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PHARISIENS


. térisa si longtemps. Act., ii, 46-47 ; iii, 1 ; xxi, 20, etc. Ce fut un 1res grand danger pour l'Église au berceau. On s’aperçut bientôt que les pharisiens, en embrassant la religion du Christ, n’avaient pas dépouillé le particularisme qui était leur caractère dominant. L’assemblée des Apôtres à Jérusalem fut rendue nécessaire grâce à. leurs agissements ; tout fait penser que le conflit d’Antioche fut provoqué par eux, et l’on peut sans témérité les soupçonner d'être entrés dans les complots qui essayèrent d’entraver l'œuvre de Paul et l’admission des Gentils dans l'Église. Act., xv, 5. Cf. J. Thomas, L’Eglise et les judaïsants à Vd’ge apostolique, dans les Mélanges d’histoire et de littérature religieuse, in-8°, Paris, 1899, p. 1-196.

VI. Traits caractéristiques du pharisien. — « Enveloppée comme d’un étroit réseau par les six cent treize prescriptions du code mosaïque renforcées de traditions sans nombre, la vie du pharisien était une intolérable servitude. Les purifications rituelles prescrites à la suite des souillures que causait le seul contact d’objets impurs, remplissent plusieurs traités du Talmud : par exemple tout le sixième et dernier seder de la Mischna intitulé Teharôth et comprenant douze traités. Impossible de quitter sa maison, de prendre de la nourriture, de faire une action quelconque, sans s’exposer à mille infractions. La peur d’y tomber paralysait l’esprit et oblitérait le sens supérieur de la moralité naturelle. Toute la religion dégénérait en un formalisme mesquin. L’homme était tenté de se croire l’artisan de sa propre justice ; il ne devait rien qu'à lui-même ; il devenait le créancier de Dieu. À quoi bon le repentir, la prière ardente et humble, les soupirs vers le ciel du pécheur et du publicain ? N'était-il pas, lui, le juste qui jeûnait deux fois par semaine, le lundi et le jeudi, selon la coutume de sa secte, qui payait exactement la dîme de la menthe, de l’anis et du cumin, qui n’oubliait jamais aucun rite traditionnel ? Le pharisaïsme nourrissait l’amour-propre, la présomption et l’orgueil. Il fomentait aussi l’hypocrisie. L’idéal du pharisien était élevé, mais il n’avait pour l’atteindre que son orgueil. Ce mobile ne suffisant pas, sa seule ressource était dedissimuler ses défaillances et de les tourner en vertus devant le vulgaire ('am hâ-ârés), objet de ses craintes et de ses mépris. Quels stratagèmes decasuiste retors pour tempérer la rigueur du jeûne, pour modérer l’incommodité du repos sabbatique ! Ainsi le traité Erubin permet de placer un domicile fictif au terme du voyage autorisé un jour de sabbat pour le prolonger d’autant et d’unir fictivement plusieurs domiciles pour porter des aliments de l’un dans l’autre, sans enfreindre la loi du repos. » Voir F. Prat, Théologie de saint Paul, t.jtP- 33-34, et comparer Bousset, Die Religion des Juden l tums, Berlin, 1903, Vie Frommen, p. 161-168. Les prétentions exclusives des pharisiens à la justice légale, leur suffisance, leur présomption, leur ostentation, leur orgueil en un mot, ne sont guère contestés. Sur ce point, les accusations de l'Évangile et le réquisitoire de saint Paul (surtou t Rom., IX, 31-32 ; x, 1-4) se tro uvent pleinement justifiés. Mais il s’est trouvé des auteurs pour nier la sincérité du portrait que l'Évangile nous trace de leur hypocrisie. Il ne sera donc pas hors de propos d’en appeler à l’autorité du TalmUd qui est, comme nous l’avons dit, l'œuvre de pharisiens. Le Talmud de Jérusalem, aussi bien que celui de Babylone, distingue sept espèces de pharisiens dont la dernière seulement, ou tout au plus les deux dernières, sont exemptes de duplicité. Voici d’abord le passage du Talmud de Jérusalem, d’après M. Schwab, Traité des Berakholh, Paris, 1871, p. 171 : « Il y a sept pharisiens : 1° celui qui accepte la loi comme un fardeau ; 2° celui qui agit par intérêt ; 3° celui qui se frappe la tête contre le’murpour éviter la vue d’une femme ; 4° celui qui agit par ostentation ; 5° celui qui prie de lui indiquer une bonne

