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PHILOSOPHIE

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et les prophètes sont des philosophes en ce sens que leurs écrits enseignent la vraie sagesse, beaucoup moins par le côté théorique que par le côté pratique. Ils règlent les rapports de l’homme avec Dieu et avec ses semblables : vis-à-vis de Dieu, respect, obéissance, amour, culte conforme à la loi, mais sincère et exempt de formalisme ; vis-à-vis du prochain, justice sous toutes ses formes et bienveillance. Il n’y a pas de meilleure philosophie que celle qui conduit à de pareilles conclusions et aide à en faire des règles pratiques et obéies.

— 2° D’autres écrivains sacrés ont traité plus directement et plus exclusivement les questions philosophiques, telles que les concevaient les Hébreux. Ce sont d’abord certains Psalmistes, qui se sont occupés des questions de morale. Ps. (Vulgate) 1, xxxvi, lxxii, cxi, cxxxviii, Cxliv, etc. Le livre de Job est le type d’une large discussion philosophique. Le problème posé est celui de la relation de cause à effet qu’il faut supposer entre le mal moral et le mal physique. Plusieurs interlocuteurs défendent des solutions diverses en faisant appel tantôt au raisonnement, tantôt et beaucoup plus fréquemment, à l’expérience. La discussion n’est pas menée avec une logique serrée, comparable à celle des dialogues de Platon. Elle se poursuit cependant majestueuse, vivante, incisive, avec une allure tout orientale, pour aboutir à une double solution : une solution de principe, la soumission à la toute-puissante et insondable volonté de Dieu, et une solution de fait, le retour du juste à la prospérité après son épreuve momentanée. Voir Job (Livre de), t. iii, col. 1570-1576. L’Ecclésiaste est une sorte de traité de la béatitude, consistant sur la terre à servir Dieu tout en jouissant avec modération des biens qu’il accorde à l’homme. Le raisonnement y tient peu de place ; l’auteur procède surtout par aphorismes qui s’inspirent du bon sens et par des appels à sa propre expérience et à celle des autres. Voir Ecclésiaste (Le livre de l’), t. ii, col. 1584. Le livre des Proverbes est par excellence le livre de la sagesse hébraïque. Il contient l’éloge de la sagesse, dont il cherche l’origine en Dieu même, et traite des devoirs de la vie morale, de la vie domestique et de la vie civile. C’est un De officiis, mais composé suivant la méthode orientale. On n’y voit ni. déductions logiques, ni développements suivis, mais seulement de brèves sentences, des observations, des conseils, des tableaux de mœurs, le tout tendant à rendre la vie vertueuse et en même temps aussi supportable que possible, pour soi et pour les autres. Les plus hautes leçons de morale s’y mêlent aux préceptes les plus élémentaires de la prudence et de la civilité. Le même genre de philosophie pratique se retrouve dans le livre de l’Ecclésiastique. Seulement le groupement logique des pensées y est beaucoup plus sensible. D’après le fils de Sirach, la vraie sagesse vient toujours de Dieu et se manifeste surtout par l’accomplissement des devoirs envers lui. Mais elle préside également à tons les actes et à toutes lès relations des hommes, afin de rendre la vie bonne et heureuse ici-bas. Voir Ecclésiastique (Le livre de l’), t. ii, col. 1551-1553. La morale de ces livres est inférieure à celle de l’Évangile ; mais, en général, elle s’élève fort au dessus de la morale des sages du paganisme. — L’un des traités de la Mischna, Pirke Aboth, « sentence des pères, » contient, en cinq chapitres, une collection analogue de conseils pratiques, parmi lesquels plusieurs insistent sur la nécessité d’étudier la loi. Ce recueil est d’une date postérieure à l’ère chrétienne (70-170), mais se réfère parfois à des autorités plus anciennes. Sa philosophie ne dépasse pas celle des livres précédents, si tant est qu’elle l’égale.

