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PIERRE (SAINT)


tu vis à la manière des païens, et non comme les Juifs, pourquoi forces-tu les païens de judaïser ?… »

Souvent, dans les temps anciens, on a essayé d'échapper, par des hypothèses assez étranges, aux conséquences fâcheuses que l’on croyait devoir découler de cet épisode pour la dignité de saint Pierre. — 1. On a prétendu qu’il s’agit d’un autre Céphas que Simon Pierre. Voir Clément d’Alexandrie, dans Eusèbe, H. E., I, 12, t. xx, col. 117. Mais cela est inadmissible, puisque, d’une part, quelques lignes plus haut, Gal., £, 18, Paul a déjà mentionné le prince des Apôtres sous le nom de Céphas, et que, d’autre part, tout son récit suppose que celui avec lequel il entra en discussion était un personnage jouissant d’une autorité supérieure. Aussi, presque tous les Pères et les anciens auteurs ecclésiastiques ; comme la plupart des commentateurs modernes et contemporains, ont-ils identifié ce Céphas et saint Pierre. Voir Céphas, t. ii, col. 429. — 2. On a supposé (Origène, d’après S. Jérôme, Epist. exil, ad August., 4, t. xxii, col. 918 ; S. Jean Chrysostome, Honi. in illud : In faciem ei rest-ili, 15, t. li, col. 384 ; S. Jérôme lui-même, In Episl. ad Gal., ii, 11, t. xxvi, col. 341) que, si saint Pierre et saint Paul ont agi comme le raconte ce dernier, c'était en vertu d’une entente préalable, afin de donner une leçon très forte aux judaïsants dans la personne du prince des Apôtres. Cette conjecture s’appuie sur une fausse interprétation du mot ùitoxpîii ; , « dissimulation. » En effet, en employant ce terme, saint Paul a seulement voulu dire que Céphas, Barnabe et leurs imitateurs avaient changé de conduite par de simples motifs de circonstance, par timidité et faiblesse, et non par suite d’une convicti on intime. Voir à ce sujet S. Augustin, Epist. xxvin et lxxxii, ad Hieronym., t. xxiii, col. 112, 276. Pour interpréter les faits, il faut les envisager de la façon la plus simple et la plus naturelle. Pierre, en arrivant à Antioche, partagea sans la moindre hésitation la vie et les repas des chrétiens d’origine païenne, ainsi qu’il avait déjà fait autrefois chez le centurion Corneille, Act., xi, 3 ; mais, plusieurs chrétiens issus du judaïsme étant venus à leur tour dans cette même ville, comme il les savait très attachés aux observances légales, il se trouva dans une situation fort délicate : s’il continuait de vivre avec les Gentils, il froissait les chrétiens de Jérusalem ; s’il se séparait des fidèles d’origine païenne, il les offensait eux-mêmes. Il lui parut cependant qu’il valait mieux, dans l’intérêt de son ministère, exercé surtout auprès des judéo-chrétiens, de se décider en faveur de la seconde alternative. Il en avait certainement le droit, puisque les Juifs convertis étaient libres encore d’observer la loi. Mais son exemple suscitait deux grands périls : d’un côté, quelques esprits exagérés pouvaient en conclure que les pratiques légales continuaient d'être strictement obligatoires pour les chrétiens issus du judaïsme, et pas seulement facultatives ; d’autre part, les païens convertis eux-mêmes pouvaient craindre qu’on ne les assujettît à. ces pratiques. Paul réclama au nom de ces derniers. Il ne dit pas en termes exprès ce que fit saint Pierre ; mais il n’est pas douteux que celui-ci ne se soit humblement soumis aux observations très justes de son c< bien-aimé frère Paul ». II Petr., iii, 15. Sur cette question, voir Pesch, Veberdie Person des Kephas, dans la Zeitschriftfùrkathol. Théologie, t. vii, 1883, p. 456490 ; F. Vigouroux, Les Livres Saints et la critique rationaliste, 5e édit., t. v, p. 456-476 (ils donnent la liste des principaux auteurs qui ont cru, dans le cours des temps, que le Céphas d' Antioche est distinct du prince des Apôtres).

