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PHILON


draschim. Voir Midbasch, t. iv, col. 1079, 1080. Philon, avec son estime pour les philosophes grecs et son désir de faire accepter les écrits bibliques comme les trésors de la parfaite sagesse, ne pouvait manquer de faire appel à toutes les ressources de l’allégorisme et de transporter ainsi dans le domaine de l’hellénisme une méthode déjà en faveur auprès des rédacteurs delà Hagada palestinienne. Cf. Frankel, Ueber den Einfluss der palàsliniscken Exégèse auf die alexandrinische Hermeneutik, 1851, p. 190-200. Il n'était donc pas le premier à se servir de l’allégorisme pour expliquer les Livres Saints ; mais il faut reconnaître qu’avant lui personne, dans le monde juif, n’avait encore employé cette méthode d’une manière aussi étendue et aussi systématique. Cf. R. Simon, Hist, crit. du Vieux Testament, Rotterdam. 1685, p. 92, 97, 98, 371, 373. - Toutefois, Philon ne néglige pas le sens littéral du texte sacré ; mais il le traite comme secondaire et uniquement destiné à ceux qui ne sont pas capables de s'élever à une sagesse supérieure. C’est un corps dont le sens allégorique est l'âme, et l’intérêt de l'âme demande qu’on prenne soin du corps. Il dit, en s’inspirant des idées qu’il a prêtées aux thérapeutes : « Quelques-uns, bien assurés que le texte des lois symbolise des réalités intelligibles, s’appliquent avec grand soin à ces réalités et ne font plus aucun cas de la lettre. Je blâme leur parti-pris ; il fallait, en effet, avoir souci de l’un et de l’autre, rechercher avec grand zèle [les choses invisibles, et conserver comme un précieux trésor l'élément visible… Il faut assimiler la lettre au corps, et le sens mystique à l'âme. De même donc que l’on doit veiller sur le corps, parce qu’il est la demeure de l'âme, ainsi l’on doit tenir compte de la lettre. » De migr. Abrah., 16, t. i, p. 450451. « La lettre des Saintes Écritures ressemble à l’ombre des corps, les sens mystérieux dégagés des Écritures sont la vraie réalité. » De confus, ling., 38, t. i, p. 434. Cf. Col., ii, 17 ; Heb., x, 1. Philon tient surtout à écarter du texte sacré les conceptions anthropomorphiques. Il dit à leur sujet : « Pour ce qui est de la propre interprétation, l’esprit le plus lent ne manquera pas de concevoir qu’ici, il faut saisir, en dehors de la lettre, une autre chose. » De somn., 16, t. i, p. 635, 636. La lettre ainsi reléguée à Parrièreplan, Philon allégorise en toute liberté. Il se refuse à entendre littéralement les six jours de la création, Leg. alleg., i, 2, t. i, p. 44 ; le récit de la formation d’Eve, Leg. alleg., ii, 7, t. i, p. 70 ; le paradis terrestre, De mund. opif., 54, t. i, p. 37 ; la tentation d’Eve, De mund. opif., 56, t. i, p. 38, etc. Abraham reçoit l’ordre de sortir de son pays, de sa parenté, de la maison de son père. Gen., xii, 1-3. Dieu indique par là ce qu’il faut faire pour purifier l'âme : l'éloigner du corps, de la sensibilité et de la conversation. De migr. Abrah., 1, t. i, p. 436. Le traité De congressu explique le texte où il est dit que Sara envoya Abraham à sa servante pour en avoir des enfants. Gen., xvi, 1-6. Sur ce thèmev Philon explique que, désirant épouser la philosophie, il commença par entrer successivement en rapport avec trois servantes de celle-ci, la grammaire, la géométrie et la musique, et qu’il en apporta les fruits à l'épouse légitime. De congress., 14, t. i, p. 530. Certaines lois même ne peuvent se prendre dans le sens littéral, par exemple, celle qui exempte les fiancés du service militaire. Deut., xx, 5. Cette loi signifie simplement que ceux qui n’ont pas fait grand progrès dans la vertu ne doivent pas s’exposer à la tentation. De agricult., t. i, p. 322. Ces exemples montrent comment Philon traite les récits bibliques. Les personnages ont aussi leur signification allégorique. Adam est l’homme inférieur, Caïn Pégoïsme, Noé la justice, Sara la vertu féminine, Rébecca la sagesse, Abraham la vertu acquise par la science, Isaac la vertu produite par la nature, Jacob la vertu qui résulte de la pratique et de la méditation, etc.

