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TIMOTHÉE (PREMIÈRE ÉPITRE A)


passages l’origine des idées gnostiques qui prévalurent au second siècle ? » On sait, en effet, que le gnosticisme, qui a pris une si grande extension durant l’âge postapostolique, ne peut être localisé dans un seul pays d’origine ni dans une époque déterminée. Ses racines se prolongent jusqu’à l’ère apostolique. On observe, d’autre part, que le danger qu’offraient les faux docteurs ici en cause était plutôt d’ordre moral (itovïjpoi avBptoTtoi, cf. II Tim., iv, 3 ; II, 25 ; iii, 2-7 ; I Tim., vi, 4) que d’ordre dogmatique. Aussi l’auteur des susdites Épîtres ne se perd-il pas contre eux en discussions théoriques. Il flagelle leurs vices et leurs dérèglements. Aux membres de l’Église, il trace, pour les mettre en garde contre de tels exemples, une règle de conduite à l’opposé de ces lamentables excès. De là, ces conseils de tempérance, de modération, de justice, de chasteté, de modestie, de désintéressement, d’honnêteté, qui constituent la partie marquante de ce groupe de lettres.

Au point de vue de l’enseignement doctrinal, voici les traits fondamentaux qu’on a pu recueillir. Les fausses théories contre lesquelles l’auteur met en garde ses disciples et leur ordonne de combattre présentent diverses faces. D’abord elles sont essentiellement juives d’origine et de tendance. Ceux qui les exposent se paient du titre de vouoSiSâaxaXoi, I Tim., i, 7 ; ils appartiennent au parti de la circoncision, Tit., i, 10 ; ils aiment les disputes de la casuistique d’école, [i.â-/ai vou.ixaî, Tit., iii, 9, discutent sur les mythes juifs, ’IouSaïxol nûôoi, les traditions rabbiniques, èvroXai àvOptûiTwv, Tit., i, 14 ; ce sont des ennemis déclarés de saint Paul ; ils nient ou mettent en doute son apostolat. I Tim., i, 1, 20 ; ii, 7. Ce judéo-christianisme n’est pas celui que l’Apôtre a combattu dans ses grandes Épltres, c’est-à-dire le pharisaïsme légal ; ce n’est pas non plus l’essénisme asiatique et mystique des Épîtres aux Colossiens et aux Éphésiens ; c’est une forme de judaïsme qui affecte une tournure puérile et fait penser aux fables et aux extravagantes histoires du Talmud. Ce sont des contes de vieilles femmes, |j.û801 ^patiSs^, I Tim., iv, 7, des fables profanes péérjXot des généalogies interminables, YsveaXoyiat àirépavtoi, des disputes vides de sens, tiwpai ÇïjTï|<j-etç- ITim., ii, 23 ; Tit., iii, 9, des batailles de mots, XoYO|/.ax ! ’a'- I Tim., vi, 4. On peut avoir un exemple de ce fatras de mythes et de légendes dans le livre d’Enoch, le livre des Jubilés et le traité d’Antiquités bibliques attribué à Philon. Hort, Judaïstic christianity, p. 130-146. L’histoire des patriarches y est la base habituelle des contes les plus fantastiques. À ces vaines et creuses spéculations se mêlait un ascétisme exagéré, imposant des abstinences, I Tim., iv, 1-4, établissant de rigoureuses distinctions entre les choses pures et impures, condamnant le mariage, I Tim., i, 4, 6, 7 ; iv, 3, 4, 7 ; II Tim., iii, 1-9, et favorisant, par contre, une licence de mœurs révoltante. C’est de ce côté surtout que l’affinité serait plus apparente avec le gnosticisme. Cf. Clément d’Alex., Stron)., Hl, 3 ; t. viii, col. 1114 ; Tertullien, Adv.Marc, 1, 14, t. ii, col. 262 ; S.Irénée, fîœr., i, 28, t. vii, col. 690. Le but pratique de ces théories malsaines, c’est un gain sordide, Tit., i, 11, ala-/po-j xipSouc "/ « P’v, ’I Tim., VI, 5, voeuÇovtmv Tropurp-bv gtvai ttjv eùtréëeiav ; c’est même la débauche, pénétrant domos et captivas ducunt mulierculas oneratas peccatis. II Tim., iii, 6. Bien que l’apparition de ces faux docteurs semble être réservée à un avenir plus ou moins éloigné, en ce qu’elle est mise en rapport avec des prédictions relatives aux derniers temps, ï(s%cnai riu-spai, II Tim., iii, 1 ; êv ierrâpotç xaipoîç, I Tim., iv, 11, il n’est pas nécessaire de croire ici à une pure prédiction, mais à une conjecture fondée sur l’état de choses actuel, que l’imminence de la Parousie ne peut qu’aggraver, puisque alors doivent paraître tant de faux prophètes.