. IV. Saint Pierre d’après la tradition. — Ici, une distinction est nécessaire, car les documents sont loin de posséder tous la même valeur historique. Il en est que nous pouvons suivre en toute sécurité ; tels sont en général les renseignements fournis par les Pères de

l'Église, surtout par Eusèbe de Césarée et saint Jérôme. D’autres sont plus ou moins associés à des détails merveilleux, légendaires, dont il est nécessaire de se défier ; dans cette catégorie se placent les Actes apocryphes de saint Pierre, les écrits connus sous le nom de littérature clémentine, etc. Néanmoins, ces sources de second ordre contiennent elles-mêmes quelques faits historiques, qui se dégagent assez facilement, grâce à la tradition sérieuse et à la critique, des fables dont ils sont entourés. Il faut noter encore que la tradition proprement dite nous fournit des données assez restreintes sur la vie et le ministère apostolique de saint Pierre. Du moins, elle nous renseigne très clairement sur les points essentiels

I. LA PREMIÈRE PÉRIODE DE LA VIE DE SAINT PIERBB.

— À ce sujet, la tradition se borne à quelques points d’importance très secondaire. La mère de Simon se serait nommée Johanna. Cf. Cotelier, Constit. apost., ii, 63, t. i, col. 755. Sa femme aurait porté le nom de Perpétue ou celui de Concordia qui ne conviennent pas à une Juive, Patr. gr., t. i, col. 1365, note 43. D’après saint Jérôme, Adv. Jovinian., i, 26, t. xxiii, col. 245, elle serait morte d’assez bonne heure, avant que Pierre ne devînt le disciple de Jésus. Au contraire, au dire de Clément d’Alexandrie, Stroni., vii, 11, t. ix, col. 488, elle aurait subi le martyre à Rome, peu de temps avant lui. Il l’aurait accompagnée au lieu du supplice, en l’encourageant par ces paroles : « O toi, souviens-toi du Seigneur. >. Plusieurs adoptent ce dernier sentiment en concluant de I Cor., ix, 5, que saint Pierre, comme d’autres apôtres, se faisait accompagner, durant ses courses apostoliques, par sa femme, traitée comme une sœur. Saint Jérôme, loc. cit., mentionne une tradition d’après laquelle Pierre aurait eu plusieurs enfants. Cf. Clément d’Alexandrie, Strom., iii, 6, t. vii, col. 1156. On lui a longtemps attribué une fille du nom de Pétronille, que mentionnent les Acta Nerei et Achillei, 15, et les Acta Philippi. Tischendorf, Apocal. apocr., p. 149, 155. Mais on reconnaît généralement aujourd’hui que cette attribution provient simplement d’une fausse étymologie. En effet, le nom « Petronilla » ne dérive pas de « Petrus », mais de « Petronius ». Par son père, sainte Pétronille appartenait à la célèbre « gens Flavià », c’est pour ce motif qu’elle fut enterrée dans la catacombe de Domitilla. Voir Lightfoot, St. Clément of Rome, t. i, p.37 ; F. X. Kraus, Real-Encyclopxdia der christl. Alterlhûmer, t. ii, p. 607 ; Acta sanctorum, maii t. vii, p. 420.

II. QUELQUES VOYAGES DU PBINCE DES APOTRES. —

1° Nous venons de le voir, saint Paul fait une allusion très claire aux courses apostoliques de saint Pierre. Notre héros serait-il allé à Corinthe ? Saint Denys, évêque de cette ville vers’le milieu du me siécle, l’affirme comme une chose très connue. Voir Eusèbe, H. E., ii, 25, t. xx, col. 209. S’adressant aux Romains, il leur dit : « (Pierre et Paul, ) étant entrés dans notre Corinthe, nous ont instruits ; puis, partis ensemble pour l’Italie, après nous avoir enseignés, ils ont subi le martyre en même temps. » Saint Clément pape, I Cor., xlvii, 1. 1, col. 308, semble admettre aussi ce séjour de saint Pierre à Corinthe. Néanmoins, la plupart des critiques contemporains le mettent au rang des hypothèses.

2° On regarde aussi, d’une manière assez générale, comme peu fondé le sentiment, d’ailleurs très ancien, d’après lequel saint Pierre aurait évangélisé les cinq provinces d’Asie Mineure auxquelles est adressée sa première Épître : le Pont, la Galatie, la Cappadoce, l’Asie proconsulaire et la Bithynie. I Pet., i, 1. Origène, qui est le premier à mentionner cette opinion, In Gen., iii, t. xii, col. 92 ; cf. Eusèbe, H. E., iii, 1, t. xx, col. 216, en parle comme d’une simple conjecture, basée seulement sur ce que saint Pierre a écrit aux chrétiens de ces provinces : « Pierre paraît (iOtxev) avoir prêché dans le Pont, la Galatie… « Eusèbe fait de même, iï. £.,