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PRETOIRE


Tyropœon ; le mont Sion domine beaucoup le Sérail actuel, qui, vu du haut, est sur un plan inférieur et parait, pour ainsi dire, dans une vallée. Au ive siècle, du reste, le fond du vallon s’étendait vers la forteresse Antonia un peu plus qu’aujourd’hui, comme l’indique la mosaïque trouvée dans l’église de Notre-Dame du Spasme, et qui est à une centaine de pas seulement de l’arc Ecce Homo, à six ou sept mètres au-dessous du pied de l’arc. L’expression « descendit », qu’on rencontre dans l’itinéraire de Pierre l’Ibère, est parfaitement justifiée, au dire de M. Clermont-Ganneau, Recueil d’archéologie orientale, Paris, 1900, t. iii, p. 229, la cote d’altitude du parvis de l’église du Saint-Sépulcre étant de 2479 pieds anglais (755 mètres) et celle de la Voie douloureuse, à l’angle nord-ouest de la caserne, étant de 2448 (745 mètres). Quant aux chiffres de Théodose, il faut absolument s’en passer, tant ils sont sujets à caution. Les deux points suivants seuls sont à considérer : 1° Le pèlerin nous conduit au Prétoire en se rendant à la piscine probatique et à l’église de Sainte-Marie ; 2° près du Prétoire, est creusée la fosse dans laquelle fut jeté le prophète Jérémie ; or la tradition a persisté à placer cette fosse au nord-est du Temple, dans le quartier qui renferme l’église de Sainte-Marie ou Sainte-Anne ; donc le Prétoire était non loin de ce dernier édifice. Enfin Antonin de Plaisance rencontre le Prétoire près du portique de ZSalomon, au-devant des ruines du Temple. « Or, comme Ponce Pilate n’a absolument pas pu établir sa résidence et celle de sa cohorte païenne, ni sur la plate-forme du Temple, ni au pied du mur de l’enceinte sacrée, saint Antonin ne put trouver la basilique de Sainte-Sophie qu’à l’autre extrémité du hiéron, au nord, à l’emplacement de la forteresse Antonia. ï Et en effet « les ruines du temple de Salomon ne furent jamais montrées au pied du mur d’enceinte, qui a une hauteur énorme sur trois de ses côtés, mais bien sur la plate-forme elle-même, et ce n’est qu’au nord que le rocher de Baris se dressait en avant des ruines du temple. Quant au portique de Salomon, nous avons déjà vu que saint Willibald en indique les ruines non loin de la piscine probatique ». Barnabe, op. cit., p. 153, 154. Inutile d’aller plus loin ; tout le monde concède que dans les sept derniers siècles la tradition de l’Antonia l’emporte.

Il est certain que l’opinion qui vient d’être exposée a quelque chose de séduisant ; elle semble reconstruire l’antique Prétoire d’une manière si naturelle, si conformé en apparence à l’histoire et à l’archéologie, que les scènes évangéliques y revivent d’elles-mêmes. Elle donne tant de satisfaction à la piété traditionnelle, qui depuis longtemps cherche à l’Antonia et dans les environs l’émotion des plus douloureux souvenirs, qu’on la voudrait absolument certaine. Et pourtant, il faut l’avouer, elle souflre bien des difficultés. Autant le Golgotha et le Saint-Sépulcre, malgré quelques attaques sans importance, sont des points absolument acquis dans la topographie de la Passion, autant le Prétoire reste encore soumis à des incertitudes^ Le P. Barnabe lui-même, p. 132, ne donne à sa conclusion qu’un sens négatif, lorsqu’il dit : « Par l’étude du terrain, nous croyons avoir bien clairement démontré que ni l’Écriture Sainte, ni l’histoire, ni l’archéologie ou les découvertes modernes ne s’opposent d’aucune façon à l’existence du prétoire de Pilate dans la forteresse Antonia : bien au contraire. » Est-il bien vrai même que la vieille citadelle a pu servir de Prétoire ? Plusieurs en doutent.

