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PROPHÉTIE


tionnelle sur les prophéties ; il a prétendu que cette conception était contraire à l’histoire et à la critique loyale des textes scripturaires. Il rejette d’abord le témoignage des prophètes sur leur, propre inspiration divine. Si ce témoignage était valable, celui des faux prophètes serait recevable au même titre, puisqu’ils avaient, eux aussi, conscience de leur inspiration surnaturelle et qu’ils l’affirmaient expressément. Tous tirent leur inspiration d’eux-mêmes ; c’est leur conviction qui les inspire. La distinction entre les vrais et les faux prophètes a été inventée après coup. En fait, il y avait seulement des prophètes opposés les uns aux autres, et tous étaient considérés comme inspirés par Jéhovah. Ils étaient en conflit et dans le peuple chacun prenait parti pour ceux dont les idées lui agréaient. Cependant il finit par s’établir une ligne de démarcation plus nette entre les prophètes. Il y eut ceux dont la pensée religieuse avait fait plus_ de progrès et qui avaient sur Dieu des idées plus précises, et les autres plus retardataires et moins avancés au point de vue religieux. Les premiers ont écrit l’histoire sainte et traité de faux prophètes leurs adversaires. Toutefois l’élévation morale des uns, leur opposition avec les idées des grands et de la foule, la persistance de leur croyance à leur inspiration malgré les persécutions qu’elle leur attirait, tout cela, que Kuenen reconnaît, prouve la sincérité de leur prédication. Les faux prophètes flattaient les passions des rois et de la nation ; ils avaient des idées moins élevées ; leur moralité est discutée par leurs adversaires ; tout cela constitue un préjugé contre la sincérité de leurs affirmations et la vérité de leur inspiration. D’ailleurs, pour assurer la permanence de la mission des vrais prophètes, leur crédit auprès de la portion saine de la nation et leur triomphe définitif, il a bien fallu qu’ils aient fourni des signes de leur mission divine. On les exigeait d’eux, et ils les donnaient. C’étaient ces prédictions claires et à court terme, relatées dans les livres historiques, l’annonce d’une défaite ou d’une victoire immédiate, du succès ou de l’échec d’une invasion. Voir col. 716. Supposer avec Kuenen que ces prédictions ne se soient jamais réalisées ou n’aient été que des prévisions purement naturelles, c’est se mettre dans l’impossibilité d’expliquer la permanence et le triomphe de prophètes, haïs du peuple, qui auraient été traités d’imposteurs, s’ils s’étaient trompés, aussi bien que la nonréalisation des soi-disant oracles des faux prophètes, qui favorisaient les idées du peuple et élaient en opposition directe avec les prédictions précises des vrais prophètes. Il a bien fallu que ces prédictions fussent vérifiées pour que les prophètes pussent continuer leur mission avec quelque chance d’être écoutés. Le non-accomplissement des oracles des faux prophètes devait diminuer leur crédit auprès de la foule qu’ils trompaient. L’œuvre des prophètes eut-elle simplement consisté, comme on le prétend, dans la destruction de l’idolâtrie et l’établissement du monothéisme en Israël, elle n’a pu aboutir que s’ils ont eu auprès d’un peuple grossier et idolâtre une réelle autorité et une autorité divine.

Kuenen a prétendu, en second lieu, que si les prophètes d’Israël étaient véritablement inspirés par Dieu, il est nécessaire que toutes leurs prédictions se soient accomplies. Si elles ne se sont pas accomplies, c’est que les prophètes ne parlaient qu’en leur nom et pas au nom du Dieu de vérité. Cet argument, qu’il avait indiqué dans son Histoire critique des livres de l’Ancien, Testament, trad. franc., Paris, 1879, p. 15, 1926, a été longuement développé. The Prophets and Prophecy in Israël, trad. anglaise, Londres, 1877, c. vvii, p. 98-275. Le critique hollandais parcourt la série des prédictions contenues dans les livres canoniques et relatives soit aux peuples voisins d’Israël soit aux

