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TIMOTHÉE (PREMIÈRE ÉPITRE A)


précise et corrobore le document de Clément Romain. Trente ans plus tard, les Actes de Pierre, écrits d’origine gnostique, attestent que Paul est allé prêcher en Espagne, à la suite d’une vision. Pendant son absence de la Ville sainte, qui n’a duré qu’une année, Pierre vint de Jérusalem à Rome pour combattre Simon le Magicien et mourut avant le retour de l’Apôtre. Les Actes de Xantippe et de Polyxène, Apocr. aned., édit. James, 4893, i, 58-85, si étroitement apparentés aux Actes de Pierre, font également émigrer Paul de Rome vers l’Espagne pendant quelques mois, comme pour donnera Pierre le temps de venir d’Orientluttercontre son adversaire traditionnel, Simon de Samarie. Il n’est pas sûr qu’Origène, xiii, In Gen., t. xii, col. 233, ait parlé du voyage de Paul en Espagne, mais on en trouve une mention formelle dans saint Cyrille de Jérusalem, Cal., xvii, 26 ; xxviii, 9, t. xxxiii, col. 597 ; saint Épiphane, Hser., xxvii, 6, t. xli, col. 373, saint Éphrem, Expos, ev. concord., 286 : Paulus ab urbe Jérusalem usque ad Hispaniam [prxdicavit] ; saint Chrysostome qui avait lu de confiance les Actes de Paul, In Epist. Il adTim., Boni., x, 3, t. lxii, col. 659 ; etc. ; Théodoret, In Phil., i, 25, t. lxiii, col. 568.

Toutes ces dépositions venues de points si divers ne sauraient, du moins avec facilité, trouver leur raison suffisante dans l’exégèse du passage si connu, xv, 21, 28, de l’Épitre aux Romains, où l’Apôtre forme le projet d’aller en Espagne. Cela apparaîtra encore mieux si l’on observe qu’Eusèbe de Césarée, le premier auteur qui, dans l’antiquité, ait explicitement parlé des deux captivités de saint Paul, ne dit rien et ne paraît rien savoir de ce voyage oulre-monts. Même silence chez Euthalius (vers 350), qui compte dix ans entre les deux captivités. Il semble donc résulter des variantes mêmes de Ja tradition une donnée constante et apparemment solide, celle d’un intervalle plus ou moins long entre les deux captivités de l’Apôtre.

Peut-on, avec nombre d’auteurs, apporter à l’appui de cette conclusion la fin si brusque du livre des Actes ? Il est à craindre que ce nouvel argument n’ajoute pas grande lumière, soit que l’on suppose avec assez d’invraisemblance, il faut en convenir, que saint Luc ait eu l’idée de composer un troisième livre pour raconter lu suite de la vie de son héros (Ramsay, Saint Paul, p. 309 ; Spilta, Vie Apostelgeschickle, p. 318), soit qu’on place la rédaction des.Actes avant la mort de saint Paul. On peut croire, en effet, que ce silence — il y en a bien d’autres dans ce livre et non moins étonnants

— vient, comme les précédents, du plan même de l’ouvrage qui, tout en narrant les exploits apostoliques des Apôtres, n’avait cependant pas l’intention de faire des biographies, mais d’exposer la diffusion rapide de l’Évangile à travers le monde sous l’action divine de l’Esprit. S’il n’est pas fait mention de la mort de Paul, ce pouvait être parce que cet événement ne servait en rien à la thèse posée et que chacun avait dans la mémoire la façon dont s’était terminée cette vie incomparable-En résumé, tout compte fait, entre les deux opinions adverses sur les dernières années de l’Apôtre, on ne peut traiter de manifestement improbable celle qui, recueillant les divers échos du passé, croit y démêler l’attestation d’une activité postérieure au premier emprisonnement et pouvants’adapter à la situation historique des Pastorales. L’hypothèse du voyage de saint Paul en Espagne n’y contredit pas : elle aide plutôt à établir qu’on avait gardé à Rome le souvenir d’une période d’évangélisation entre les deux captivités. Quand même l’Apôtre aurait abandonné à Rome son dessein primitif de prêcher aux confins de la terre, réservant la fin de ses travaux aux Eglises d’Orient, il resterait, de cette persistance à imaginer son action en Espagne, le fait qu’on ne pouvait terminer par une seule captivité la fin d’une existence si active et limiter

à Rome ses derniers travaux apostoliques. Qu’on suppose maintenant, dans le même milieu, la certitude absolue de la façon dont Paul avait terminé sa vie, en l’expliquant par une exécution capitale, suite naturelle de son procès devant César, on aura à chercher l’origine commune de ces traditions.

