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IV
PRÉFACE

par les premiers auteurs du Dictionnaire. Lorsqu’en 1657 la Compagnie décida de composer un « trésor » de la langue française, entre les deux manières en usage alors d’écrire les mots, elle choisit la plus savante, la plus compliquée, celle qui pouvait intéresser seulement les lettrés du temps. Par la suite, elle s’aperçut de son erreur, car lorsqu’il s’agit de préparer la quatrième édition, celle qui parut en 1762, l’abbé d’Olivet fut chargé de simplifier cette orthographe pédantesque et de débarrasser les mots des lettres superflues dont on les avait encombrés par souci d’indiquer leur étymologie latine. Sur les 18 000 mots que contenait le Dictionnaire, 8 000 environ furent touchés par la réforme de l’abbé d’Olivet. Mais l’Académie, dans les éditions suivantes, se refusa à pousser plus loin la réforme. Depuis lors, la tradition orthographique s’est établie, et, en dépit de ses imperfections, s’est imposée à l’usage. C’est d’après elle qu’ont été imprimés des milliers de livres, qui ont répandu dans l’univers entier l’admiration pour les chefs-d’œuvre de notre littérature. La bouleverser serait, pour un bien mince profit, troubler des habitudes séculaires, jeter le désarroi dans les esprits. L’Académie se serait fait un scrupule de substituer à un usage, qui a donné des preuves si éclatantes de sa vitalité, un usage nouveau, qui mécontenterait la plus grande partie du public et ne satisferait certainement pas ceux qui en proclament le pressant besoin.

Au souci de rajeunir son Dictionnaire l’Académie a joint celui, non moins vif, de lui conserver sa physionomie. C’est ainsi qu’au lieu de numéroter les différentes acceptions des mots, elle a conservé les formules en usage au XVIIe siècle, il signifie aussi, il signifie encore, il se dit par extension, il se dit par analogie, il se dit figurément, etc., qui gardent au livre le caractère d’un entretien avec son lecteur. Adopter la méthode sèche des lexicologues actuels eût été rompre fâcheusement avec une tradition suivie par toutes les autres éditions.

Ce qui surtout n’a pas varié, c’est l’esprit du Dictionnaire. L’Académie est restée fidèle à son principe qui est de faire, non pas un dictionnaire étymologique et historique de la langue, mais un dictionnaire de l’usage. Elle constate et enregistre le bon usage, celui des personnes instruites et des écrivains qui ont souci d’écrire purement le français. En consacrant cet usage, elle le défend contre toutes les causes de corruption, telles que l’envahissement des mots étrangers, des termes techniques, de l’argot ou de ces locutions barbares qu’on voit surgir au jour le jour, au gré des besoins plus ou moins réels du commerce, de l’industrie, des sports, de la publicité, etc. Ainsi elle modère l’écoulement de la langue, et lui permet, tout en se modifiant sans cesse à la manière des organismes vivants, de rester elle-même et de garder intacts les traits qui sont sa marque et son âme. L’objet précis du Dictionnaire est de présenter l’état actuel de la meilleure langue française et de fixer un moment de son histoire.

L’Académie adresse ses remerciements à M. Alfred Rébelliau, de l’Institut, secrétaire de la Commission du Dictionnaire, qui a mis au service du travail de révision sa longue expérience et la sûreté du goût le plus délicat, ainsi qu’à ses dévoués collaborateurs, M. Léopold Sudre, le savant grammairien, et Mlle Dorez.