Page:Dictionnaire de la Bible - F. Vigouroux - Tome V.djvu/1143

Cette page n’a pas encore été corrigée
2229
2230
TIMOTHÉE (PREMIÈRE ÉPITRE A)


qu’au commencement de ses missions. À mesure que le nombre des Églises augmentait, il devait laisser aux autorités locales une plus grande part d’initiative et de responsabilité. L’éloignement, par le fait de sa captivité à Rome, dut encore élargir les pouvoirs de ces collèges de prêtres ou épiscopes. Enfin quand l’Apôtre, à la veille de son martyre, eut à régler le sort de ses chères Églises, il dut se préoccuper de la consolidation de son œuvre et, particulièrement, de la transmission de son autorité apostolique à ses deux principaux disciples, I Tim., vi, 20 ; II Tim., i, 12, 14, et aux chefs préposés aux centres de croyants. Tout cela explique, dans une grande mesure, les nuances qu’on signale au point de vue hiérarchie et discipline ecclésiastique, entre les premières et les dernières Epitres de saint Paul. Que le progrès de la hiérarchie soit en raison inverse de celui des charismes, cela n’a rien d’étonnant pour qui sait comprendre que ces dons spirituels ont dû, pour ne pas devenir un danger, se discipliner peu à peu et céder le pas à l’autorité des pasteurs. À Gorinthe, Paul esquisse déjà ce mouvement. Les charismes sont pour lui un phénomène transitoire qu’il faut toujours subordonner à l’utilité générale de l’Église. Il est à observer qu’à la période de diffusion de l’Évangile dans les principaux centres de l’Empire romain, a dû succéder une période d’organisation. Le personnel itinérant et missionnaire, apôtres, prophètes, évangélistes, didascales, s’est fixé dans certaines Églises et y a occupé des fonctions hiérarchiques. On pourrait se faire une idée de cette transformation progressive dans ce qui se passe encore aujourd’hui, lorsqu’un vicariat apostolique, en pays de mission, se change en diocèse régulier et en acquiert les cadres et les organes essentiels. Dans les Pastorales, la hiérarchie n’a pas encore le développement qui se remarque dans les Constitutions apostoliques ni même dans la Didascalie des Apôtres, où l’on parle déjà du lecteur et du sous-diacre. Les termes désignant les principales fonctions ecclésiastiques, ’ETct’eraowoc, izpeoëûrspoc, ôiàxovo ; , sont dans les Épitres antérieures de saint Paul avec le même sens et la même portée. Ces lettres précèdent donc l’époque où s’est formée la terminologie hiérarchique. Cf. Prat, La théologie de saint Paul, t. i, p. 488.

IV. Circonstances invraisemblables. — On relève, dans le contenu des Pastorales, une foule de détails qui semblent incompatibles soit par rapport à l’auteur supposé, soit par rapport aux personnages auxquels il est censé avoir écrit ces diverses Épîtres. On signale, notamment, les inscriptions solennelles de ces Épitres, qui contrastent si fort avec celle de la lettre àPhilémon, quoique pourtant Paul ait été moins intime avec Philémon qu’avec Tite et Timothée, on s’étonne des développements dans lesquels entre saint Paul touchant son apostolat, I Tim., i, n ; ii, 7, comme si Timothée avait besoin, pour croire à la mission de son maître, d’une attestation de ce genre. On se demande pourquoi cette énumération de vertus, II Tim., iii, 10, 11, sous la plume de l’Apôtre, avec un ton de panégyrique auquel on n’était pas habitué. Phil., iii, 12. On n’est pas moins surpris de le voir si assuré du salut final, II Tim., IV, 8, alors qu’auparavant, I Cor., IV, 3, 4 ; ix, 27, il redoutait les jugements de Dieu ; on ne s’explique pas sa bienveillance pour les autorités romaines, I Tim., ii, 2, qui n’a vraiment pas de sens si on l’applique aux dernières années de Néron. À remarquer aussi la citation empruntée au troisième Évangile et prise sur le même pied d’autorité et de canonicité que les paroles mêmes du Deutéronome, -I Tim., v, 18 ; Luc, x, 7 ; la doctrine sur le mariage, I Tim., 11, 15 ; iv, 3 ; v, 41, contraire aux principes habituels de Paul en cette matière, I Cor., vii, 8 ; le manque de salutations personnelles pour les Éphésiens parmi lesquels il comptait tant d’amis !

