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PHILOSOPHIE


celle de la conviction, du sentiment intime d’un Dieu juste et bon ; les maximes de leurs sages et de leurs prophètes ont jailli d’une source divine, elles se sont manifestées tout à coup par un sublime élan et ne sont pas les résultats d’une froide réflexion et d’un orgueilleux stoïcisme. » Munk, Palestine, Paris, 1881, p. 418. Il n’existe donc pas, à proprement parler, de philosophie hébraïque ; les Hébreux reçoivent de la révélation leurs idées toutes faites ; tout au plus en tirent-ils les conséquences immédiates ; l’observation leur est familière, comme à tous les Orientaux, mais la spéculation leur demeure à peu près étrangère. Leur sagesse a un caractère positif et traditionnel ; ils reçoivent la vérité de leurs prophètes et de leurs sages ; ils l’admettent ou la repoussent pratiquement, suivant les dispositions du moment ; ils ne songent guère à justifier par le raisonnement déductif leurs conclusions vraies ou fausses. — 2° Bien que renseignés authentiquement par la révélation sur les thèses capitales de la vraie philosophie, les Hébreux ne laissent pas de garder, sur les points secondaires, les théories qui sont celles de leur temps et de leur milieu, ou qui même leur sont particulières. La révélation respecte chez eux ces manières imparfaites de penser, pour autant qu’elles ne sont pas en contradiction avec les données essentielles de leur foi. Ainsi la nature spirituelle et transcendante de Dieu est affirmée avec la plus parfaite netteté. Néanmoins, les Hébreux tiennent à concevoir Dieu d’une certaine manière ; de là les anthropomorphismes si fréquents dans la Bible, surtout dans les anciens livres. Voir Anthropomorphismes, t. i, col. 662. Dieu a interdit toute représentation de la divinité et personne ne l’a vii, même parmi les plus privilégiés. Exod., iii, 6 ; xxiv, 10, 11 ; xxxiii, 18-23 ; Joa., i, 18. Néanmoins les Israélites s’imaginent qu’un veau d’or peut être une image de Jéhovah, Exod., xxxii, 1, 4 ; III Reg., xii, 28, et les prophètes sont obligés de leur rappeler que Dieu ne se nourrit pas de la chair de leurs sacrifices. Ps. L (xltx), 12, 13. Ces tendances grossières ne se corrigent complètement qu’après le retour de la captivité, et les conquérants romains conduits par Pompée sont singulièrement étonnés, avec leurs idées polythéistes, de constater dans le temple de Jérusalem, nulla intus deûm effigie, vacaani sedeni et inanià arcana, « aucune image de divinités à l’intérieur, un sanctuaire vide etde vains mystères. » Tacite, Hist., v, 9. Voir Elohim, t. ii, col. 1701 ; Jéhovah, t. iii, col. 1235. Cf. de Broglie, L’idée de Dieu dans l’Ancien Testament, Paris, 1892, p. 45-194. — 3° Les notions nécessaires sur la nature, la destinée et les devoirs de l’homme sont également fournies aux Hébreux par la révélation. Voir Adam, t. i, col. 171 ; Ame, col. 453 ; Morale, t. iv, col. 1260. Mais comme celle-ci n’a pas à intervenir dans la manière dont on conçoit le fonctionnement de l'être intelligent, la psychologie des Hébreux est purement humaine et spécialement sémitique. Ils comprennent les opérations de l'âme et ses rapports avec le corps comme on pouvait le faire de leur temps et dans leur milieu, prêtant au souffle, au sang, au cœur, aux reins, aux entrailles, aux os, une action dans la vie de l'âme, dans ses pensées, ses volontés et ses sentiments. Cf. Fr. Delitzsch, System der biblischen Psychologie, Leipzig, 1861, p. 149-285. Les termes qu’ils emploient reflètent ces conceptions. La substance spirituelle et pensante prend chez eux le nom de ruâh, « soufflé », nvEÛ[x.a, spiritus. Le corps est appelé bâ&âr, « chair », <ràpÇ, caro, le mot râpa, corpus, étant plus habituellement réservé pour désigner le cadavre. Matth., xiv, 12 ; xix, 5 ; xxvii, 58 ; Marc, x, 8 ; xv, 43 ; Luc, xvii, 37 ; xxiii, 52, 55' ; Joa., xix, 31, 38, 40 ; Act., ix, 40, etc. Le néfeir hébreu, Ivx’hi anima, est le nom du composé humain et par conséquent de la vie. Matth., ii, 20 ; vi, 25 ; x, 39 ; Marc, iii, 4 ; x, 45 ; Luc, vi, 9 ; xii,

