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PHARISIENS


leur requête, persuader aux foules que c'était un faux prophète^incapable de prouver sa mission divine. — La seconde embûche fut encore mieux tendue. Ils lui demandèrent s’il était possible de renvoyer sa femme pour n’importe quel motif. Ils étaient sûrs de sa réponse négative et par conséquent assurés de le mettre en contradiction avec la loi de Moïse qui avait autorisé le divorce, Marc, x, 2-11 ; Matth.. xix, 1-9 ; Jésus répéta ce qu’il avait dit dans son sermon sur la montagne, Matth., v, 31-32 ; cf. Luc, xvi, 18, rejetant la tolérance du divorce sur l’imperfection de la loi mosaïque et sur la dureté de cœur des Juifs. — La conspiration la mieux ourdie fut cependant la troisième. Fallait-il ou non payer le tribut à César ? Matth., xxii, 15-22 ; Marc, xii, 13-17 ; Luc, xx, 20-26. En disant non, Jésus se posait en adversaire de l’ordre de choses établi et devenait criminel politique ; en disant oui, il s’aliénait les sympathies d’un grand nombre de ses auditeurs. On pourrait deviner, alors même que saint Matthieu, xxii, 16, et saint Marc, xii, 13, n’en feraient pas mention expresse, que les partisans d’Hérode étaient ici de concert avec les pharisiens. Mais les sadducéens eux-mêmes n'étaient pas loin ; car ils vinrent à la rescousse dès que Jésus eut fermé la bouche à ses autres adversaires et essayèrent de l’embarrasser sur le dogme de la résurrection en lui posant le cas d’une femme qui aurait eu successivement sept maris. Matth., xxii, 34-40 ; Marc, xii, 28-34 ; Luc, xx, 39-40. Presque aussitôt après, un scribe ou légiste voulut savoir quel était le plus grand des commandements. Le récit de saint Marc, xii, 28, 34, ne fait pas supposer d’intentions malveillantes, mais celui de saint Matthieu, xxii, 35-40, note le dessein de prendre Jésus en défaut (raipdtÇwv aiktfv). À partir de ce jour les scribes et les pharisiens cessèrent de « tenter » Jésus. Matth., xxii, 46. Mais la mesure de leurs iniquités était comble et leur condamnation était prête à fondre sur eux. Cf. Luc, xviii, 10-14.

3° Le dénouement de la lutte. — A) Le grand discours contre les pharisiens. — Ce fut seulement deux ou trois jours avant sa passion, que Jésus prononça le terrible réquisitoire enregistré par les Évangélistes. Ce discours est placé par les trois Sypnoptiques en connexion avant la dernière tentative des pharisiens ; mais tandis que saint Marc et saint Luc se contentent de l’indiquer sans le reproduire, Marc, xii, 38-40, Luc, xx, 45-57, saint Matthieu lui donne un développement et une forme schématique, où l’on ne peut nier le dessein de résumer et de coordonner les principales accusations du Sauveur contre ses perfides ennemis. Sept fois Jésus renouvelle ses objurgations en commençant toujours par la formule : « Malheur à vous, scribes et pharisiens hypocrites. » Matth., xxiii, 13, 15, 23, 25, 27, 29. Une seule fois, ꝟ. 16, la formule change : Vse vobis duces cseci. Le huitième vas qui se trouve dans la Vulgate et dans un certain nombre de manuscrits grecs, j>. 14, est très probablement interpolé d’après Marc, xii, 20, et Luc, xx, 47 ; en effet, non seulement il fait défaut dans les meilleurs manuscrits, mais il interrompt évidemment la suite des idées. — Jésus-Christ reproche aux Pharisiens : 1° de fermer aux autres le royaume des cieux, c’est-à-dire l’accès de l'Église, sans y entrer eux-mêmes ; 2° de parcourir la terre et les mers à la recherche d’un prosélyte pour en faire un fils de perdition ; 3° d’enseigner que le serment fait par le Temple ou par l’autel est invalide et que le serment fait par l’or du Temple ou par la victime posée sur l’autel est valide ; 4° de payer exactement la dime de la menthe, de l’anis et du cumin et de négliger la justice et la miséricorde ; 5° de laver soigneusement les vases et les ustensiles et de compter pour rien l’impureté de l'âme ; 6° de ne faire attention qu'à l’extérieur et aux dehors et d'être, au fond du cœur, comme des sépulcres blanchis ; 7° d'élever aux prophètes de ma gnifiques tombeaux et de les persécuter ou de les mettre à mort. Il termine par cette accablante apostrophe : « Serpents, race de vipères, comment échapperez-vous à la condamnation de la géhenne ? » On peut lire dans les commentaires de Knabenbauer, de Schegg ou de Schanz, les textes rabbiniques justifiant et expliquant ces imputations du Sauveur. Voir M c Klintock, Cyclopsedia of biblical… Literature, t. viii, 1889, p. 69-70, des détails curieux sur les cas d’impureté légale et le payement des dîmes.

