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POLYGAMIE — POLYGLOTTES

il est incontestable que ces avantages étaient secondaires, locaux et prêtant à de nombreux et graves abus, tels que la mésentente entre les femmes dans les familles d’Abraham, de Jacob et d’Elcana, la discorde entre les enfants dans la famille de David, la multiplication scandaleuse des épouses et des concubines autour de Salomon et de plusieurs rois. La loi évangélique rétablissait les choses à l’état primitif, qui était conforme au plan providentiel. L’expérience a d’ailleurs prouvé que la polygamie n’était favorable ni à l’union des époux, ni à la dignité de la femme, ni au bonheur des enfants, ni à la multiplication de la population. Cf. Bergier, Œuvres complètes, Paris, 1859, t. iv, p. 1529-1534. On a la démonstration de cette vérité chez les peuples qui ont conservé la polygamie, spécialement chez les Musulmans. Avant Mahomet, les Arabes avaient huit ou dix femmes. Mahomet crut devoir restreindre ce nombre : « N’en épousez que deux, trois ou quatre. Choisissez celles qui vous auront plu. Si vous ne pouvez les maintenir avec équité, n’en prenez qu’une, ou bornez-vous à vos esclaves. Cette conduite sage vous facilitera les moyens d’être justes et de doter vos femmes. » Koran, iv, 3. La restriction de la polygamie n’est ici qu’une question de ressources ; l’intérêt social et la cause de la morale n’ont rien à gagner à la règle ainsi formulée. On sait comment quelques protestants du XVIe siècle crurent pouvoir autoriser ou pratiquer la polygamie. En 1540, Luther, Mélanchton et Bucer accordèrent même au landgrave Philippe de Hesse la permission d’adjoindre une seconde épouse à celle qu’il avait déjà. Cf. Bossuet, Histoire des variations, vi, Œuvres, Bar-le-Duc, 1870, t. iii, p. 239-242. La loi évangélique n’en subsiste pas moins dans sa rigueur salutaire.

H. Lesêtre.

POLYGLOTTES. — I. Définition. — Sous le nom abrégé de « Polyglottes » ou sous la dénomination plus complète de « Bibles polyglottes. », on désigne, conformément à la signification étymologique : πολύς, « plusieurs », γλῶττα, « langue », des recueils contenant, en tout où en partie, le texte original de la Bible accompagné de deux versions, au moins, en langues différentes. Ces textes doivent être reproduits dans le même volume et sur des colonnes parallèles ou superposées. Faute d’avoir dans l’esprit cette notion suffisamment précise, des bibliographes mal avisés ont appelé Polyglottes des éditions de la Bible, contenant auprès de l’original une seule traduction soit en latin soit dans une langue vulgaire. Généralement toutefois on exige pour une Polyglotte trois textes bibliques au minimum : l’original et deux versions, sans compter les traductions littérales qui les accompagnent. Cette notion écarte donc de la catégorie des Polyglottes les manuscrits bilingues du Nouveau Testament, grecs et latins, Di, D2, Wc, Δ (Évangiles), E, Gb (Actes et Épîtres catholiques), grecs et coptes, Ta, Tf, Th, Ti, Tk, Tl, Tm, Tn,T°, Tp, Tq, Tv, Tw, grec et arabe, Θh les Psautiers bilingues, trilingues ou quadruples, manuscrits qui réproduisaient plusieurs versions latines des Psaumes et parfois le texte grec, aussi bien que le Quintuplex Psalterium, que Le Fèvre d’Étaples fit imprimer en 1509, les éditions du Nouveau Testament avec une version interlinéaire ou avec une traduction latine, récente ou ancienne, les éditions de plusieurs versions sans le texte original, telles que celle du Cantique et des Épîtres catholiques en éthiopien, en arabe et en latin, faite en 1654 et 1655 par Nissel et Peträus, et la Biblia pentapla de Wansbeck, 1711, comprenant quatre versions allemandes et une néerlandaise, enfin les éditions reproduisant le texte original, une ancienne version et la traduction de celle-ci en langue étrangère, telle que le Nouveau Testament.de Le Fèvre de la Boderie, publié à Paris en 1584 et contenant le grec, la Peschito et une traduction latine de cette version syriaque.

