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TIMOTHÉE (PREMIÈRE ÉPITRE A)


de Paul captif. Paul ne traversa pas l’Archipel ; il ne put aller ni à Milet, ni à Troade, ni à Corinthe, la tempête ayant poussé le navire vers la Crète, puis sur Malte. Quant au* Épitres certaines de la captivité de Rome, celles aux Colossiens et aux Éphésiens, à Philémon, aux Philippiens, rien ne cadre entre la situation qu’elles reflètent et celle que suppose la seconde Épitre à Tiraothée. Essaiera-t-on avec plus de succès une conciliation enlre les Actes et l’Épitre à Tite ? Mêmes impossibilités. Selon les Actes, saint Paul ne fait que toucher la Crète, en naufragé et en prisonnier, non en fondateur d’Églises. La lettre, d’ailleurs, n’aurait pu être écrite qu’à Rome, en captivité. Comment Paul pourrait-il écrire qu’il a l’intention d’aller passer l’hiver à Nicopolis, voir iii, 12 ? Pourquoi ne fait-il aucune allusion à son état de prisonnier ? Ces incohérences obligent donc les défenseurs de l’authenticité à rejeter ces Épîtres en dehors du cadre des Actes. On a renoncé aux essais tentés par quelques exégètes, Bartlet, Apostolic âge, p. 179-182 ; Bowen, The dates of the Pastoral Epistles, Londres, 1900, pour intercaler les Pastorales dans la trame du livre des Actes. La seule voie possible paraît être de reporter la rédaction de ces trois écrits dans un période de la vie de Paul placée en dehors des Actes. L’Apôtre, après deux ans de captivité, aurait comparu devant Néron, aurait été acquitté et aurait repris, du côté de l’Orient, peut-être même de l’Occident, ses courses évangéliques. C’est durant cette ère de liberté qu’il aurait visité l’Archipel, revu Éphèse, la Macédoine, l’Achaïe, l’Épire. La première lettre à Timothée et celle à Tite dateraient de ce voyage. Revenu à Rome, Paul aurait été de nouveau incarcéré ; là, il aurait écrit sa seconde missive à Timothée et aurait, peu de temps après, subi le dernier supplice. L’historicité des Pastorales se trouve ainsi liée à la question de la seconde captivité de saint Paul, point d’histoire difficile à établir, il est vrai, mais ayant pour lui un ensemble de conjectures assez vraisemblables sans qu’il soit nécessaire, comme le pense B. Weiss, de tourner dans un cercle vicieux et de prouver l’authenticité de nos trois lettres par le second emprisonnement de saint Paul, et la réalité de celui-ci par l’existence de celle-là. Il faut, avant tout, convenir que la mention d’une seconde période active de saint Paul, au delà des Actes, n’est attestée formellement par aucun auteur antérieur au iv « siècle. Eusèbe de Césarée, H. E., II, xxii, 2, xx, col. 194, est le premier à parler en termes explicites d’une seconde captivité à Rome, en alléguant deux passages de la seconde Épitre à Timothée, iv, 6, 16-18. Puis viennent les témoignages divers de saint Jérôme. Le premier, où le voyage en Espagne est vaguement enveloppé dans l’expression : in Occidentis partibus^ De vir. ill., 5, t. xxiii, col. 615 ; le second, où l’auteur rapporte l’opinion des Nazaréens sur la prédication de saint Paul, In ls., viii, 23 ; ix, 1, t. xxiv, col. 123, 125 ; in terminos gentium et viam universi maris Christi evangeliumsplendu.it ; le troisième, où, parlant d’après ses propres idées, il dit, In ls., xi, t. xxiv, col..151 : Hic ltaliam quoqueel, ut ipse scribit, ad H ispanias alienigenarmn portalus est navibus ; le quatrième, Tract, de Ps. LXXXIU, Anecd. Maredsol., iii, 2, 805 : dsinde dicit quod de urbe Ronia ierit ad Hispaniam. Voici, par ordre, les indices d’après lesquels on peut conjecturer, faute de textes catégoriques, une seconde captivité de saint Paul à Rome : 1° Les espoirs de délivrance prochaine qui se font jour dans plusieurs Epîtres de la première captivité, notamment dans l’Épitre à Philémon, ꝟ. 22, surtout dans l’Épître aux Philippiens, i, 19, 25 ; ii, 21, espoirs qui ne paraissent pas être de simples désirs mais des conclusions sur la marche du procès. Les Actes, xxv, 25 ; xxvi, 32, laissent déjà entrevoir cette issue, en montrant combien Festus était favorable à l’Apôtre. Nul doute que son rapport à

l’empereur, pièce capitale de l’affaire en cours, n’ait conclu à l’innocence du prisonnier, xxvi, 32, aucun fait nouveau n’étant survenu, ni aucune nouvelle intrigue du côté de Jérusalem. Act., xxviii, 20. Le sanhédrin avait d’ailleurs suffisamment de difficultés, à ce moment-là, avec l’autorité romaine, pour perdre de vue son adversaire. On était proche des troubles qui amenèrent la guerre de Judée.