B) La revanche des pharisiens. — Une circonstance assez significative c’est que, dans les jours qui précèdent immédiatement la passion, les pharisiens cessent de se montrer. Dans le récit même de la passion, les Évangélistes ne les nomment plus (sauf Jean, xviii, 3, pour l’expédition nocturne de Gethsémani et Matthieu, xxvii, 62, quand il s’agit de faire garder le sépulcre). Il les remplacent par -, les scribes, c’est-à-dire par les représentants des pharisiens au sein du sanhédrin. U est remarquable que les sadducéens s’effacent aussi et que les princes des prêtres, c’est-à-dire les chefs du parti sadducéen, qui entraient dans le sanhédrin, prennent leur place. Maintenant les scribes et les princes des prêtres sont pleinement d’accord contre leur commun adversaire. Ils ont su gagner les anciens, les notables qui ne sont ni scribes ni prêtres et qui forment un tiers du sanhédrin. La coalition des adversaires de Jésus datait de loin. Dès le début du ministère public, les pharisiens s'étaient concertés avec les hérodiens sur les moyens de le perdre. Matth., xxii, 16 ; Marc, iii, 6 ; cf. xii, 13. Pour atteindre ce but, les pharisiens et les sadducéens oubliaient leurs rivalités et leurs querelles. Matth., xvi, 1, 6, 11, 12 ; xxii, 34. Mais, en ce moment, leur entente est parfaite et leur plan arrêté. « Les princes des prêtres, dit saint Luc, xix, 47-48, et les scribes et les premiers du peuple cherchaient à le perdre ; mais ils ne savaient comment faire, car tout le peuple était suspendu à ses lèvres. » Désormais les trois fractions du sanhédrin marchent toujours ensemble. Luc, xx, 1 ; xxii, 66 ; Marc, xiv, 43, 53 ; Matth., xxvii, 41. Mais on voit que l’aristocratie sacerdotale joue le rôle principal et dirige l’action.

4° Les pharisiens et l’Eglise naissante. — La mort de Jésus semble avoir assouvi les rancunes des pharisiens, tandis que la haine des sadducéens, loin de s’apaiser, ne cessait de croître. Ceux-ci, vivant du temple el de l’autel, étajent profondément remués, nonobstant l’indifférentisme religieux d’un grand nombre d’entre eux, par tout ce qui menaçait la religion nationale. Les disciples n’eurent pas d’ennemis plus irréconciliables. Dans le contlit qui ne tarda pas à se produire, ce fut un pharisien, Gamaliel, qui prit publiquement la défense des Apôtres et fit entendre raison à leurs persécuteurs : au contraire, l’aristocratie sacerdotale, composée de sadducéens (Act., v, 17 : Princeps sacerdotum et omnes qui cum Mo erant ; quse est hxresis Sadducœorum ; cf. v, 24), avait pris l’initiative des mesures de rigueur. Act., v, 17-42. Plus tard saint Paul, poursuivi pour infraction à la Loi qui interdisait d’introduire des étrangers dans le Temple, s’appuya résolument sur le parti des pharisiens et se fit gloire d’avoir été jadis pharisien lui-même. Act., xxiii, 6-10 ; cf. xxii, 3. Il ne faut pas méconnaître ce qu’il y avait de sérieux dans le pharisaïsme. Si le zèle des pharisiens était souvent aveugle ou mal éclairé, il n’en était pas moins sincère. Les convictions fortes au service de la passion sont plus faciles à tourner au bien qu’un scepticisme armé d’indifférence. Saint Paul dépassait tous ses compatriotes par l’ardeur de son pharisaïsme : malgré cela — ou plutôt à cause de cela — la grâce divine eut vite raison de lui. Il est à croire qu’une partie de l'église-mère de Jérusalem se recruta au sein des pharisiens. Ainsi s’explique l’attachement aux pratiques de l’ancienne Loi qui la carac-