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PRÉTOIRE


3. Le Mehhéméh. — Le Mehkéméh, qui servait autrefois de tribunal, est une grande salle que l’on rencontre près d’une des portes occidentales du Haram esch-Schérif, appelée Bâb esSilsilék ou « Porte de la Chaîne ». Voir le plan de Jérusalem moderne, t. iii, col. 1344. Etabli sur de vieilles substructions, cet édifice n’est pas antérieur au xve siècle. C’est là qu’une troisième opinion cherche le Prétoire. Au temps de Notre-Seigneur, l’emplacement était occupé par la Curie ou salle du Conseil, PouXti, que Josèphe, Bell, jud., V, iv, 2, nous montre contiguë au mur de la première enceinte, qui, descendant du palais d’Hérode, venait en cet endroit rejoindre l’esplanade du Temple. Voir le plan de Jérusalem ancienne, t. iii, col. 1355. Au sud, se trouvait le Xyste, large place entourée de portiques, qui était reliée au Temple par un pont à arcades superposées. Un palais le surplombait à l’ouest, celui des Asmonéens, alors la propriété.des Hérode. « Les données de l’Evangile, disent les Professeurs de Noire-Dame de France, La Palestine, Paris, 1904, p. 103, s’adaptent parfaitement à ce cadre : La place du Xyste était le lieu des rassemblements publics, une sorte d’agora ou de forum comme on le constate particulièrement lors de la révolte juive en 66. Rien de plus vraisemblable que de voir Pilate y dresser son tribunal devant la foule assemblée. Il faisait ainsi à Césarée. Le palais où eut lieu l’instruction secrète du procès serait assez naturellement la Curie. Les accusateurs de Notre-Seigneur n’y enlrent pas pour ne pas se souiller la veille de la Pâque, et Pilate vient dehors entendre leurs dépositions. Les sanhédrites répondent du milieu de la foule qui se tenait sur la place. Celte place était sans doute dallée et peut-être surélevée à l’endroit où s’élevait l’estrade du tribunal ; c’est le sens des deux mots Lithostrotos et Gabatha de saint Jean, xix, 13. La résidence d’Hérode Antipas, ancien palais des Asmonéens, était toute voisine, et explique parfaitement le rapide envoi de Jésus du Prétoire à Hérode en cette lugubre matinée. Quant au chemin suivi pour aller au Calvaire, on dut, en partant du Xysle, franchir tout d’abord la première enceinte à la porte dite de l’Angle, voisine de la Curie ; puis entrer dans le faubourg neuf enclavé entre les deux murs, et enfin, du fond de la vallée, ’gravir la pente de la colline occidentale jusqu’à la porte qui s’ouvrait près du Golgotha, dans le quartier où s’élève l’hospice des Nobles russes. La Voie douloureuse, ainsi reconstituée, monterait donc de la vallée parallèlement au tronçon du chemin de croix actuel qui va de la Ve à la IXe station. Elle se tiendrait conslamment plus au sud. Mais ce parcours du Prétoire au Calvaire ne fut pas vénéré parla dévotion du chemin de la Croix tant que dura la tradition primitive ; du moins, rien nel’indique. » C’est donc sur l’emplacement du Mehkéméh qu’aurait été l’antique basilique de Sainte-Sophie. Aujourd’hui, il est vrai, rien n’atteste matériellement dans l’endroit présumé l’existence antérieure de cet édifice. On y a cependant découvert, il y a quelques années, dans le mur d’une maison, une pierre sur laquelle on a pu lire, gravé au-dessous d’une croix grecque, le mot 2]oçia ; . Cette pierre, bien que déplacée, paraît avoir appartenu à l’église dédiée à la divine Sagesse. Cf. Germer-Durand, Epigraphie chrétienne de Jérusalem, dans la Revue biblique, 1892, p. 584. Cette hypothèse, ajoute-t-on, est confirmée par la tradition, qui est avant tout celle des premiers siècles. Elle place, en effet, le palais de Pilate « en bas, dans la vallée » du Tyropœon, près c des ruines du Temple » ; au point où « la vallée commence à s’abaisser vers Siloé » ; dans le « voisinage de l’église Sainte-Marie-la Neuve » (la Présentation) et des « hotelleries^bâties au centre de la ville" » ; enfin à « égale distance de Sainte-Anne et de la piscine de Siloé, » distance qui est « double pour aller du prétoire à Saint-Élienne. » Telle est l’opinion adoptée

