste, obtenue par la comparaison du dieu national avec les dieux des peuples voisins, par la constatation de sa supériorité et finalement par la conclusion de son unicité et de sa supériorité universelle, ils s’en firent les apôtres et les prédicateurs. Ils travaillèrent à la faire accepter par les rois, les prêtres et le peuple lui-même. La lutte fut longue et le triomphe ne fut définitif qu’après le retour de la captivité de Babylone. Ils furent aussi les créateurs du culte moral. Auparavant, Jéhovah n’était honoré que par des actes extérieurs et par des sacrifices. Les prophètes découvrent que le Dieu unique et véritable demande le culte du cœur, la justice, la vertu, l’obéissance à sa loi, supérieure aux victimes et aux sacrifices. Ainsi donc, c< la critique historique ne s’est pas bornée à détruire les croyances traditionnelles, ainsi qu’on l’en accuse trop souvent. Elle a reconstruit après avoir démoli. En replaçant les prophètes d’Israël dans leur véritable milieu historique, elle a fait ressortir leur incomparable originalité, la haute valeur de leurs prédications enflammées ; elle a reconnu en eux de véritables ancêtres de la conscience moderne, et s’ils ont perdu leur caractère miraculeux, ils y ont infiniment gagné en grandeur morale. » i. Réville, Le prophétisme hébreu, Paris, 1906, p. 2.

Mais enfin, en quoi consistait donc, au sentiment de ces critiques, l’inspiration des prophètes, hommes d’action et écrivains ? L’ancien rationalisme, celui de Voltaire et des encyclopédistes, ne voyait dans les prophéties que de pures conjectures sur l’avenir religieux et politique, capables de séduire les simples et d’enflammer les fanatiques, ou bien des prédictions post eventum, c’est-à-dire l’histoire du passé écrite sous forme de prophétie, donc un procédé littéraire employé pour attirer l’attention, frapper l’imagination et aider la mémoire. Les rationalistes plus récents ont rejeté cette fausse conception et réduit les oracles post eventum à un minimum de prédictions trop claires. Pour eux, l’inspiration des prophètes d’Israël, sans être surnaturelle et directement divine, est cependant réelle et religieuse. Ils y sont allés par degrés. Les prophètes d’Israël ont d’abord été des prédicateurs d’une doctrine élevée, des hommes d’une foi profonde, des orateurs inspirés par de grandes pensées, qui attribuaient à Jahvéh leur propre inspiration. Mais cette inspiration provenait de leur exaltation religieuse ; ils la puisaient dans leur enthousiasme pour la vraie religion. Ils se mettaient constamment en rapport avec Dieu, et ils se regardaient comme ses serviteurs et ses messagers. Dieu, la religion, la morale étaient l’objet de leurs principaux discours. Ils rattachaient toutes leurs paroles à un ordre d’idées purement religieux ; mais ils s’inspiraient toutefois réellement de leurs propres convictions, qu’ils attribuaient à Dieu. Des critiques plus récents ont reconnu cependant dans ce

sentiment religieux une action de Dieu, réellement exercée dans l’âme des prophètes. La prophétie ne vient pas de Dieu en ce sens seulement qu’elle est, comme toutes les œuvres humaines, produite par les facultés que Dieu a données à l’humanité. Il y a plus. Le prophète a conscience que la pensée qui lui vient, que la conviction qui s’empare de son esprit, n’est pas de lui, qu’elle ne lui est pas arrivée par la voie ordinaire du raisonnement, et il l’attribue à Dieu. Pourquoi ? Parce qu’il n’en trouve pas la source en lui. Il se sent inspiré, il le déclare, et nous ne pouvons douter de sa parole. Bien que les idées prophétiques ne lui aient pas été communiquées par révélation surnaturelle, elles sont de Dieu, parce que la disposition qui les a produites dans l’esprit du prophète est l’œuvre de Dieu en lui. L’esprit de Jéhovah est entré et a agi dans l’esprit de l’homme. Les prophètes expliquaient ainsi l’obsession intérieure d’une grande pensée qui remplissait leur âme et dont l’origine psychologique échappait à leur conscience. Ils étaient sincères, et leur inspiration venait de Dieu en quelque manière.

Voir "Knobel, Der Prophetismus der Hebràer, 1837 ;

  • M. Nicolas, Du prophétisme hébreu, dans Éludes critiques

sur la Bible, Ancien Testament, Paris, 1862, p. 301-442 ; *A. Kêville, dans la Revue desdeux mondes, juin 1867, t. lxix, p. 823 ; "Dillmann, Veber die Propheten des alten Bundes, 1868 ; "Kuenen, Histoire critique des livres de l’Ancien Testament, trad. franc., Paris, 1879, t. ii, p. 1-52 ; Id., De profeten en de profetie onder Israël, 1875 ; trad. anglaise, Londres, 1877 ; ’Robertson Smith, The prophets of Israël and their place in history, Edimbourg, 1882 ; * Darmesteter, Les prophètes d’Israël, Paris, 1895 ; "Cornill, Der isrælitische Prophetismus, 1894 ; 4e édit., Strasbourg, 1906 ; * Giesebrechl, Die Berufsbegabung der altlestamentlichen Propheten, 1897 ; *S. Michelet, Isræls Propheten als Trager der Offenbarung, trad, allemande, Fribourg-en-Brisgau, 1898 ; *Smend, Alttestarnentliche Religions geschichte, 2e édit., Fribourg-en-Brisgau, 1899, p. 78-93, 187-200, 253-264 ; ’Krælzschmar, Prophet und Seher im alten Israël, Tubingue et Leipzig, 1901 ; *A. Sabatier, Esquisse d’une philosophie de la religion, 7e édit., Paris, 1903, p. 154-162 ;

  • B. Stade, Biblische Théologie des Alten Testaments,

Tubingue, 1905, t. i, p. 124-126, 131-132, 204-212 ; M. Réville, Le prophétisme hébreu. Esquisse de son histoire et de ses destinées, Paris, 1906.

III. Critique. — Les preuves, précédemment données aux articles Prophète, col. 711, et Prophétie, col. 730, de l’inspiration divine des prophètes d’Israël rendent inadmissiblee prophétisme, qui n’est qu’un essat d’explication naturelle d’un phénomène surnaturel et divin. Par conséquent, nous pourrions nous borner à conclure que l’institution prophétique en Israël et que son développement séculaire ne se justifient pas par les seuls agents de l’histoire, et qu’ils dépendent d’une vertu surnaturelle, que les prophètes eux-mêmes ont nommé l’Esprit de Dieu. Cependant, comme cet Esprit divin a pu se servir des causes secondes agir et se manifester diversement suivant les temps et les milieux, il se pourrait qu’il y ait quelque vérité dans ses manifestations extérieures, telles que les critiques les décrivent, en ne tenant pas suffisamment compte de la puissance surnaturelle qui agit. Il y a donc lieu de se demander si les conclusions des critiques sur le développement de la prophétie en Israël ne sont pas certaines et conciliables avec l’action divine sur les prophètes.

1° La distinction entre les voyants et les prophètes au temps de Samuel, si elle était démontrée, pourrait se concilier avec l’enseignement catholique, et elle prouverait seulement la diversité des dons divins et des manifestations prophétiques. Mais elle est loin