destinées du peuple élu (les prophéties messianiques) et il prétend démontrer que le plus grand nombre de ces prophéties n’a jamais été accompli. Au c. viii, p. 276, il examine un petit nombre de prophéties qui se sont réalisées ; mais il soutient ou bien qu’elles ont été vérifiées par l’événement d’une manière vague et inexacte, ou bien qu’elles ne sont pas authentiques et ont pu être écrites après l’événement, ou enfin qu’elles ne dépassent pas les limites de la prévision naturelle. Cet argument avait été énoncé par Munk, La Palestine, Paris, 1881, p. 420-421 ; A. Réville, dans la Revue des deux mondes, juin 1867, p. 836-840. Il a été repris par Paul Schwàrtzkopff, Die prophetische Offenbanmg nach Wesen, Inhalt und Grenzen, Giessen, 1896, p. 100-166. Ce n’est pas le lieu de reprendre une à une les objections de Kuenen. Voir, pour la réfutation de quelques-unes, F. Vigouroux, Manuel biblique, 12e édit., Paris, 1906, t. ii, p. 570-572. L’abbé de Broglie a observé que la plupart avaient été présentées auparavant et discutées. La force de l’argumentation ne pourrait venir que de l’accumulation des objections. Mais cette argumentation part de principes faux, comme si le sens d’un texte prophétique devait être exclusivement déterminé d’après les idées du prophète lui-même et de ses contemporains, comme si la réalisation avait dû s’accomplir d’une façon absolument conforme à la prévision du prophète ainsi fixée, comme si enfin chaque fragment d’une prophétie devait être la prédiction d’un seul et même événement. En réalité, la prophétie a pu ne pas être parfaitement comprise des contemporains et du prophète lui-même, si elle avait un sens énigmatique que l’événement seul pouvait faire découvrir pleinement. N’étant pas claire et complète, elle ne cadre pas nécessairement avec l’événement d’une façon absolue, et l’accord ne peut pas être plus clair ni plus complet que la prévision elle-même. Enfin, toutes les parties d’un oracle prophétique ne s’appliquent pas à un même événement. La vue de l’avenir en perspective a souvent réuni sur le même plan des événements analogues, dont la réalisation devait avoir lieu à des époques différentes. Voir P. de Broglie, Les prophéties et les prophètes d’après les travaux du. D r Kuenen, da^s. Compte rendu du III’Congrès scientifique international des catholiques, Bruxelles, 1895, 11e section, Sciences religieuses, p. 139151 ; Id., Questions bibliques, édit. Piat, Paris, p. 346380 ; J. Brucker, Les prédictions des prophètes, dans les Études, août 1893, p. 586-615 ; F. Vigouroux, Manuel biblique, t. ii, p. 578-580.

IV. Cycle des prédictions prophétiques. — Rien de plus varié que l’objet des prophéties bibliques. Cependant, malgré leur grande variété, les oracles des prophètes écrivains ont des thèmes communs plus où moins développés et diversement appliqués selon les temps et les milieux, et se déroulent dans le même cercle d’idées, qu’il est bon d’indiquer.

1° Les péchés d’Israël et de Juda. — Pour ramener leurs contemporains dans la voie droite, dont la plupart étaient sortis, les prophètes leur reprochent leurs fautes et font des tableaux éloquents de la perversité morale, qui attire sur eux la colère divine et de terribles châtiments. Amos décrit avec véhémence les iniquités d’Israël, i, 6-8 ; iii, 2, 9, 10 ; iv, 1-5 ; vi, 1-7. Les actions symboliques d’Osée et ses mariages figurent l’infidélité et l’idolâtrie du royaume schismatique, i, 2-ni, 5. Ses discours directs exposent en détail les crimes du peuple et de ses chefs, iv, 1-v, 7 ; vii, 1-7. Isaïe, dès le début de ses oracles, résume les fautes de Juda, dont il prédit les châtiments, 1, 2-31. Il y revient sans cesse, et signale celles que chacune des classes de la nation a commises, ii, 5-9 ; iii, 12, 16 f 17 ; v, 8-23 ; x, 1, 2, etc. C’était sa mission et il devait la remplir avec force et constance, lviii, 1. Michée décrit les crimes de Samarie et de Juda, i, 5 ; ii, 1, 2 ; iii, 2 ; 3, 5, 9-11 ; vii, 1-4. Juda