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PHILON


tions, frappées d’admiration, les renverront tous dans leur pays, où le sol se couvrira de moissons spontanées, pour que les saints ne soient pas détournés de leur contemplation. Une nombreuse postérité et une longue vie leur seront alors accordées. On reconnaît ici les idées millénaristes familières aux coreligionnaires de Philon. Cf. Dôllinger, Paganisme et judaïsme, trad. J. de P., Bruxelles, 1858, t. iv, p. 249-262 ; Drummond, Philo Judseus or the Jewish-Alexandrian Philosophy, Londres, 1888 ; Schûrer, Geschichte, t, iii, p. 542-562, et les auteurs qu’il cite ; Ed. Herriot, Philon le Juif, Paris, 1898 ; J. Martin, Philon, Paris, 1907.

On voit comment Philon, qui se pique de philosophie et de littérature, utilise les philosophes grecs avec un parfait éclectisme. « Il emprunta, sans choix, à chaque philosophe, les théories purement physiques… Mais comme Philon vénérait les philosophes et que son orthodoxie n’était pas toujours assez avisée, il n’arrivait pas à bien discerner chez les philosophes leur réelle doctrine. Il lisait le Timée, et c’était avec une admiration et un respect presque aussi absolu que s’il s’était agi de la Genèse. Donc, dans ses ouvrages, il mêle au hasard l’enseignement de la Bible avec celui des philosophes ; il garde avec une parfaite quiétude toute son orthodoxie ; et lorsque, à propos de Dieu, de la création et de la providence, l’enseignement des philosophes ruinerait celui de la Bible, Philon n’aperçoit pas la contradiction ; il n’a jamais conscience que le Timée ne s’accorde pas avec la Genèse ; il n’a jamais songé ; à se demander si l’accord existe. Il a passé sa vie à lire les philosophes, et on peut bien affirmer qu’il ne les a jamais compris, et que jamais non plus le souci de choisir dans leurs œuvres les vérités qui s’y trouvent, et de faire servir toutes ces vérités à l’éclaircissement du dogme, n’a guidé son étude. » J. Martin, Philon, p. 42, 43. « La philosophie de Philon est si fuyante et si incertaine, que l’on hésite toujours à en trop presser les maximes. » Lebreton, Les théories du Logos, p. 88. À l’égard des doctrines bibliques, il prend des libertés bien autrement répréhensibles. Ses théories sur les êtres intermédiaires et sur le Logos, sur l’existence de la matière indépendamment de Dieu, sur l’impossibilité où est Dieu d’agir directement sur elle, sur sa nature essentiellement mauvaise, sur l’origine des âmes et la formation de l’homme, sur l’extase et l’obtention sur terre de la vue de Dieu, sont en contradiction formelle avec la doctrine des Livres Saints. « Philon ne voit pas comment la doctrine enseignée dans la Bible montre, dans des faits concrets, très différents de vaines allégories, la toute-puissance absolue d’un Dieu maître et père de l’homme. Il ne voit pas que l’intervention de Dieu au début de l’histoire présage une autre intervention encore : il ne voit pas le dogme de la chute et la promesse du Rédempteur. Le messianisme est l’aboutissement du judaïsme ; le messianisme ne tient aucune place dans la pensée de Philon. Si son âme est restée religieuse, l’idée grecque a dissous en lui la foi juive. » A. Dufourcq, L’avenir du christianisme, Paris, 1904, p. 87. Il esta croire que la plupart des écrits de Philon étaient composés quand Jésus-Christ prêcha son Évangile. On ne peut donc dire si le silence qu’il garde à son sujet provient d’un parti-pris ou d’une inattention assez explicable de sa part. On sait que Josèphe, écrivant un demi-siècle après lui, a probablement gardé le même silence. Voir t. iii, col. 1516.

