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PHILON — PHILOSOPHIE


2° Exégètes postérieurs. — Le système allégorique de Philon inspira ceux qui après lui étudièrent ou enseignèrent dans l’école d’Alexandrie. Il est presque exact de dire qu’il « avait absorbé, comme un immense réservoir, tous les petits ruisseaux de l’exégèse biblique à Alexandrie, pour déverser ensuite ses eaux dans les rivières et les canaux à mille bras de l’interprétation juive et chrétienne des Saintes Ecritures. » Siegfried, ’Philo von Alexandria, p. 27, Il eut à Alexandrie même d’illustres imitateurs, Clément d’Alexandrie, qui admettait la création instantanée et tendait à introduire l’allégorie dans l’explication du paradis terrestre, Strom., V, 11 ; vi, 16, t. ix, col. 109, 370, 376 ; voir Clément d’Alexandrie, t. ii, col. 803 ; Origène qui, comme Philon, distinguait dans l’Ecriture un corps et une âme, Periarchon, iv, 11, t. xi, col. 365 ; In Levit., homil. v, 5, t. xii, col. 456, excluait l’anthropomorphisme et appliquait avec grande hardiesse le système de l’interprétation allégorique ; voir Origène, t. iv, col. 18741878 ; saint Athanase, Orat. u cont. Arian., 49, 60, t. xxvi, col. 249, 276, et saint Cyrille, Glaphyr. in Gen., 1, t. lxix, col. 13, 16, qui, en beaucoup de points, suivent la tradition alexandrine. Voir Athanase (Saint), t. i, col. 1209 ; Cyrille d’Alexandrie (Saint), t. ii, col. 1185. À la même tradition se rattache, au vne siècle, Anastase le Sinaïtique, In Hexæmer., 7, t. lxxxix, col. 961, 968, qui blâme cependant l’abus du sens allégorique chez Origène, et dit que Philon, Papias, Irénée, Justin, Pantène, Clément et les deux Grégoire de Cappadoce entendaient dans un sens mystique les six jours et le paradis terrestre. Voir Alexandrie (École exégÉtique d’), 1. 1, col. 358. La réaction contre Pallégogisme se produisit à Antioche de Syrie. Voir Antioche (École exégétique d’), t. i, col. 683. Cf. Vigouroux, La cosmogonie mosaïque, Paris, 1882, p. 20-57. — L’idée de Philon sur la dépendance des philosophes grecs par rapport à Moïse est adoptée par saint Justin, Apol., i, 59 ; Dial. cum Tryph., 1, K. s, col. 416, 491, par Tatien, Orat., 36-41, t. vi, col. 880-888, Clément d’Alexandrie, Strom., i, 21, t. viii, col. 819 ; v, 3, t. ix, col. 31, Théodoret, Grsec. Affect., ii, t. lxxx, col. 810, et presque tous les Pères des cinq premiers siècles. Cependant Origène, Cont. Cels., i, 16 ; vii, 27, t. xi, col. 687, 1459, et saint Augustin, De civ.Dei, xviii, 27, t. xli, col. 583. sont moins affirmatifs. — Eusèbe et saint Jérôme considèrent Philon comme un écrivain important et lui consacrent une notice. Deux autres Pères lui empruntent fréquemment ses pensées, Clément d’Alexandrie, cf. la préface de Potter, Oxford, 1715, reproduite dans Migne, t. viii, et saint Ambroise, dans ceux de ses livres où il traite les mêmes sujets que Philon, In Hexæmer., De paradis-, De Gain et Abel, De Noe et arca, De Abrah., De fug. ssec, De Jacob. Cf. Siegfried, Philo von Alexandria, p. 371-391. — En appliquant à leurs explications des textes sacrés l’allégorisme philonien, les Pères alexandrins, même Origène, n’avaient pas dépassé certaines limites, imposées par la nécessité de sauvegarder le sens littéral de la Sainte Écriture. L’opposition que rencontra de bonne heure l’exégèse allégorique empêcha d’ailleurs leur méthode de faire loi dans l’Église. Il n’en fut pas de même pour l’exégèse juive. Obligée de se dérober à l’explication littérale d’un bon nombre de passages bibliques, elle recourut de plus en plus à l’allégorisme pour se tirer d’embarras. A l’allégorie des choses, elle ajouta celle des mots, des chiffres, des lettres elles-mêmes, pour aboutir à la kabbale. Philon, sans doute, n’y fut pour rien ; le Talmud même l’ignore absolument. Néanmoins « il existe entre la kabbale et le nouveau platonisme d’Alexandrie de telles ressemblances, qu’il est impossible de les expliquer autrement que par une origine commune. » A. Franck, La kabbale ou la philosophie religieuse des Juifs, Paris, 1889, p. 213. Partis des mêmes prin cipes, obéissant aux mêmes besoins, Philon et les kabbalistes aboutirent aux mêmes résultats, et rien ne ressemble mieux à l’œuvre du premier que le Zohar, qui renchérit encore sur l’allégorisme de l’écrivain d’Alexandrie. Cf. Sepher ha-Zohar, édit. Lafuma-Giraud, Paris, 1906.