II. Hérésies. — Les erreurs signalées par l’auteur des Pastorales ont exercé, dès le début, l’art divinatoire de la critique. Le terrain sur lequel se rejoignent toutes les conjectures imaginées dans ces derniers temps, c’est le fond de gnosticisme plus ou moins caractérisé que l’on s’accorde à identifier avec ces rêveries fantastiques. Les divergences — et ceia influe naturellement sur la date et l’origine des Épîtres controversées — portent sur les diverses formes de gnosticisme auxquelles répondent les indications que nous fournissent ces mêmes Épitres. Baur, Paulus, p. 110, essaya de prouver qu’on y trouvait les doctrines gnostiques du second siècle, particulièrement celles de Marcion. Il voyait dans l’expression J/EuSwvûftoy yvcôusmc, I Tim., VI, 20, l’appellation quasi officielle des théories marcionites et croyait découvrir jusque dans le terme àvT18£<j£iç, I Tim., vi, 20, le titre de l’ouvrage de Marcion sur les contradictions entre l’Ancien et le Nouveau Testament. D’autre part, les [niOoi xa YsvEaXoyfai, I Tim., IV, 7, rappelaient les doctrines émana tistes de la gnose. Déjà saint Irénée, Adv. hser., Prsef., i, t. vii, col. 23 ; Tertullien, Presser., 7, 16, 33, t. ii, col. 19, 29, 46 ; Adv. Valent., 3, col. 545 ; De anima, 18, t. iii, col. 678, et saintÉpiphane, Hxres., xxxiii, 8, t. xli, col. 587, avaient pensé, en lisant ces passages, soit à Marcion soit à Valentin ; ils y trouvaient longtemps écrite à l’avance, par l’Apôtre, la condamnation de ces dangereux hérétiques. L’objection capitale qui se présente comme d’elle-même en face de cette opinion, c’est le caractère judaïque de ces erreurs. Comment transformer Marcion et Valentin en scribes et en partisans de la Loi (vou.oS181<xxa).oi), des ennemis aussi déclarés.du mosaïsme ? Plleiderer et Holtzmann, pour parer l’argument, disent que le faussaire, afin de mieux couvrir sa pieuse fraude, aurait prêté à ses doctrines une couleur de judaïsme, Paul ayant forcément gardé quelque chose de sa lutte avec les judaïsanls, solution bien subtile et fort au-dessus de la moyenne des auteurs d’ouvrages apocryphes. Le sentiment de Baur est néanmoins adopté, avec des variantes, par de Wette, Zeller, Volkmar, Scholten, Pfleiderer, Krenkel. Ainsi Hilgenfeld et Davidson quittent Marcion et Valentin pour Saturnin et pour les marcosiens ; Lipsius et Schenkel ont songé aux Ophites ; Mayerhoff. à Cérinthe ; Michaëlis et Mangold, à des Esséniens christianisés ; Wieseler, à des néopythagoriciens ; Reuss et Néander, à des judaïsants influencés par le gnosticisme latent qui germait en Orient dès l’apparition du christianisme ; Otto et Doehne, au judaïsme alexandrin, nourri des idées de Philon et échafaudant, sur tes généalogies de la Genèse, des allégories spirituelles de toutes sortes. Suivant Godet, qui reprend à son compte l’hypothèse d’anciens critiques comme Grotius, Herder, Baumgarten, on aurait, dans les Pastorales, un spécimen anticipé de cette philosophie juive Bi étrange et si fantastique qui s’est développée si longtemps à côté de la Loi et qui n’a été fixée par écrit que beaucoup plus tard, sous le nom de Cabbale. Un choix ferme, parmi tant de divergences, est chose bien difficile. Et cela, pour deux raisons capitales : la première, c’es que les origines du gnosticisme sont très obscures ; la seconde, c’est que les erreurs désignées-là ne sont pas suffisamment caractérisées pour qu’on puisse les identifier avec tel ou tel système d’hérésie nettement connu. i Ne pourrait-on pas dire, avec Renan, qu’<c au lieu de rejeter l’authenticité des passages du Nouveau Testament où f’on a trouvé des traces de gnosticisme, il faut quelquefois raisonner à l’inverse et chercher dans ces