IV. Son exégèse. — 1° Son texte biblique. — Philon interprête la Bible exclusivement d’après la traduction des Septante. Il avait certainement la connaissance de l’hébreu, comme le montrent ses étymologies des noms ; celles-ci sont souvent fort arbitraires, mais Philon ne dépasse pas sur ce point ce que se permettaient les docteurs palestiniens. Pour lui, l’Écriture est inspirée ;

les oracles que contient le Pentateuque ont pour auteur, les uns Dieu lui-même immédiatement, les autres le prophète qui est l’instrument de Dieu. Dieu d’ailleurs ne parlait pas lui-même ; il se contentait de former dans l’air les syllabes. Philon considère la version des Septante comme reproduisant l’hébreu avec une exactitude rigoureuse, au point qu’on peut regarder les traducteurs comme de vrais prophètes. C’est lui qui prétend que les traducteurs, comme s’ils eussent été inspirés, rendirent tous l’hébreu par des expressions identiques, bien qu’ils travaillassent séparément. Il ajoute qu’en mémoire de ce fait, on célébrait chaque année, dans l’île de Pharos, une fête qui attirait à la fois les Juifs et les Grecs, Cf. Vit. Mosis, ii, 5-7, t. ii, p. 139-140. Cependant, il n’indique pas le nombre des traducteurs, et laisse entendre que ces derniers n’ont travaillé que sur le Pentateuque. On comprend que, dans ces conditions, il ne fasse pas de différence, au point de vue de l’inspiration, entre le texte de la version grecque et le texte hébreu. Il y a lieu toutefois de se demander comment il a pu, s’il savait l’hébreu, affirmer une exactitude de traduction qui n’existe pas. Sur le texte des Septante dont se sert Philon, cf. Schûrer, Geschichte, t. iii, p. 489. — 2° Son allégorisme.

— Philon avait eu des devanciers dans l’emploi de la méthode allégorique. Plus de quatre siècles avant lui, les philosophes grecs avaient commencé à réduire leurs mythes religieux à de simples allégories, afin d’en pouvoir fournir une explication plus rationnelle et d’empêcher le peuple de se prévaloir des exemples scandaleux des dieux. Théogène de Rhegium, Heraclite, Métrodore de Lampsaque s’appliquèrent à donner aux légendes de la mythologie grecque des interprétations physico-allégoriques. Cf. Tatien, Orat., 27, t. vi, col. 864. Les stoïciens Zenon, Cléanthe, Chrysippe, adoptèrent les mêmes procédés d’interprétation, cf. Cicéron, De nat. deor., iii, 24, malgré les protestations de Platon et d’Isocrate. Cf. Dôllinger, Paganisme et judaïsme, t. ii, p. 48-50, 141, "142 ; Decharme, La critique des traditions religieuses chez les Grecs, Paris, 1904, p. 270-355. À Alexandrie même, la mythologie égyptienne avait été l’objet de semblables interprétations de la part des philosophes grecs. On voit, au début du traité de Plutarque sur Isis et Osiris, comment chaque école prétendait retrouver dans les légendes égyptiennes ses principes et sa doctrine. Les Juifs eux-mêmes y voyaient quelque chose de leurs croyances et de leur histoire. Cf. De 1s. et Osir., 31. L’idée d’imiter ce procédé d’interprétation devait venir naturellement aux Juifs hellénistes, désireux de faire accepter par le monde grec les récits merveilleux de la Bible. Sans nier la valeur historique de ces récits, qu’on ne pouvait assimiler aux mythes grecs, ils s’efforcèrent de les interpréter comme des allégories scientifiques ou morales. Ainsi Aristobule allégorisa, à l’usage de Ptolémée VI, les anthropomorphismes du Pentateuque, et Aristée faisait remonter à Moïse lui-même les principes de l’allégorisme. Cf. Eusèbe, Preepar. evang., viii, 9, t. xxi, col. 636. Voir Aristobule, 1, t. r, col. 964 ; Alexandrie (École exégétique d’), t. i, col. 360. Les thérapeutes étaient des allégoristes. « Ils interprètent la loi mosaïque allégoriquement, persuadés que les mots de cette loi ne sont que les signes et les symboles de vérités cachées. De plus, ils possèdent des écrits d’anciens sages, fondateurs de leur secle, qui leur ont laissé beaucoup de monuments de la sagesse allégorique dont ils font leurs modèles… La loi entière leur apparaît comme un être organique, qui aurait pour corps le sens littéral, et pour âme le sens caché ». Philon, De vit. contempl., 3, t. ii, p. 475, 476. Cf. Karppe, Étude sur les origines et la nature de Zohar, Paris, 1901, p. 15-17. Les Juifs palestiniens cultivaient eux-mêmes le genre allégorique dans leurs Mi-