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PRÊT


venir au secours de la malheureuse famille. — Après la captivité, les gens du peuple se virent obligés, pour se nourrir et pour payer le tribut, d’emprunter de l’argent en engageant tous leurs biens et même de mettre leurs enfants en esclavage. II Esd., v, 2-5. Les créanciers étaient des Juifs. Néhémie les réprimanda sévèrement en leur disant : « Vous prêtez donc à intérêt à vos frères ! » Et, prêchant lui-même d’exemple, il décida les riches à faire abandon des biens qu’on leur avait engagés et de l’intérêt qu’ils avaient exigé. Cet intérêt se montait à un centième de l’argent, du vin et de l’huile. II Esd., v, 7-12. Bien que peu élevé, il ne laissait pas cependant d’être contraire à la loi et onéreux pour les pauvres gens. — Dans une des paraboles de Notre-Seigneur, un débiteur est condamné à être vendu, avec sa femme, ses enfants et tous ses biens, afin d’acquitter la dette. Matth., xviii, 25. Ici le divin Maître se réfère sans doute à la législation romaine, qui était très dure pour les débiteurs insolvables et permettait de les mettre à mort ou de les vendre hors de Rome. Cf. Aulu-Gelle, xx, 1, 47.

2° Les prophètes ont quelques allusions aux prêts qui se faisaient de leur temps. Isaïe, ), , 1, suppose des débiteurs vendus à des créanciers. Jérémie, xv, 10, dit en parlant des antipathies dont il est l’objet : « Je n’ai rien prêté, et tous me maudissent. » Celui qui prêtait pétait donc habituellement maudit, soit à cause de sa dureté, soit par suite de l’ingratitude de son débiteur. Le même prophète constate que de son temps, et même bien avant son époque, on n’obéissait plus à la loi qui ordonnait de libérer, à l’année sabbatique, les esclaves israélites qui avaient dû se vendre par pauvreté ou pour acquitter des dettes. Jer., xxxiv, 9-16.

— Amos, ii, 8, accuse les riches d’Israël de s’étendre près de chaque autel sur des vêtements reçus en gage, et de boire dans les maisons de leur Dieu le vin de ceux qu’ils ont condamné à l’amende. Ce passage fait allusion à la loi qui permettait au prêteur de prendre en gage le manteau du prochain, à condition de le lui rendre pour la nuit. Exod., xxii, 26. Les riches faisaient ainsi un étalage scandaleux et un usage déshonorant des manteaux qui constituaient la preuve de leurs prêts. Probablement, ils ne songeaient nullement à les rendre au temps prescrit. Le vin provenant des amendes avait peut-être aussi été prélevé sur des débiteurs. — Ézéchiel, xviii, 8, 13, dit que le juste rend au débiteur son gage, ne prête pas à usure et ne prend pas d’intérêt, tandis que le méchant fait tout le contraire. Mais il constate qu’à Jérusalem le prêt à intérêt s’était généralisé contrairement à la loi. Ezech., xxii, 12.

3° Les autres écrivains de l’Ancien Testament ont aussi quelques traits relatifs à la question du prêt. Dans Job, xxii, 6, on voit le méchant prendre sans motif des gages à ses frères et enlever les vêtements au misérable ; il pousse devant lui l’âne de l’orphelin et retient en gage le bœuf de la veuve, tandis que, par sa faute, le pauvre est sans couverture contre le froid et passe la nuit sans vêtement. Job, xxiv, 3, 7. — Au maudit, on souhaite que le créancier s’empare de ce qui est à lui. Ps. cix (cvm), 11. Quant au juste, on lui fait honneur, comme d’une chose qui est loin de se pratiquer généralement, d’être compatissant et de prêter sans intérêt. Ps. xv (xiv), 5 ; xxxvii (xxxvi), 26 ; exil (cxi), 5. — Pour l’auteur des Proverbes, xxii, 7, emprunter, c’est se faire l’esclave de celui qui prête. Par contre, avoir pitié du pauvre, c’est prêter à Jéhovah. Prov., xix, 17. — L’Ecclésiastique renferme des remarques intéressantes sur le prêt et ses’conséquences diverses :

Ne prête pas à plus puissant que toi, Et si tu lui as prêté, tiens-le pour perdu.

Eccli., viii, 15 (12).