action à accomplir ; 6° celui qui agit par crainte et 7° celui qui agit par amour.' En voici une explication plus détaillée : le premier ressemble à quelqu’un qui chargerait les commandements divins sur les épaules pour les transporter ; le deuxième à celui qui dirait : prêtez-moi de l’argent pour que j’accomplisse le précepte ; le troisième : je vais accomplir ce dévoir religieux, puis me permettre une transgression légale et les contrebalancer l’un par l’autre ; le quatrième semble dire : je me rends compte de tout ce que j’ai et c’est par bonne volonté que j’obéis à la religion : . le cinquième qui a conscience de ses devoirs, tâche d’effacer ses péchés par sa bonne conduite ; le sixième agit par crainte comme Job ; le septième paramour comme Abraham et ce dernier degré est le meilleur de tous. » Les explications du Talmud de Babylone, Sota, 22 6 et les définitions de l’Aruch diffèrent très sensiblement. Voir Lightfoot, Horse hebraicse et talmudicee, sur Matth., iii, 7, Works, Londres, 1684, t. ii, p. 125. Les énonciations sibyllines des deux Talmuds sont diversement interprétées. Le nom de la première classe, par exemple, >D2îf tus, est dérivé par le Talmud de Babylone de osir, « Sichem », et non de ddit, sekéni, « épaule », et expliqué : « qui accomplit la loi à contre-cœur, ; comme les Sichémites, Gen., xxxiv, 10, reçurent la circoncision. » La seconde » spa whs, « le pharisien qui hésite », désignerait le pharisien qui dirait à celui qui demande un service : « Attendez un peu ; je suis occupé à faire une bonne action. » La cinquième classe voudrait dire d’après YAnich : « Personne ne peut me montrer que j’ai mal agi. » Quoi qu’il en soit de ces commentaires, nous pouvons conclure de ces textes que beaucoup de ceux qui se disaient pharisiens obéissaient à des mobiles peu avouables.

Les jugements des auteurs sur les pharisiens sont assez divergents. Pour certains, le pharisaïsme aurait représenté l’orthodoxie juive. « Les Pharisiens reflétaient fidèlement les aspirations, les idées du peuple, et d’un autre côté ils exerçaient, par leur enseignement et leur autorité, sur ces mêmes idées une influence très grande. Toutes les faces du caractère national, favorables et défavorables, toutes les nuances de l’esprit public se retrouvaient en eux. » Dôllinger, Paganisme et judaïsme, trad. franc., Bruxelles, 1858, t. iv, p. 130. Selon d’autres, les sadducéens auraient été les conservateurs tandis que les pharisiens auraient incarné l’idée de progrès. Kohler, dans The Jewish Encyclopœdia, t. ix, 1905, p. 662-665, Ces vues en apparence contradictoires ne sont pas inconciliables. Sur beaucoup de points, les sadducéens, s’attachant à la lettre de la Loi, pouvaient passer pour plus conservateurs ; tandis que les traditions pharisiennes, entendues au sens large comme enseignement ou opinion des sages, avaient l’air d’innovations. Dans le droit criminel par exemple, les sadducéens étaient plus rigoristes ; ils appliquaient, sans distinction et sans miséricorde, la peine du talion : les pharisiens tempéraient cette rigueur et admettaient des compensations pécuniaires. Comparez Josèphe, Ant. jud., Xlll, X, 6 : "AXito ; te xa çiioei Ttpbç ià ; xoXà<T£t ; â7netxwç e^ouatv ot 4° aptaaîot. Bell, jud., II, viii, 14 (les sadducéens sont moins sociables et plus rudes dans leurs rapports) ; Ant. jud., XX, ix, l : sîui (oîSaoSuxaîot) itep rà ; xpt’aôi’c liaoi raxpà Ttâvxas tous 'IouSaîouç. — D’un autre côté, les pharisiens faisaient appel à leurs traditions pour atténuer l’incommodité du repos sabbatique et pour écarter l’obligation des visites au Temple prescrites par la Loi. Leur but était de transformer le jour du Seigneur en jour de fête et en jour de joie. Les fictions dont nous avons parlé plus haut étaient destinées à les y aider. En tout cela, les sadducéens, préoccupés surtout de la fréquentation et du service du Temple, voulaient qu’on s’en tint à la lettre de la Thora.