2° La tradition romaine d’un voyage de saint Paul en Espagne. Cette tradition semble attestée par le passage célèbre mais tant discuté (c. v) dans lequel Clément de Rome écrit : « Paul aussi a reçu le prix de la patience, ayant porté sept fois les chaînes, ayant été fugitif, lapidé, après avoir prêché la justice en Orient et en Occident, il a obtenu la noble renommée de sa foi. Après avoir instruit le monde entier dans la justice et être arrivé au terme de l’Occident (rlpy.* xïjç S-Jtr£t « >c) et avoir rendu témoignage devant les chefs, il a été retiré de ce monde et s’en est allé dans le saint lieu, étant devenu le plus grand modèle de constance. » Or, l’expression-tipua Trjç 8-j<te « ; , chez les auteurs grecs (Strabon, II, i ; Philostrate, Vilavpoll., , iv ; Appien, Proœm., 3 ; Hispan., 1 ; Eusèbe, Vila Const., i, viii, 2-4), servit à désigner l’Espagne. On objecte sans doute qu’en prenant Jérusalem pour point de départ de l’apostolat de Paul, Clément peut, se permettre une hyperbole oratoire, placer Rome aux confins de l’Occident, afin d’achever sa comparaison et assimiler la marche de l’Apôtre à celle du soleil. L’Occident, pour les Latins, commençait à la mer Adriatique et à la mer Ionienne. Appien, liell.civ., V, 64 ; Mommsen, iîes n’esta ? Augusti, p. 118. De la sorte on pouvait dire, à la rigueur, que Paul avait prêché dans les deux mondes, même s’il n’avait pas dépassé l’Italie. Mais, en regardant de plus près, dans son contexte, la valeur dumotxépua, il est difficile de ne pas lui laisser son acception première. L’intention de l’auteur, en l’adoptant, paraît être d’avoir voulu préciser la locution précédente « le monde entier » et marquer ainsi que la tâche de Paul avait atteint, avanlson martyre, une limite qu’elle ne pouvait dépasser. Le programme apostolique comportait d’ailleurs, comme l’indique l’Épître aux Romains, x, 18, complétée parxv, 24, 28, et II Cor., x, 16, l’évangélisation de l’Espagne, point terminus du monde connu. On conçoit mal que Clément de Rome, qui avait su les projets de l’Apôtre, eût osé dire que Paul avait instruit le monde entier et touché le terme de l’Occident, si en réalité les événements s’étaient opposés à l’exécution de ce dessein. Il faut songer que les lignes émanent d’un témoin oculaire et sont écrites trente ans après la mort de saint Paul, et à des gens qui avaient connu l’Apôtre et étaient au courant de sa vie et de ses travaux. Quelques auteurs, voir Zahn, Einleit., 3e édit., 1906, p. 449, insistent, en outre, pour établir une seconde captivité romaine, sur les sept emprisonnements mentionnés dans le même passage de la lettre de Clément, le 1 er à Philippes, le 2 « à Jérusalem, le 3e à Césarée, sous Félix, le 4e sous Feslus, le 5e en mer, le 6e à Rome (l re captivité), le 7e de nouveau à Rome (seconde captivité). Mais il y a suffisamment de parties solides dans la thèse exposée sans recourir à ces énumérations subtiles et un peu arbitraires. Beaucoup meilleur est l’appoint fourni par la phrase incorrecte et mutilée du Fragment de Muratori, ligne 37, que l’on peut traduire : « Comme Luc le montre lui-même avec évidence en omettant la passion de Pierre et aussi le départ de Paul pour l’Espagne. » L’auteur a voulu dire pour expliquer, sans doute, la fin si brusque des Actes, que saint Luc n’avait voulu raconter que des faits qui s’étaient passés en sa présence, raison inexacte, il est vrai, mais précieuse par la tradition dont elle se fait l’écho. On tenait donc pour certain à Rome, vers la fin du IIe siècle, le voyage de Paul en Espagne, ce qui