L’Egypte symbolise le corps, Chanaan la piété, la tourterelle la sagesse divine, la colombe la sagesse humaine, etc. En un mot, tout dans la Bible, hommes, choses, événements, devient sujet d’allégorie et même n’est mentionné que dans ce but. Sans doute, il y a des allégories dans la Sainte Écriture. Voir Allégorie, t. i, col. 368. Mais encore faut-il qu’il existe un rapport naturel et justifiable entre le sens littéral et le sens allégorique ou mystique. Voir Mystique (Sens), t. jv, col. 1371-1374. Philon ne doutait pas de la valeur objective de ses interprétations ; il s’imaginait que, dans l’extase, c'était Dieu même qui l’inspirait. « J’ai appris plus d’une fois une merveilleuse doctrine ; c'était mon âme qui me l’enseignait. Il lui arriva en effet d'être soulevée par Dieu et de prophétiser cela même qu’elle ne savait pas. » De cherub., 9, t. i, p.l43. Cf. De migr. Abrah., 7, t. i, p. 441. Son système n’en est pas moins, dans son application, subjectif et arbitraire. Il a porté au delà des limites permises l’exagération d’un principe vrai. Aussi, bien qu’elle soit presque complètement exégétique, son œuvre n’apporte-t-elle qu’une contribution insignifiante à l’intelligence des Livres Saints. Cf. Cornely, Introd. in U. T. libros sacros, Paris, t. i, 1885, p. 598-599. ' V. Son influence. — 1° Nouveau Testament. — On a signalé un certain nombre de resemblances de pensée ou d’expression entre Matth., iii, 10 ; vii, 18, 19, et De agricult., 2, 3, t. i, p. 301 ; Mattb., vii, 13, 14, et Leg. alleg., ii, 24, t. i, p. 84 ; Matth., xxiii, 23-28, et De ckerub., 27, 28, t. i, p. 155, 156 ; Joa., v, 3, et De victirn., 8, t. ii, p. 257 ; Rom., i, 25, et De sacrif. Abel, 20, t. i, p. 177 ; I Cor., xv, 47-49, et Leg. allegor., i, 29, t. 1, p. 62 ; II Cor., v, 6, et De agricult., 29, t. i, p. 310, etc. Dans l'Épltre aux Colossiens, les rapprochements possibles seraient au nombre de plus de vingt-cinq. Ces analogies prouvent seulement que la terminologie et les idées de l'école d’Alexandrie étaient assez répandues au temps des Apôtres pour que ceux-ci pussent y faire des allusions plus ou moins formelles. Dans l'Épître aux Hébreux, les ressemblances sont d’un autre ordre. Elles portent sur les points suivants : 1. Caractère et mission du grand-prêtre, Heb., v, 1, 2, et De monarch., ii, 12, t.'ii, p. 230 ; De prœm., 9, t. ii, p. 417. — 2. Le vrai grand-prêtre est le Logos, Heb., v, 5-10 ; vii, 25, et De profug., 20, 1. 1, p. 562 ; De leg. spec, m, 24, t. ii, p. 322 ; De somn., i, 37, t. i, p. 653 ; Vit. Mos., iii, 14. — 3. Le Temple et la liturgie, Heb., IX, x, et De somn., i, 37, t. i, p. 653 ; Vit. Mos., iii, 1-18 ; Légat, ad Caj., 39, t. ii, 591. — 4. Difficulté du pardon, Heb., vi, 4-6, et De prœm., i, t. ir, p. 409. — 5. Le serment de Dieu, Heb., vi, 13, et Leg. alleg., iii, 72, t. i, p. 127 ; De sacrif. Abel, 28, t. i, p. 181. — 6. Le pontife Melchisédech, Heb., vii, 1, et Leg. alleg., iii, 25, t. i, p. 102, 103, etc. D’autres ressemblances sont purement verbales, Heb., iv, 12, et Quis rer. divin, hœres, 48, 1. 1, p. 506 ; Heb., iii, 5, et Leg. alleg., iii, 81, 1. 1, p. 132 ; Heb., v, 8, et De agricult., 23, t. i, p. 315, etc. Rien n’autorise à supposer un document antérieur auquel les deux auteurs auraient puisé chacun de leur côté. Plusieurs savants en concluent que le rédacteur de VÉpitre aux Hébreux connaissait plusieurs traités de Philon. Quoi qu’il en soit, il ne dépend de lui en aucune manière pour le fond même des idées. Pour éviter toute confusion entre sa doctrine et celle de Philon, il s’abstient même d’employer le nom de Logos et fait du Christ le Fils même de Dieu. Voir Hébreux (Épitre aux), t. iii, col. 543, 544. Cf. Petau, De incarn. Verbi, XII, xi, 1, 2 ; Siegfried, Philo von Alexandria ah Au$leger des Alten Testaments, Iéna, 1875, p. 321-330. Il faut de plus observer que la plupart des ressemblances entre les écrits de Philon et des Epîtres de saint Paul s’expliquent par le livre de la Sagesse et parce que ces idées étaient devenues courantes dans les milieux juifs.