Matth., xxii, 24. Il n’y a donc en résumé, dans l’analyse des erreurs qui viennent d’être examinées, aucun motif absolu de chercher les personnes ou les tendances combattues dans ces Épîtres à une grande distance de l’époque apostolique proprement dite, et, en particulier, parmi les divers systèmes gnostiques du n « siècle. L’opinion qu’on se forme là-dessus résulte, d’ordinaire, de celle qu’on a déjà sur l’authenticité de ces Épîtres. Dans ce large syncrétisme d’idées juives, grecques, orientales, esséniennes, gnostiques qui faisaient le fond de ces doctrines étranges, il y a place pour tous les rapprochements, pour toutes les analogies, pour toutes les suppositions.

III. Organisation ecclésiastique. — Les progrès qui, d’après les Epîtres pastorales, se sont accomplis par l’Église dans la discipline et la hiérarchie, fournissent aux adversaires de l’authenticité un de leurs plus spécieux arguments. Ils commencent par faire observer que les idées de l’âge apostolique sur la proximité de la Parousie paraissent mal s’harmoniser avec des règles destinées à assurer l’avenir des Églises après la mort de Paul. Ces préoccupations, disent-ils, se comprennent mieux sur le seuil du second siècle, alors que les espérances sur la fin du monde et la grande apparition messianique s’éloignaient. L’Église dut alors songer à s’organiser pour durer. On sentit le besoin d’institulions stables et de lois proprement dites, condition essentielle de vie pour toute société humaine. Pour leur donner plus de crédit on s’imagina qu’elles avaient été établies par les Apôtres. Toute une littérature s’employa à fortifier cette idée dans les esprits. On en retrouve les principaux fragments, remaniés et délayés dans les Constitutions apostoliques, les canons des Apôtres, les lettres d’Ignace. Or, les Épitres pastorales ont avec ces divers écrits une affinité tangible de fond et de forme. Il suffit, pour les saisir, de mettre sur une même page, les prescriptions des Pastorales et de la Didascalie des Apôtres, relatives à la hiérarchie ecclésiastique. Les Épltres à Tite et la première à Timothée auront été composées pour couvrir de l’autorité de Paul le mouvement vers la hiérarchie et l’épiscopat unitaire qui, sous la poussée des hérésies, devenait, pour l’Église, la seule garantie de vivre. Pour le prouver, on compare les mots et les idées de l’Apôtre touchant l’Église et ses institutions hiérarchiques d’après les lipitres certaines, I Cor., xii-xiv ; xvi, 16 ; Rom., xii, 8 ; IThess., v, 12, 13, et d’après les Pastorales, d’où il ressort une diversité de conceptions nettement tranchée. Cf. sur ce point Holtzmann, Einleit., p. 290 sq. On fait, en outre, observer que ces écrits se rapprochent plutôt des lettres de saint Ignace, dont le thème invariable porte, comme les Épîtres à Tite et à Timothée, sur le choix des prêtres et des évêques.

La croyance à l’approche de la Parousie n’a pas empêché les Apôtres de donner, dès le commencement, aux communautés nouvelles une organisation locale. Ainsi, dans leur première mission, Paul et Barnabe, au témoignage des Actes, xiv, 23 (grec), établirent, partout où ils avaient réussi à fonder un noyau de croyants, des collèges d’anciens ou d’épiscopes. Aucune société, même purement démocratique, ne saurait d’ailleurs subsister sans une organisation et sans hiérarchie. Qu’il y ait eu, sur la lin de l’âge apostolique, une légère modification dans les formes et les conditions d’exercice de ces autorités locales, nul ne songe à le mettre en doute. Dans les sociétés comma dans les individus, la tête suit les progrès des autres parties du corps. Avec l’expérience et le temps — celle de saint Paul atteint avec les Pastorales une durée de presque trente ans — certaines mesures s’imposaient pour le gouvernement des Églises. L’autorité personnelle de Paul sur les communautés de son ressort ne pouvait plus s’exercer de la même manière, à la fin de sa vie