VI. Bibliographie. — Fabricius, Dissertatio de Platonismo Philonis, in-4°, Leipzig, 1693 ; Stahl, dans YAllgemeine Bibliothek der Biblischen Literatur d’Eichhorn, t. iv, fasc. v, p. 770-890 ; Plank, Commentatio de principiis et causis interpretationis PhilonianiB allegoricse, 1807 ; Grossmann, Qumstiones philonianse, part, i, De théologies. Philonis fontibus et auctoritate, 1829 ; Gfrôrer, Philo und die alexandrinische Theosophie, 2 in-8°, Stuttgart, 1831-1835 ; Dàhne, Geschichtliche Darstellung der jùdisch-alexandrinischen Religionsphilosophie, 2 in-8°, 1834 ; Creuzer, Kritik der Schriften des Juden Philo, dans les Theologische Studien und Kritiken, 1832 ; Kirchbaum, Der jûdische Alexandrinismus, Leipzig, 1841 ; Bûcher, Philonische Studien, 1848 ; M. Wolf, Die Philonische Philosophie, Leipzig, 1849 ; 2e édit., Gothenbourg, 1858 ; J. Biet, Essai historique et critique sur l’école juive d’Alexandrie, in-8°, Paris, 1854 ; F. Delaunay, Philon d’Alexandrie, m-8, Paris, 1867 ; C. Siegfried, Philo von Alexandria als Ausleger des Alten Testaments, in-8°, Iéna, 1875 ; Ed. Ryle, Philo and Holy Scripture, in-16, Londres, 1895 ; Ed. Herriot, Philon le Juif, in-8°, Paris, 1898 ; J. Martin, Philon, ’Paris, 1907.

H. Lesêtre.
    1. PHILOSOPHIE##

PHILOSOPHIE (grec : tpiXocrocpCa ; Vulgate : philosophia), ensemble d’idées fondamentales et rationnelles sur Dieu, l’homme, le monde et leurs relations.

I. Philosophie hébraïque — 1° Les Hébreux avaient reçu de leurs ancêtres chaldéens un certain nombre de notions théoriques et pratiques sur les êtres qui font l’objet des connaissances fondamentales de l’esprit humain. Ces notions, conservées et approfondies par le bon sens des générations successives, avaient cependant subi l’influence des croyances religieuses, issues elles-mêmes des traditions primitives, mais défigurées et matérialisées par le long travail de l’erreur et des passions. Les révélations faites à Abraham et aux patriarches et surtout la législation donnée par Dieu " à Moïse remirent toutes choses au point pour les Hébreux. Dès lors furent fixés pour eux les grands principes méconnus ou à peine soupçonnés par les penseurs privés des lumières de la révélation : existence, unité, spiritualité, puissance créatrice et providence de Dieu, contingence et infériorité du monde et de tous les êtres qui le composent, double nature corporelle et spirituelle de l’homme, sa liberté et « sa responsabilité. C’est donc de la révélation que procédait la philosophie hébraïque, c’est sur elle qu’elle s’appuyait, c’est par elle qu’elle corrigeait ses écarts, quand les tendances naturelles des Israélites les poussaient au polythéisme ou au matérialisme. À cet égard, il était juste de dire : « La crainte de Jéhovah (c’est-à-dire la religion) est le commencement de la sagesse. » Prov., i, 7. Celui-là était sage et savant, il s’élevait même à un niveau très supérieur à celui des philosophes de l’antiquité, parce qu’il connaissait Dieu, l’homme et le monde par les inspirations de sa foi. Pour les sages hébreux, « la divinité n’est pas le résultat d’une suite de syllogismes ; il n’existe dans leurs livres aucune trace de ces spéculations métaphysiques que nous trouvons chez les Hindous et chez les Grecs : il n’y a chez eux ni théologie savante, ni philosophie dans le sens que nous attachons à ce mot, et, pour faire connaître Dieu, ils s’adressent au cœur de l’homme, à son sentiment moral, à son imagination. L’Hébreu croyait au Dieu créateur qui s’était révélé à ses pères et dont l’existence est au-dessus du raisonnement des hommes. La morale des Hébreux est