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PROCÈS — PROCHAIN


Seigneur lui-même, en procès contre sa vigne, c’est-à-dire contre son peuple, défère le jugement aux habitants de Jérusalem et aux hommes de Juda, c’est-à-dire aux coupables eux-mêmes, dont l’infidélité est si évidente qu’ils seront bien obligés de se condamner. Is., v, 3. H. Lesêtee.

    1. PROCHAIN##

PROCHAIN (hébreu : ’ah, « frère », rê’a, « compagnon ; » Septante : à n^ui’ov (sous-entendu : wv), « celui qui est auprès ; » Vulgate : proximus), tout homme vis-à-vis d’un autre homme.

I. Devoirs envers le prochain dans l’Ancien Testament. — 1° La loi ancienne prescrit différents devoirs à l’égard du prochain. Il faut respecter sa vie, Exod., xx, 13, sous peine de mort, Gen., ix, 5 ; Exod., xxi, 14 ; respecter ses biens, Exod., xx, 15, sous peine d’avoir à restituer le double, Exod., xxii, 9 ; ne convoiter ni sa femme, ni ses biens, Exod., xx, 17 ; ne pas le frapper, à peine d’avoir à réparer le tort causé, Exod., xxi, 18 ; le traiter humainement quand on prend un gage sur lui, Exod., xxjj, 26 ; ne pas l’opprimer, Lev., xix, 13 ; le juger selon la justice, Lev., xix, 15 ; ne pas l’accuser méchamment, Lev., xix, 16 ; le reprendre, Lev., xix, 17 ; l’aider dans sa pauvreté, Lev., xxv, 35, 36 ; respecter les limites de son champ. Deut., xix, 14, etc. Tous ces devoirs se résument en ces deux prescriptions : « Tu ne haïras point ton frère dans ton cœur, tu aimeras ton prochain comme toi-même. » Lev., xix, 17, 18. Des recommandations spéciales visent certaines catégories de prochain, les esclaves, voir t. ii, col. 1925, les étrangers, voir t. ii, col. 2040, les mercenaires, voir t. iv, col. 990, les pauvres, voir t. iv, col. 2234, les pères, voir col. 128, et mères, voir t. iv, col. 995, etc.

2° Les auteurs sacrés rappellent les différentes prescriptions imposées par Dieu à l’égard du prochain. Eccli., xvii, 12. On doit s’abstenir de faire du mal au prochain ni croire celui que l’on dit de lui. Ps. xv (xiv), 3, 4. Celui qui méprise son prochain se rend coupable. Prov., xiv, 21. Il ne faut pas lui garder rancune de ses injustices, Eccli., x, 6, ni refuser de lui pardonner, si l’on veut être pardonné soi-même, Eccli., xxviti, 2, ni forger des mensonges contre lui, Eccli., vii, 13., On lui prêtera s’il est dans le besoin. Eccli., xxix, 2. On ne lui ravira pas sa subsistance, ce qui serait lui donner la mort. Eccli., xxxiv, 26. On lui dira la vérité. Zach., viii, 16. On n’imitera pas les faux témoins, qui sèment la discorde entre les frères. Prov., vi, 19. On évitera même de trop fréquentes visites dans la maison du prochain, Prov., xxv, 17, et les salutations intempestives. Prov., xxvii, 14. Si on juge des désirs du prochain d’après les siens propres, Eccli., xxxi, 18, on « aura comment régler sa conduite envers lui, et alors il sera bon et doux pour des frères d’habiter ensemble. Ps. cxxxm (cxxxii), 1.

II. La notion de prochain chez les Juifs. — 1° Il faut observer que dans ces textes de l’Ancien Testament, les devoirs prescrits envers celui que nous appelons le prochain concernent celui qui, pour les Hébreux, pouvait porter le nom de’ah, « frère, » ou rê’a, « compagnon. » Or ces noms ne se donnaient en général qu’aux compatriotes. La loi interdisait toute amitié avec les Amalécites, Exod., xvii, 16 ; Deut., xxv, 19 ; les Ammonites et les Moabites, Deut., xxiii, 3-6 ; les Madianites, Num-, xxv, 17, 18, et sept peuples du pays de Chanaan. Deut., vii, 1, 2. Le Seigneur avait promis à Israël, s’il était fidèle, d’être l’ennemi de ses ennemis et l’adversaire de ses adversaires. Exod., xxiii, 22. Seuls, les Iduméens et les Égyptiens étaient mis à part et ne devaient pas être des objets d’abomination. Deut., xxiii, 7. Ces mesures étaient prises pour interdire toute union et même tout contact entre les Hébreux et des populations immorales’et idolâtres. Mais en Israël, comme généralement chez les autres