20, 23 ; Joa., x, 11 ; xii, 25 ; Act., xx, 24 ; Rom., xvi, 4, etc. Il remplace même le pronom personnel pour désigner la personne elle-même. Matth., vi, 25 ; xxvi, 38 ; Luc, i, 46, 47 ; Act., ii, 43, etc. La sensibilité y a parfois son siège. Matth., xi, 29 ; xxvi, 38 ; Marc, xiv, 34 ; Luc, ii, 35 ; xii, 19, 20 ; Apoc, xviii, li, etc. Les termes abstraits pour désigner la sensibilité et les sens n’existent pas. Des verbes servent à indiquer les opérations de ces derniers, sans qu’on se soucie toujours d'établir un rapport logique entre l’idée et l’expression. Ainsi on. « voit > : la chaleur, Is., xliv, 16, le bruit, Marc, v, 38, la vie, Joa., iii, 36, la corruption, Luc, ii, 26 ; Joa., viii, 51 ; Act., ii, 27, au lieu de les « sentir » ; on « goûte » la mort, Matth., xxvi, 28 ; Joa., viii, 52, etc., au lieu de la « souffrir ». Rien ne marque explicitement la distinction entre la sensation et le sentiment. Les nuances manquent pour l’expression des sentiments intermédiaires ; pour dire « aimer moins », on est obligé d’avoir recours au verbe « haïr ». Luc, xiv, 26. Les passions ne sont pas distinguées des désirs. L’intelligence est habituellement nommée lêb, « cœur », xapSc’a, cor. Voir Cœur, t. ii, col. 823. La raison, la conscience' n’ont pas de nom spécial ; la loi est écrite dans le cœur, Rom., ii, 15, et non dans la conscience. L’imagination n’est pas mentionnée ; l’intention ne se distingue pas du cœur où elle se forme. Le nom abs- 1 trait de la vertu se rencontre à peine. Cf. Vigouroux, Le Nouveau Testament et les découv. archéol. mod., Paris, 1896, p. 61-76. Cette psychologie était donc assez rudimentaire et ne comportait pas une analyse très profonde des facultés de l'âme et de leur exercice. — Pareillement, les Hébreux ne se font qu’une idée imparfaite de la nature de l'âme, de sa distinction d’avec le corps et des conditions de sa vie séparée. De là peut-être leur embarras pour concevoir clairement sa survivance après la mort, quand le corps lui-même n'était plus là pour la servir et tombait en dissolution. Voir Schéol. Ainsi s’explique en partie leur lenteur à dégager complètement la notion de son immortalité, comme aussi à trouver la solution du problème de l'épreuve des bons et de la prospérité des méchants sur la terre. Voir Mal, t. iv, col. 601-604. Les révélations et les bienfaits divins dont ils ont été l’objet, les précautions qui ont été prises. pour les isoler des autres peuples, les persécutions et la haine dont ils finissent par devenir les victimes, enfin les prophéties qu’ils entendent dans un sens temporel et exclusivement favorable à leur nation, deviennent pour les Israélites le prétexte à une appréciation très exagérée de leur supériorité par rapport aux autres hommes. Ils oublient que, s’ils ont été les premiers bénéficiaires de la révélation, c’est afin de la conserver et de la transmettre au reste de l’humanité, et non de la monopoliser comme un bien qui leur est dû. Il y a là une méconnaissance de l'égalité originelle des hommes et de l’indépendance de Dieu dans la répartition de ses dons, que saint Paul est obligé de redresser. Rom., ii, 1-ni, 20. — 4° La révélation ne faisait connaître aux Hébreux que deux idées fondamentales au sujet du monde : la création de toutes choses par Dieu et l’action de sa providence sur tous les êtres créés. À elles seules, ces deux idées font dé la cosmogonie mosaïque une œuvre philosophique qui n’a été dépassée par aucun système. Voir Cosmogonie mosaïque, t. ii, col. 1034. Quant aux explications de détail, les Hébreux sont restés tributaires de la science de leur époque, science des apparences audessus de laquelle ils n’ont eu ni le désir ni le moyen de s'élever. Seulement leurs idées religieuses, se combinant avec leur connaissance fort restreinte des lois de la nature, les ont portés à supposer très fréquemment une action directe de Dieu là où nous ne voyons que le jeu normal des forces créées et réglées par lui. II. La philosophie des auteurs sacrés. — 1° Moïse