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PHILON


une description de la vie des thérapeutes, qui avaient transporté l’essénisme aux environs d’Alexandrie. Eusèbe pensait que ces contemplatifs étaient des chrétiens, disciples de saint Marc. Saint Jérôme le croit aussi, et à leur suite, beaucoup d’auteurs l’ont admis. Cf. Montfaucon, Le livre de Philon de la vie contemplative, Paris, 1709. On fait valoir contre l’authenticité de l’ouvrage que Philon ne fait allusion à cette colonie de thérapeutes dans aucun autre endroit de ses écrits, que le persiflage du Banquet de Platon qu’on y rencontre, De vit. contempl., 7, ne concorde guère avec l’admiration professée par Philon pour le grand philosophe grec, que l’ascétisme décrit dans cet ouvrage n’est, à proprement parler, ni juif, ni chrétien, etc. Néanmoins, ces raisons ne sont pas absolument convaincantes, et l’authenticité du traité a encore, parmi les modernes, de nombreux partisans, tels que Delaunay, dans la Revue archéologique, t. xxii, 1870, p. 268-282 ; t. xxvi, 1873, p. 12-22 ; Renan, dans le Journal des savants, 1892, p. 83-93 ; Massebieau, dans la Revue de l’histoire des religions, t. xvi, 1887, p. 170-198, 284-319 ; Conybeare, Philo about the contemplative Life, Oxford, 1895 ; Wendland, Die Therapeuten und die philonische Schrift, dans le Jahrb. fur class. philol., 1896, p. 695772, etc. On remarque surtout l’analogie que présente ce traité avec les autres écrits de Philon au point de vue de la langue et des idées, de sorte que la thèse de l’authenticité paraît en somme mieux établie que la thèse contraire.

v. œuvres apocryphes. — Sont considérés comme inauthëntiques les ouvrages suivants, ordinairement attribués à Philon : 1. De l’incorruptibilité du monde, t. ii, p. 487-516, qui soutient la thèse de l’éternité du monde. — 2. Du monde, t. ii, p. C01-624, compilation tirée des autres écrits de Philon. — 3. Sur Samson et sur Jonas, seulement en arménien et en latin. — 4. Interprétation des noms hébreux, œuvre probablement anonyme attribuée à Philon par Origène, au témoignage de saint Jérôme, Lib. de nomin. hebraic., t. xxiii, col. 771, qui juge à propos de la refondre totalement et de la compléter. — 5. Livre des antiquités bibliques, qui raconte l’histoire biblique d’Adam à Saûl. Le texte latin suppose un texte grec, qui lui-même suppose un original hébreu. Cf. Massebieau, Le classement des œuvres de Philon, dans la Bibliothèque des hautes études, Scienc. relig., t. i, 1889, p. 1-91. — 6. Abrégé des temps, postérieur à Philon. — En outre, sont perdus vingt et un livres mentionnés par Philon lui-même ou cités par des auteurs postérieurs. — La meilleure édition complète des œuvres de Philon était celle de Mangey, Londres, 1742, 2 in-f° ; elle sera désormais remplacée par l’édition critique, en cours de publication, de Cohn et Wendland, Berlin, 1896-1906, t. i-v. La traduction latine a été faite par Sigismond jGelenius, Bâle, 1554 ; une traduction française a été publiée par Bellier, Paris, 1588, et revue par Morel, Paris, 1612. Cf. Schûrer, Geschichte des jûdischen Volkes im Zeit. J. C, Leipzig, t. iii, 1898, p. 487-542, qui donne toute la bibliographie concernant Philon. On voit que l’écrivain juif s’occupe surtout du Pentateuque. On peut dire que les trois quarts de son œuvre s’y rapportent. Il ne cite d’ailleurs que fort peu les autres Livres sacrés. — Dans la plupart de ses écrits, Philon est assez médiocre écrivain. Sa composition est lâche, avec des longueurs et des répétitions ; les idées sont souvent confuses, formulées sans clarté ou imparfaitement exposées ; l’abus des métaphores contribue à rendre la pensée plus indécise. Philon n’est pas un écrivain châtié ; c’est un penseur assez superficiel qui se contente d’écrire comme il parle.