peuples de l’antiquité, on en vint aisément à confondre ensemble l’étranger et l’ennemi. Chez les Grecs, àXAîÎTpio ; , « autrui, l’étranger, » était devenu le nom de l’ennemi. Cf. Iliad., v, 214 ; Odys, xvi, 102, etc. Chez les Romains, la loi des xii Tables donnait encore à l’étranger le nom d’hoslis, qui par la suite fut celui de l’ennemi. Cf. Cicéron, De offic, i, 12, 37. De même, chez les Hébreux, on s’habitua à regarder comme ennemis, par conséquent comme exclus des préceptes de l’amour et de la bienveillance, tous ceux qui n’appartenaient pas à la nation choisie. On est obligé de convenir que les hostilités dont les Israélites furent fréquemment l’objet de la part des peuples voisins, n’étaient pas faites pour les incliner à une grande amitié pour les étrangers.

2° Avec le temps, les sentiments d’antipathie s’accentuèrent et devinrent une véritable haine pour tout ce qui n’était pas Juif. Déjà à Suse, d’après Josèphe, Ant.jud., XI, vi, 5, Aman accusait le peuple juif d’être, par ses mœurs et ses lois, « ennemi du peuple perse et de tous les hommes. » Plus tard, Apollonius Molon représentait les Juifs comme « athées et misanthropes », Josèphe, Cont. Apion., ii, 14 ; il leur reprochait de ne pas recevoir ceux qui avaient d’autres idées qu’eux sur la divinité et de refuser tout commerce avec ceux qui ne partageaient pas leur genre de vie. Il est vrai que Josèphe, Cont. Apion., ii, 36, 37, lui renvoie le reproche en lui faisant observer que les autres peuples, spécialement les Grecs, Lacédémoniens, Athéniens et autres, en faisaient tout autant. Lysimaque prétendait que Moïse avait ordonné à son peuple de n’avoir de bienveillance pour aucun autre homme et de toujours conseiller aux autres non le meilleur, mais le pire, Josèphe, Cont. Apion., i, 34, et l’un des conseillers d’Antiochus Sidétès dissuadait ce prince de ne rien accorder aux Juifs à cause de leur àjjLtÇtæ, leur habitude de ne pas se mêler aux autres peuples. Josèphe, Ant. jud., XIII, viii, 3. Tacite, Hist., v, 5, leur attribue adversus omnes alios hostile odium, « une inimitié haineuse à l’égard de tous les autres, » et Juvénal, Sat., xiv, 103, 104, les accuse de ne vouloir montrer le chemin et indiquer les fontaines qu’à leurs coreligionnaires. Cf. Justin, xxxvi, 2, 15. Ces accusations étaient justifiées en grande partie. Un docteur de la loi en est encore à demander à Notre-Seigneur : « Qui donc est mon prochain ? » Luc, x, 29. Du reste, les écrivains du Talmud déclarent formellement qu’on ne doit exercer envers les gentils ni bienveillance ni miséricorde, que le païen n’est pas le prochain, que les gentils sont comparables aux chiens, etc. Cf. Lightfoot, Horæ hebraic » et talm., in Matth, v, 43, et in Luc, IX, 60. Saint Paul résume tout, d’un mot qui confirme ce qu’on dit les autres auteurs, quand il dénonce l’hostilité des Juifs, ©sa fir) àpeffx(5vT(i)v, xai Tiâaiv àv9p(jù7to[c EvavTfœv, « déplaisant à Dieu et ennemis de tous les hommes. » I Thés., ii, 15.

3° Dans le discours sur la montagne, Notre-Seigneur dit à ses disciples : « Vous avez appris qu’il a été dit : Tu aimeras ton prochain et tu haïras ton ennemi. » Matlh., v, 44. Le Sauveur n’entend pas ici faire allusion à l’interprétation des Juifs, mais, comme dans les autres passages du discours, Matth., v, 21, 27, 31, 33, 38, il se réfère aux termes de la loi ancienne. Or nulle part celle-ci ne commande la haine des ennemis. Aussi le mot « haïr » doit-il s’entendre ici dans un sens relatif. Il signifie seulement « aimer moins » ou « ne pas aimer », comme dans les textes où il est opposé à « aimer ». Gen., xxix, 31 ; Deut., xxi, 15, 16 ; Mal., i, 2 ; Matth., vi, 24 ; Luc, xiv, 26 ; xvr ; 13 ; Joa., xii, 25 ; Rom., ix, 13. La pensée du divin Maître doit donc être que la loi ancienne ne prescrivait pas d’aimer les ennemis comme on aime les amis, le prochain ; lui-même va corriger cette loi ainsi entendue. Sans doute,