III. Influence de la philosophie grecque. — 1° Elle se fait sentir dans un des livres de l’Ancien Testament, la Sagesse, œuvre dont l’auteur appartenait à la communauté judéo-hellénique d’Alexandrie. Il est naturel que Ce livre inspiré reflète les manières de penser des

Juifs hellénistes, tout en restant conforme à la doctrine révélée. On sait que les Juifs de la Palestine voyaient de fort mauvais œil cette sorte de décentralisation de I » pensée hébraïque et cette intrusion de la culture grecque, justement suspecte à bien des égards. Josèphe, Ant. jud., XX, xi, 2, se fait l’interprète de cette antipathie : « On n’estime pas chez nous, dit-il, ceux qui apprennent à parler la langue de beaucoup de nations et qui recherchent dans leurs discours l’élégance et les ornements du langage, parce qu’on regarde cette recherche comme à la portée des esclaves aussi bien que des hommes libres. On ne tient pour sages que ceux qui ont acquis la science des lois et savent interpréter avec compétence la valeur des choses et des paroles dans les saintes Lettres. » Le livre de la Sagesse, par sa manière de présenter les idées hébraïques et de les exprimer, sort évidemment du cadre traditionnel et se rapproche de l’hellénisme. La sagesse n’y apparaît plus seulement sous la forme poétique usitée dans les livres précédents ; elle y prend une allure plus philosophique. Elle est un « . souffle de Dieu », une « émanation de sa gloire », un « éclat de la lumière éternelle », vii, 25, 26 ; elle s cohabite avec Dieu », elle « initie à la science de Dieu », elle « choisit parmi ses œuvres » celles qu’il doit réaliser, viii, 3, 4 ; elle est « assise près du trône de Dieu », îx, 4, et s’identifie avec le Logos tout-puissant qui a son trône royal dans le ciel, xviii, 15. C’est déjà un acheminement vers le Logos de saint Jean. Voir Logos, t. iv, col. 323. L’auteur sacré ne s’écarte pourtant point des données antérieures sur la sagesse ; il veut surtout montrer en elle un attribut divin à la communication duquel sont appelés les hommes de bien. Cette sagesse se meut et pénètre l’univers, vii, 24 ; viii, 1, comme ce que les stoïciens appelaient l’âme du monde. Elle est la source de la tempérance, de la prudence, de la justice et de la force, viii, 7. Ce sont là les quatre vertus cardinales de Platon. L’auteur s’inspire aussi de la psychologie platonicienne dans sa conception de l’âme, viii, 20, dont le corps n’est que la « tente terrestre ». ix, 15. Il ne procède plus par courtes sentences, comme les écrivains palestiniens ; sa pensée se déroule en assez longs développements, dans lesquels le raisonnement prédomine. L’idée elle-même perd sa forme concrète et imagée d’autrefois pour prendre un tour abstrait et philosophique. Là où l’auteur dit : « Qui tient des discours impies ne saurait rester caché… Facilement on la trouve (la sagesse) quand on la cherche, » Sap., i, 8 ; VI, 13, ses prédécesseurs avaient écrit : « L’oreille qui entend et l’œil qui voit, c’est le Seigneur qui a fait l’un et l’autre… La sagesse crie dans les rues, elle élève sa voix sur les places. » Prov., xx, 12 ; i, 20. Un sorite en règle est même employé pour prouver que le désir de la sagesse conduit à la royauté éternelle. Sap., vi, 17-20. Les dix derniers chapitres sont une philosophie de l’histoire des égyptiens, au moment de l’exode des Hébreux, tendant à montrer l’infériorité de l’idolâtrie par rapport au culte du vrai Dieu. D’ailleurs les grandes erreurs des philosophes grecs sont présentes à l’esprit de l’écrivain sacré. Par sa théodicée si claire et si ferme, il prémunit à la fois contre le panthéisme des stoïciens, l’abstraction rationaliste des péripatéticiens et le nihilisme des sceptiques. — 2° Platon a exercé une large influence sur les idées du juif Philon ; mais cette influence est demeurée étrangère aux écrivains sacrés, puisque le Logos de saint Jean n’emprunte rien à celui du disciple de Platon. Voir Logos, t. iv, col. 323. — 3° Par contre, quelques écrivains juifs ont cru que les philosophes grecs, Pythagore, Socrate, Platon, avaient puisé dans les livres de Moïse. Cette idée a été mise en avant par Aristobule, vers 170-150 avant Jésus-Christ. Philon l’a également soutenue. Cf. Schûrer, Geschichte des jûdischen Volkes im Zeit.