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PROPHETISME


exaltés, groupés autour de Samuel, leur chef, la plupart distinguent, à l’origine, deux catégories de prophètes, de nature et d’esprit fort différents, celle des voyants et celle des nebi’im enthousiastes et extatiques.

1° Les voyants. — Dans les parties anciennes de la légende de Samuel, celui-ci est appelé rô’éh, « voyant ». Il tient du devin et du prêtre. C’était un simple sorcier, que, dit-on, l’on consultait sur des ânesses perdues et qu’on n’abordait qu’un cadeau à la main, I Sam., ix, 6-9, comme Balaam. Num., xxii, 17, 18 ; xxiv, 11-13. Il fondait son autorité sur des signes, I Sam., x, l-8, et il jetait les sorts pour savoir qui serait roi, 20-22. Il s’occupait donc déjà de politique. Parfois cependant, sa fonction se rehaussait, et il annonçait l’avenir. Tous les critiques ne sont pas d’accord sur la nature des voyants, selon qu’ils tiennent les détails de la vie de Samuel pour historiques ou légendaires. Krætzschmar, Prophet und Seher im alten Israël, Tubingue et Leipzig, 1901, p. 6-12, tient le voyant pour une personne que l’on consulte au sujet des affaires ordinaires de la vie privée, et qui ne s’en occupe que selon sa science et « a sagesse naturelles. Il ne se considère pas comme un représentant de la divinité. Il ne recourt qu’à des moyens naturels pour découvrir les forces secrètes de la nature. Il voit ce que les autres ne voient pas, mais sans agitation ni extase, et il dit clairement ce qu’il voit d’après certains indices ou même une illumination intérieure. Il n’a aucun rapport avec le jahvéisme, et il est peut-être antérieur au jahvéisme. D’autres peuples avaient des voyants de même nature ; ainsi Balaam en Mésopotamie. La profession de voyant n’a aucune relation ni avec la nationalité ni avec la religion, et les premiers voyants d’Israël n’ont exercé aucune influence sur la religion de leurpeuple. Pour Smend, au contraire, le voyant et le prêtre étaient primitivement apparentés ; tous deux rendaient des oracles divins. Chez les Sémites, ils avaient élé d’abord identiques. Le mot hébreu kôhen, « prêtre », signifie « voyant », kâhin, dans l’ancien arabe. Avant d’être voyant, Samuel avait été prêtre à Silo avec Héli La principale différence a consisté en ce que le charisme du voyant a un caractère plus personnel que celui du prêtre, qui est social. Il se rapproche ainsi du ndbï. Lehrbuch der altlestdmentlichen lieligionsgeschichte, 2e édit., Fribourgen-Brisgau, 1899, p. 92-93. Cette dernière théorie est démentie par les faits, et au lieu que le prêtre soit originairement un devin, le devin n’est chez les Sémites qu’un prêtre dégradé. Cf. J. Lagrange, Éludes sur les religions sémitiques, 2 B édit., Paris, 1905, p. 218. Si les anciens rationalistes regardaient les voyanls d’Israël comme les successeurs de Moïse et les continuateurs de son œuvre religieuse et morale, la plupart des rationalistes récents pensent que Samuel a inauguré la série et que le peuple d’Israël n’avait pas eu dévoyants, ni au désert, ni au commencement de son installation au pays de Chanaan. M. Loisy cependant estime que les voyants d’Israël, Débora et Samuel, ont fait suite à Moïse et ont rendu, comme lui, des oracles au nom de Jéhovah, tout en s’occupant d’ordinaire d’intérêts privés. La religion d’Israël, Paris, 1901, p. 60. Organes de Jéhovah, les voyants ne sont pas les prédicateurs de leur Dieu, parce qu’ils n’avaient pas besoin de le prêcher.