Les puissants n’avaient donc guère l’habitude de rendre. L’insensé « prête aujourd’hui et redemandera demain ». Eccli., xx, 16 (14). On ne peut se fier à lui. C’est faire acte de miséricorde que de prêter au prochain qui est dans le besoin. Eccli., xxix, 1, 2. Malheureusement, l’emprunteur n’est pas toujours délicat.

Beaucoup regardentcomme une trouvaille ce qu’on leur a prêté,

Et causent de l’ennui à ceux qui les ont aidés…

Quand vient le moment de rendre, on prend des délais,

On exprime tout son chagrin, on accuse la dureté des temps.

Peut-on payer, le prêteur recevra la moitié à peine

Et encorccroira à une bonne aubaine.

Si on ne le peut, on le frustre de son argent,

Et celui-ci se tait malgré lui de son obligé un ennemi

Qui le paie en malédictions et en injures,

Et qui, au lieu d’honneur, ne lui rend qu’outrage.

Eccli., xxix, 4-6.

L’auteur observe que, pour ces raisons, beaucoup se refusent à prêter ; il les exhorte cependant à le faire par charité pour leurs frères. Eccli., xxix, 7-11. — De ces différents passages résulte cette conclusion que chez les Israélites, surtout aux époques d’affaissement religieux, l’amour du gain se manifestait chez ceux qui empruntaient et surtout chez ceux qui prêtaient. La loi était d’autant plus aisément violée qu’on prétendait par là se mettre d’accord avec la pratique des étrangers.

4° À l’époque évangélique, la situation n’est plus la même. On admet que l’argent prêté peut produire un intérêt. Notre-Seigneur, dans une parabole, fait allusion, sans un mot de blâme, aux opérations de banque qui rendaient l’argent productif. Matth., xxv, 27 ; Luc, xix, 23. Chez les Romains, l’intérêt légal était de 12 pour 100 par an, et il s’accumulait d’année en année. Cf. Cicéron, Attic, vi, 3, 5. À son disciple cependant, le Sauveur recommande de ne pas chercher à éviter celui qui veut lui emprunter. Matth., v, 42. Il ajoute même : « Si vous ne prêtez qu’à ceux dont vous espérez restitution, quel mérite avez-vous ? Car les pécheurs prêtent aux pécheurs afin de recevoir l’équivalent, t « ïo-a… Prêtez sans rien espérer, et votre récompense sera grande. » Luc, vi, 34, 35. Ces pécheurs sont sans doute des Juifs, car ils se contentent de recevoir l’équivalent du prêt, conformément à la loi mosaïque. Il y a dans le texte grec : u^Sèv à7t£), iit ; ovT£ « , ce que beaucoup d’anciens manuscrits latins traduisent : nihil desperantes, « sans désespérer de rien, » conformément au sens habituel du verbe grec, même dans les Septante. Is., xxix, 19 ; Judith, ix, 11 ; Eccli., xxii, 26 ; xxvii, 24 ; II Mach., ix, 18. Notre-Seigneur voudrait donc dire qu’il faut prêter sans désespérer de rien, car, à défaut du débiteur, Dieu sera là pour récompenser le bienfaiteur. Mais le verbs grec peut aussi avoir, comme d’autres verbes de composition semblable, le sens « d’espérer en retour ». Ce sens s’accorde mieux avec l’ensemble du passage, dans lequel Notre-Seigneur préconise la pratique d’une charité absolument désintéressée ; aussi est-il le plus généralement admis. Le mot àmizit ; ov : ec équivaudrait à àvTsXm’CovTsç, « espérant en retour. » Cf. Bulletin critique, 15 juin 1894, p. 238 ; Knabenbauer, Evang. sec. Luc, Paris, 1896, p. 239, 240. Cette sentence de Notre-Seigneur représente, de l’aveu de tous, non pas un précepte, mais un conseil à l’usage des parfaits. — Il y avait à Jérusalem un dépôt public dans lequel se conservaient les titres des créances. Au début du siège, les sicaires s’empressèrent d’y mettre le feu, afin de se concilier la faveur de la multitude ainsi libérée de ses dettes. Josèphe, Bell, jud., II, xvii, 6. — L’Évangile ne mentionne qu’un seul prêt effectif, celui de trois pains. Luc, xi, 5. <

5° La loi mosaïque autorisait les spéculations d’argent avec les étrangers, mais non avec les compatriotes. Cette disposition ne laissa pas que de devenir gênante quand les Israélites commencèrent à se lancer dans les