III. Ses doctrines. — I. leur source. — La formation intellectuelle de Philon se montre à la fois juive et grecque ; mais c’est surtout le philosophisme grec qui

dirige sa pensée. Il connaît et cite les grands poètes, Homère, Euripide et les autres. Platon est pour lui 1& maître « sacré » par excellence, hpiitaioi, cf. Quod omnis probus liber, t. ii, p. 447, et saint Jérôme, De vir. ill., 11, t. xxiii, col. 629, transcrit le dicton qui courait à ce propos parmi les Grecs : « C’est ou Platon qui philonise ou Philon qui platonise. » Il appelle-Philon un « Platon juif », Epist. lxx, 3, t. xxii f col. 666. Cf. Epist. xxii, 35, col. 421. Aux yeux de Philon, Parménide, Empédocle, Zenon, Cléanthe sont deshommes divins. Cf. De Provid., ii, 48. Il est également pythagoricien, cf. Clément d’Alexandrie, Strom., i, 15 r 72 ; ii, 19, 100, t. viii, , col. 767, 1039 ; Eusèbe, H. E., ii, 4, 3, t. xx, col. 148. Les récentes études sur la philosophie stoïcienne démontrent que Philon a emprunté à Zenon et à son école la théorie de la nature à la fois providence, juge, cité universelle, dont Moïse et le grand-prêtre sont les citoyens par excellence. De septemar. , t. ii, p. 279 ; De monarch., t. ii, ç. 227. Cf. Hans von Arnim, Quellensludien zu Philo von Alexandria, Berlin, 1880, p. 101-140 ; Massebieau, Le classement, p. 11-12. « Philon doit à sa foi juive les croyances religieuses qui orientent sa pensée : la transcendance divine, la nécessité d’un intermédiaire par qui Dieu agit et se manifeste ; il a reçu de Platon les spéculations brillantes qui la dominent ; la théorie des idées, l’exemplarisme, mais c’est aux stoïciens qu’il emprunte toute la charpente qui la soutient, c’est-à-dire toute sa théorie sur le monde, sur sa constitution intrinsèque sur le rôle qu’y jouent la raison et la loi. » J. Lebreton ; Les théories du Logos au début de l’ère chrétienne, Paris, 1906, p. 70. Cependant, au-dessus de tous les philosophes, il place Moïse, auquel tous, d’après lui, ont emprunté ce qu’ils ont de vrai. Cette idée avait été formulée, avant Philon, par Âristobule, 170-150 avant J.-C, cf. Clément d’Alexandrie, Strom., v, 14, 97, t. ix, col. 145, voir Aristobule, t. i, col. 964, et même par Hermippe Callimaque, 246-204 av. J.-C, cf. Origène, Cont. Cels., i, 15, t. xi, col. 682. Philon la reproduit, Vit. Mosis, t. ii, p. 163, et Josèphe, Cont. Apion., i, 22 init., la reprend à son tour. Pour Philon, la Loi de Moïse est l’expression parfaite de la sagesse divine ; elle est la seule source de toute philosophie, ’c’est à cette source qu’ont puisé tous les grands penseurs grecs. Pour justifier ce système, Philon voit surtout dans l’Écriture des allégories, ce qui lui permet d’y retrouver les doctrines les plus variées de la philosophie grecque. En réalité, il prête à l’Écriture les idées que sa culture grecque lui suggère. C’est le triomphe de l’hellénisme, dont il croit faire une doctrine essentiellement mosaïque. Juif et Grec à la fois, Philon s’imagine réaliser ainsi l’unité de deux civilisations et de deux peuples. Pour lui, comme bientôt après pour saint Paul, « il n’y a pas de différence entre le Juif et le Grec. » Rom., x, 12. Seulement l’Apôtre parle ainsi parce que le même Christ est devenu le Seigneur de tous, tandis que Philon, qui ignore totalement l’enseignement et l’action du Christ, pourtant son contemporain, n’a réalisé qu’une vaine et superficielle tentative. Les éléments si divers qu’il combine ensemble n’arrivent à former qu’une unité factice. Voici quelles sont ses idées principales :

u. DIEU. — Dieu est l’absolu par essence ; il est éternel, immuable, simple, libre, se suffisant à lui-même. Il est le souverain bien, la souveraine beauté, la souveraine unité. Il est àirotoc, sans propriété particulière, sans itoiôTYic, c’est-à-dire sans qualité positive qui le détermine ou le limite. On peut dire qu’il est, mais non ce qu’il est. Il n’est cependant pas une abstraction ; il jouit d’une personnalité absolue, qui réunit en elle toute perfection.’m. les êtres intermédiaires. — Dieu, étant l’être absolu et immuable, ne peut entrer en rapport avec le monde changeant et imparfait. Il y a donc des êtres