On nous dit d’abord qu’Hérode ne pouvait étendre l’Antonia du côté du sud, parce qu’il avait déjà prolongé le hiéron jusqu’au rocher de Baris. C’est une assertion que n’admettent pas de bons archéologues, etM. deVogué, en" particulier, ne l’a pas compris ainsi. Voir Temple. Mais le plus grave est de porter les agrandissements jusque dans la coupure artificielle qui séparait le Bézéthà

du Moriah. Il semble de prime abord qu’elle était destinée à servir de fossé, à rendre la citadelle plus inaccessible de ce côté. Josèphe lui-même rapporte, Bell. jud., V, v, 8, que l’Antonia était assise sur un rocher « escarpé de tous côtés, ropcxprinvou Si. nâarn, revêtu du haut en bas de pierres polies, pour l’embellissement de l’édifice, mais aussi pour faire glisser quiconque aurait voulu monter ou descendre ». Quelle eût’été l’utilité de cette muraille septentrionale, si on la suppose précédée d’autres constructions et munie d’un escalier qui eût relié les appartements supérieurs aux cours inférieures ? Cette coupure n’est-elle pas le fossé profond dont parle Josèphe, Bell, jud., V, iv, 2, « creusé à dessein » pour que les fondements de l’Antonia fussent moins accessibles et plus hauts’Même en admettant la reconstitution proposée par l’auteur, on se demande comment la concilier avec la direction de la seconde enceinte de Jérusalem. Nofus reconnaissons que cette seconde ligne de fortifications est hypothétique en plusieurs points, mais ses deux points d’attache sont certains, puisque Josèphe, Bell, jud., V, iv, 2, nous dit qu’elle partait de la porte Gennath et se prolongeait « jusqu’à l’Antonia ». Voir Jérusalem, t. iii, col. 1360. Il est donc tout naturel de croire que, venant de l’ouest, elle allait buter contre la paroi occidentale de la forteresse, c’est-à-dire contre son angle nord-ouest. Ce qui confirme cette supposition, c’est la direction même de la contrescarpe, qui, descendant du nord au sud, fait, en face de l’arc de VEcce Homo, un détour à angle droit et s’en va du côté de l’ouest, le long de la Voie douloureuse. Cette dernière ligne semble donc bien indiquer celle que suivait le fossé et, par conséquent, le mur de la seconde enceinte. Mais, s’il en est ainsi, la porte monumentale dont on décore l’Antonia se trouvait en dehors des murs et donnait sur le fossé, ce qui est inadmissible. Le P. Barnabe (fig. 5, p. 16) remédie à cet inconvénient en conduisant « la ligne supposée de la deuxième enceinte » par-dessus le mont Bézétha et la faisant aboutir à l’angle nord-est de l’enceinte du Temple. C’est se mettre en opposition absolue avec Josèphe, puis à quoi aurait servi cette muraille bâtie en plein sur le mont Bézétha ? Il eût donc fallu un second fossé pour la défendre. D’autre part, le même auteur (p. 41) avoue que des archéologues distingués, comme MM. de Vogué et de Saulcy, après avoir cru reconnaître dans l’arc Ecce Homo un monument hérodien, un débris du palais de Pilate, ont fini par émettre des doutes et lui assigner une date postérieure à la Passion de Notre-Seigneur. D’ailleurs, si ses débris avaient subsisté, ils eussent été des indices suffisants de l’emplacement de l’antique Prétoire. Comment se fait-il alors que la plus ancienne tradition n’en parle pas ? Il va sans dire que le pavement de pierres ou Lithostrotos doit subir les incertitudes qui se rattachent à l’arc. Il y aurait encore bien des objections de détail ; celles que nous venons de faire montrent assez les défauts de la reconstitution archéologique. Au point de vue historique, nous avons vu qu’il est très difficile, sinon impossible, d’avoir des données certaines, permettant d’affirmer qu’un des procurateurs ait résidé à l’Antonia.

La tradition elle-même fait bien entendre quelques protestations contre l’usage qu’on en fait. Sans exiger trop de précision des anciens pèlerins, et, en donnant à ces mots : deorsum in valle toute la latitude possible, il est difficile de les appliquer à l’Antonia, même vue de Sion, puisqu’elle se trouvait sur la partie la plus élevée du mont Moriah. Il en est de même de l’expression « descendit » de Pierre l’Ibère ; sans rechercher l’endroit précis où sont prises les cotes, il est peu naturel de dire, en partant du Saint-Sépulcre, qu’on « descend » à la caserne turque. Quant à Théodose, il est sans doute inutile dediscuter la valeur de ses pas ;