Le titre d’  « Apôtre » mis en tête des trois Épitres et revendiqué quelques versets plus loin, ITim., ii, 7 ; II Tim., i, 11, sous la foi du serment, étonne sans doute quand on songe que Timothée était bien le dernier des hommes qui pût en douter, lui qui, depuis près de quinze ans, partageait les travaux de saint Paul. Seulement, on a peut-être tort de voir toujours une intention apologétique dans l’emploi d’un mot qui, à force d’être répété dans les lettres, était devenu comme inséparable de ses correspondances. II n’y a pas lieu non plus d’être choqué des soi-disant louanges que l’Apôtre est censé se donner à lui-même. Ne lui était-il pas permis ici, comme dans ses précédentes lettres, II Cor., vi, 416 ; Phil., iii, 17 ; iv, 8, 9, de rappeler ses lettres et ses travaux ? Ne s’était-il pas déjà proposé ailleurs comme un modèle à suivre ? I Cor., xi, 1. On connaît, au reste, le correctif d’humilité qu’il ajoute, d’ordinaire, à ce genre de déclarations. I Cor., xv, 10. La certitude où il se trouve sur la fin de sa carrière, par rapport au salut, n’a rien qui doive surprendre. Cette confiance pouvait lui venir, à la veille de sa mort, d’un coup d’œil gêné rai embrassant toute sa vie apostolique. L’historien n’a qu’à enregistrer l’aveu de Paul sans le révoquer en doute.

L’avis de prier pour ceux qui détiennent l’autorité souveraine ne fait que confirmer l’attitude de l’Apôtre envers le pouvoir civil, quel qu’il soit. Ses principes, à cet égard, ne dépendaient en aucune manière de la conduite des gouvernants. Il voyait en eux des dépositaires de l’autorité divine, Rom., xiii, 6 ; cela lui suffisait pour établir des règles de respect, de gratitude envers eux. La vue des désordres et des cruautés qui marquèrent la fin du règne de Néron ne pouvait rien changera cette manière de voir, pas plus que le souvenir des folies sacrilèges de Caligula n’avait pas empêché d’écrire le chap. xm de l’Épître aux Romains. La maxime que l’auteur de la I re Épltre à Timothée (v, 18) place à la suite d’une citation du Deutéronome n’est pas nécessairement tirée du troisième Évangile : elle pouvait faire partie de ces paroles de Jésus que la tradition gardait avec un soin jaloux et qui allaient être bientôt fixées par écrit, si elles ne l’étaient déjà en bonne partie. Le même fait s’observe dans I Cor., IX, 14. Dans les deux cas, le mot ypatpr) ne s’applique qu’à l’Ancien Testament, nullement aux sentences parallèles empruntées au Sauveur Jésus. On ne saurait sérieusement opposer les enseignements de saint Paul sur le mariage, tels qu’ils se rencontrent dans les Pastorales, I Tim., ii, 15, avec la doctrine de I Cor., vu. Les circonstances sont, en effet, tout à fait différentes. Ici, on compare le mariage et le célibat, là on oppose au désir frivole d’enseigner qui tourmente certaines femmes les graves devoirs de la vie domestique qu’impose à chacune d’elles la nature de son sexe.

L’absence des salutations pour les principaux membres de l’Église d’Éphèse vient probablement du caractère intime et privé de la lettre tout entière, qui ne devait pas être lue en public. Si l’Epître à Tite, au contraire, se termine par une salutation aux Églises de Crète, c’est parce que les directions apostoliques qu’elle renfermait visaient plutôt la conduite des membres de la communauté que celle de Tite lui-même.

V. Divergences doctrinales. — Les idées théologiques des Pastorales représentent, d’après la majorité des critiques, un système doctrinal très différent de celui des autres Épitres pauliniennes. Cela est particulièrement sensible dans les points de dogme qui sont communs à ces deux sortes d’écrits, ce qui témoigne qu’ils ne peuvent être sortis d’une seule et même plume. Ainsi la « foi » qui, dans les précédentes lettres de Paul, désignait presque toujours un sentiment subj jectif, prend désormais le sens objectif, c’est-à-dire ce qu’il faut croire. Ce n’est plus la foi qui croit, mais celle