2° Les nebî’îm. — À la même époque apparaissent des prophètes enthousiastes et possédés de la divinité. Ils sont mentionnés pour la première fois dans la légende de Samuel, et les personnages antérieurs, Abraham, Moïse, Marie, Débora, sont nommés prophètes ou prophétesses par projection des notions du temps de l’écrivain dans le passé qu’il raconte. Les premiers nebi’îm, contemporains de Samuel, n’étaient ni des devins, ni des prêtres. Ils ne rendaient pas d’oracles et, à plus forte raison, n’instruisaient pas le peuple. C’étaient des exaltés, des corybanles extatiques, réunis

DICf. DE LA BIBLE.

en groupes et formant des associations. Ils prophétisaient par leurs cris et leurs attitudes, au son des instruments de musique. Saiil qui les rencontra en revenant de chez Samuel, fut saisi par l’esprit du Seigneur et prophétisa avec eux ; il devint un autre homme, de telle sorte que ceux qui" l’apprirent disaient : « Saûl est-il donc du nombre des prophètes ? » I Sam., x, 5, 6, 10-12. C’étaient des hommes obscurs, dont personne ne connaissait l’origine, ou des gens mal famés, sans naissance, ni bonne renommée. Saiil, seul et isolé, eut dès lors des accès particuliers, qu’on attribuait à l’esprit mauvais de Dieu. Il prophétisait, c’est-à-dire faisait l’insensé dans sa maison, et on était obligé de recourir à un harpiste pour le calmer. I Sam, , xvi, 14-16, 23 ; xviii, 10 ; xix, 9. Les soldats envoyés par lui pour prendre David, qui s’était réfugié à fiamatha, rencontrèrent une troupe de ces nebi’im qui prophétisaient et, saisis par la contagion, se mirent à prophétiser eux aussi. D’autres émissaires, envoyés après eux, furent encore gagnés par l’exemple et le même fait se produisit une troisième fois. Saùl enfin se mit en route et, chemin faisant, il fut saisi par l’esprit prophétique, et se dépouillant de ses vêtements, il tomba par terre et prophétisa tout nu ce jour-là et la nuit suivante, de sorte qu’il passa dès lors en proverbe de dire : « Saûl est-il donc du nombre des prophètes ? » I Sam., xix, 20-24. Ces nebi’im, auxquels Saiil se mêla à deux reprises, étaient donc de véritables corybantes, qui se procuraient une ivresse orgiastique, et dans leur enthousiasme extatique se livraient à des actes de folie sacrée. Selon M. Loisy, op. cit., p. 60, ces inspirés « n’étaient censés les organes de Jahvéh qu’à raison des phénomènes extraordinaires qui se manifestaient en eux ». Toutefois, selon Smend, op. cit., p. 79, ils rendaient des oracles durant leur extase.

Les critiques rapportent généralement leur origine à l’époque de leur première mention dans l’histoire d’Israël. Le nabisme paraît alors nouveau, extraordinaire, mal défini encore. Budde, Die Religion des Volkes Israël bis zur Verbannung, Giessen, 1900, p. 90. Il est donc, selon ce critique, d’origine palestinienne. Cornill, Der isrælitische Prophelismus, be édit., Strasbourg, 1903, p. 12, qui fait dériver le mot nâbV d’une racine arabe, en conclut que l’Arabie a été la patrie du prophétisme. Cf. Cheyne, Encyclopsedia biblica, Londres, 1902, t. iii, col. 3857. Mais la plupart des critiques lui reconnaissent une origine chananéenne. « Baal avait de ces confréries et cette forme inférieure du prophétisme aura passé des Chananéens aux Israélites. » À Loisy, op. cit., p. 60. Krætzschmar, op. cit., p. 10, a cherché à expliquer leur apparition en la rattachant à l’oppression des Israélites par les Philistins à la fin de l’époque des Juges. Des fanatiques de Jahvéïî se levèrent alors pour soutenir la supériorité de leur dieu national sur l’idole Dagon des Philistins et pour maintenir en Israël le culte de Jahvéh. Leur enthousiasme religieux produisit les accès de folie religieuse, qu’on remarque chez eux, qui frappèrent l’attention des foules et les rattachèrent plus fermement ou même les ramenèrent au culte de leur dieu. Ils continuèrent leurs manifestations religieuses sous le règne de Saùl, qu’ils avaient entraîné dans leur parti. Leur exaltation religieuse se compliquait d’une exaltation psychique, maladive, qui les poussait à l’action et qui développa une piété plus ardente envers le dieu national. Budde, op. cit., p. 90-94. Toutefois, pense ce critique, loc. cit., p. 90, il reste toujours possible que le nabisme ait existé déjà auparavant en Israël, au moins dans une partie du peuple, et que, après un long assoupissement, il ait pris sous l’oppression philisline une signification et une ampleur, jusque-là. inconnues.

II. PÉRIODE DE TRANSITION JUSQU’A ÉLIE EV ELISÉE

sous AcHAB. ~~ Durant cette période, les voyants et les prophètes se sont rapprochés au point de se confondre

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