Ainsi limitée, la notion de Polyglotte exclut toute édition de la Bible en plusieurs langues faite dans un but pratique d’édification. La Polyglotte, en effet, est un ouvrage destiné à favoriser l’étude et les travaux scientifiques sur la Bible. Son but principal est de faciliter la comparaison du texte original des Livres Saints avec les anciennes versions, en présentant ces textes, non pas en des volumes différents, mais dans un seul, et sur la même page en des colonnes parallèles ou superposées. Les Polyglottes sont donc un instrument d’étude presque nécessaire aux mains de ceux qui veulent se livrer à la critique textuelle, à la reconstitution et à l’interprétation du texte et de la pensée des écrivains sacrés. Aussi, dans l’encyclique Providentissimus Deus, Léon XIII a-t-il déclaré les Polyglottes d’Anvers et de Paris sincères investigandæ sententiæ peraptas. Voir t. i, p. xvi. Les Polyglottes présentent encore un autre avantage : elles facilitent aux étudiants l’étude des langues sacrées, si vivement recommandée par le même pape. Voir ibid., p. xxvii. La juxtaposition des textes permet les comparaisons et rend le même service qu’une version interlinéaire, et le maniement fréquent des textes parallèles ainsi groupés est une condition de progrès à réaliser dans la connaissance de ces langues.

II. Les quatre grandes Polyglottes. — Dans l’antiquité chrétienne, les Hexaples d’Origène (voir t. iii, col. 689-701) sont le seul travail qui soit une véritable Polyglotte. Ce n’est qu’au XVIe siècle que la renaissance des études bibliques provoqua la publication de recueils des textes originaux et des anciennes versions de la Bible. Les quatre Polyglottes d’Alcala, d’Anvers, de Paris et de Londres méritent par leur ampleur et leur importance d’être signalées les premières.

La Polyglotte d’Alcala. — 1. Histoire. — On la doit à l’initiative et à la magnificence du grand cardinal François Ximénès de Cisneros, archevêque de Tolède et ministre du roi de Castille. C’est pendant l’été de 1502, durant son séjour à Tolède, qu’il conçut le projet d’une Polyglotte pour raviver l’étude scientifique de la Bible et permettre aux théologiens, par la comparaison des textes, de remonter aux originaux. Il confia le travail à des philologues, qui étaient professeurs à son université d’Alcala : Antoine de Lebrija (voir t. i, col. 709), Démétrius Ducas, Lopez de Zuniga, Nunez de Guzman, à qui il associa trois savants juifs convertis : Alphonse d’Alcala, Paul Coronell et Alphonse de Zamora. Le cardinal acheta des manuscrits hébreux et rassembla de divers côtés des manuscrits grecs et latins. Nous indiquerons ceux qu’on a pu identifier. Quoique le cardinal pressât les travailleurs, ce ne fut qu’au mois de janvier 1514 qu’un premier volume, contenant le Nouveau Testament, sortit des presses d’Arnold Guillaume de Brocario. C’est le tome v dans le plan général de l’ouvrage. Quelques mois plus tard, à la fin de mai 1514, fut achevé un second volume, le t. VI ; il contient deux dictionnaires, hébreu et chaldaïque, et une grammaire hébraïque, œuvres d’Alphonse de Zamora et devant servir d’introduction à l’Ancien Testament. Les quatre autres volumes, t. i-iv, sont consacrés à l’Ancien Testament ; le dernier sortit des presses le 10 juillet 1517. Le cardinal mourut quatre mois plus tard, le 8 novembre 1517. Toutefois, son grand ouvrage ne fut mis en vente qu’en 1520, après que Léon X, à qui il avait été dédié, l’eût approuvé par bref en date du 22 mars 1520. Il n’en avait été tiré que 600 exemplaires, et quoique la dépense totale s’élevât à plus de 50 000 ducats, le prix de chaque exemplaire fut fixé à six ducats et demi seulement. La Polyglotte d’Alcala ne fut guère connue qu’en 1521. Elle est d’une extrême rareté ; aussi le prix des exemplaires, qui reparaissent sur le marché, est très élevé.