par les Professeurs de Notre-Dame de France dans leur guide de La Palestine, p. 99-103, et par le P. Zanecchia, La Palestine d’aujourd’hui, trad. Dorangeon, Paris, 1899, t. i, p, 349-359. Il est certain que la tradition primitive, dans son ensemble, peut s’appliquer au point en question ; il serait cependant permis d’hésiter sur le texle du Pèlerin de Bordeaux, pris à la rigueur. D’autre part, on avouera que la pierre portant le mot So^iaç est, à elle seule, un faible indice archéologique, puisqu’on ne sait d’où elle provient ; il en serait tout autrement si elle avait été trouvée in situ dans quelque vieux pan de muraille. Au point de vue historique, on se demande pourquoi Pilate choisit la Curie pour prétoire. A cause du Xyste, lieu des rassemblements publics, répond-on. Mais ce n’est pas Pilate qui suivit la foule, c’est la foule qui vint le trouver à sa demeure officielle, et il y avait devant les palais qu’il pouvait occuper des places suffisantes pour contenir la populace juive et ses meneurs acharnés contre Jésus. La proximité du palais des Asmonéens n’est pas non plus une raison bien déterminante. Les données évangéliques peuvent donc, croyons-nous, s’adapter aussi parfaitement à un autre cadre. M. Léonide Guyo, Le Prétoire, dans la Revue auguslinienne, 15 décembre 1903, p. 501513, combat bien cette théorie du Mehhéméh ; mais il a tort, croyons-nous, de placer le Prétoire au palais des Asmonéens, ce qu’il est difficile d’accorder avec la tradition primitive.

5° Conclusion. — Tels sont les éléments essentiels du problème. Complexe et difficile., il n’a pas encore, on le voit, reçu de solution définitive. L’histoire seule laisse le choix entre le palais d’Hérode et l’Antonia. L’archéologie n’a que des indices insuffisants. La tradition reste donc notre guide principal, mais un guide dont les fils conducteurs ont besoin d’être démêlés et ramenés à certaine unité de direction. Or, nous avons à distinguer ici entre la tradition primitive et la tradition récente. Cette dernière dirige incontestablement nos pas du côté de l’Antonia. Mais quelle est son origine ? En remontant son cours, on finit par perdre ses traces. On aura beau accumuler les textes et les autorités, on ne pourra lui donner la force qui s’atlache à un témoignage primordial, authentique, que l’on suit sans interruption à travers les siècles. La tradition primilive, moins riche, est, on le conçoit, bien autrement importante ; c’est la seule qui ait une valeur historique. "Mais là encore, les textes ont leur latitude ; il est soutient facile de les étendre à tel ou tel point, dans une direction déterminée, et c’est ainsi, nous l’avons vii, que chacune des opinions exposées cherche à les revendiquer en sa faveur. Chaque texte n’est qu’une voix de la tradition ; écouter l’une plutôt que I’aulre serait s’exposer à faire fausseroute. La vraie méthode scientifique consiste à suivre, autant qu’on le peul, la résultante harmonique de ces voix, ou, si l’on aime mieux, l’orientation générale tracée par les fils conducteurs. Or, on peut remarquer chez les plus anciens témoins une double tendance : celle de placer le Prétoire dans un lieu bas, et celle de le mettre en relation avec la Piscine probatique. S’il n’est pas à l’Antonia, c’est donc au-dessous, le long de la vallée du Tyropœon qu’il faudrait le chercher. Il serait sans doute plus consolant pour notre piété de reconnaître avec certitude dans les sanctuaires actuels, depuis longtemps en vénération à Jérusalem, les lieux témoins des souffrances de Notre-Seigneur au début de la Voie douloureuse. Mais la vérité scientifique a des droits que la piété bien entendue ne peut méconnaître. Le débat dont il s’agit n’est ni une affaire de sentiment ni une question de rivalité entre sanctuaires. Mettre en doute l’authenticité de tel ou tel d’entre ceuxci n’est poinl faire œuvre de démolition sacrilège. C’est, au contraire, rendre service à la foi chrétienne que de chercher en toute sincérité, sans parti pris ni animo-